
Cet billet est inspiré d’un article paru dans Le Temps (samedi 9 mai) et dont l’auteur est Julie Zaugg. J’ai cru intéressant d’en faire part à mes lecteurs car il est important d’alarmer les assurés sociaux et tous les autres acteurs du secteur santé de ce qui se trame actuellement dans le monde au sujet de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les médicaments biosimilaires. Pour définir ce qu’est un médicament biosimilaire l’exemple de l’insuline suffira à clarifier les idées. Jusqu’en 1982, une personne souffrant de diabète (type 1) n’avait pas vraiment le choix et devait se soumettre à des injections d’insuline extraite de pancréas de porc ou de bœuf. Il se trouve que l’insuline de ces animaux est légèrement différente dans sa composition en aminoacides – l’insuline est une petite protéine constituée d’un enchainement de différents aminoacides – et à la longue les malades finissaient parfois par développer une intolérance à cette hormone étrangère. Inutile de décrire les catastrophes ayant pu survenir au cours de ce processus. À la fin des années 70 et au début des années 80, les biologistes ont vu littéralement exploser la disponibilité en outils moléculaires pour réaliser de la « haute couture » sur l’ADN et arriver à obliger des levures ou des bactéries à diriger leur machinerie cellulaire pour produire et excréter des protéines thérapeutiquement intéressantes, dont justement l’insuline. Ce ne fut pas chose facile car le produit provenant de la bactérie doit parfaitement convenir à l’organisme humain, il faut le purifier et au cours de ce processus respecter la conformation spatiale délicate de cette petite molécule. En 1982, après avoir très justement flairé que l’insuline « transgénique » pouvait éventuellement être une source de profits appréciables et après de multiples déboires expérimentaux, la société Genentech, une petite start-up californienne, réussit à produire les premiers milligrammes puis rapidement des kilos d’insuline humaine en tous points identique à celle synthétisée par le pancréas mais que les malades souffrant de cette forme de diabète de type 1 sont incapables de produire.
Ce fut l’année zéro des biosimilaires dont on ne peut plus aujourd’hui se passer. Les biosimilaires sont des médicaments, hormones, vaccins, anticorps et bien d’autres espèces d’intérêt médical synthétisés par des bactéries, des levures ou des cellules éventuellement humaines en culture dont l’ADN a été modifié et reprogrammé pour ces synthèses. Après avoir été extraites, purifiées, une étape essentielle qui fait partie du savoir-faire des entreprises impliquées dans ce business, et conditionnées, ces biosimilaires sont mis sur le marché avec à la clé de gigantesques profits. Il ne faut pas se leurrer, la firme Genentech a bien failli déposer son bilan plusieurs fois avant qu’elle ne soit absorbée par Roche justement quand le savoir-faire des techniciens de cette petite société finirent par trouver les « trucs » permettant d’obtenir une insuline active à 100 % chez l’homme sans effets secondaires et qu’il fallait investir pour assurer une production massive de cette insuline.
Je mentionne ici « les trucs » qui semblent être anti-scientifiques mais en réalité, après de nombreux tâtonnements on finit par trouver les conditions expérimentales idéales pour finalement arriver à obtenir dans un tube à essai la protéine active à l’état pur que l’on espérait. J’en sais quelque chose dans ce rayon très particulier de la biologie puisque ma carrière de chercheur fut consacrée essentiellement à la purification de protéines, surtout des enzymes, d’origines diverses qui devaient montrer au final une activité biologique satisfaisante et conforme à la littérature scientifique. Et je dois avouer aujourd’hui assez humblement que lors de la publication de mes travaux de laboratoire il m’est arrivé d’ « oublier » un détail infime mais crucial pour la bonne conduite de mes travaux afin de ne pas inciter les équipes concurrentes disposant de moyens financiers importants de me « doubler » après avoir eu vent de mes publications scientifiques.
Les médicaments biosimilaires sont aujourd’hui utilisés pour traiter certains cancers, des maladies comme l’arthrite ou le psoriasis, la sclérose en plaques ou encore certaines formes d’anémies. Les premiers brevets protégeant la fabrication de ces molécules biologiques ont fini par tomber dans le domaine public puisque la validité d’un brevet est de 20 ans. Les firmes capables de se lancer dans ces productions sophistiquées ont donc mis sur le marché des génériques qu’on appelle des « biosimilaires » à tort, non pas parce qu’ils sont identiques ou presque aux produits biologiques naturels mais parce que leur production et leur formulation sont légèrement différentes de celles décrites dans les brevets originaux. L’autorisation de mise sur le marché des génériques biosimilaires a été pour la première fois accordée au milieu des années 2000 par l’Europe (EMA) et ce n’est qu’en 2012 que les USA, dans le cadre de la politique de santé mise en place par Obama, ont suivi l’Europe. Et ce n’est qu’en mars 2015, donc tout récemment, que les dispositions de l’ « obamacare » ont été appliquées pour la première fois pour le Zarxio ou Filgrastim du Suisse Sandoz qui appartient maintenant à Novartis (voir le lien). Il s’agit d’une protéine qui stimule la prolifération des granulocytes et permet de traiter certaines infections chez les cancéreux soumis à une chimiothérapie ayant engendré une sévère modification de leur formule sanguine. Les USA comptent économiser ainsi près de 600 millions de dollars chaque année.
Le débat vient donc de s’aviver très sérieusement entre les pro- et les anti-biosimilaires. En ce qui concerne le Filgrastim, la firme Amgen qui produit la version originale sous le nom de Neupogen a immédiatement déposé une plainte contre Novartis qui aurait, selon elle, falsifié le dossier d’approbation présenté à la FDA (Food and Drug administration) en omettant certains détails du processus de production. Du coup le Filgrastim de Sandoz est interdit de vente aux USA, pour le moment. Pourquoi les Américains trainent les pieds pour autoriser les biosimilaires, tout simplement en raison du lobbying intense des firmes pharmaceutiques mais cet aspect n’est naturellement pas clairement indiqué. La raison officielle serait qu’il est impossible de reproduire au iota près le protocole industriel extrêmement sophistiqué développé par les firmes détentrices des brevets devenus publics et que l’on doit donc se « méfier » de ces biosimilaires. Le résultat serait que l’activité et l’efficacité escomptées de ces « copies » ne seraient tout simplement pas celles attendues. Et dans le pire des cas les malades pourraient souffrir d’une réponse immunitaire qui pourrait aggraver leur état de santé.
Puisqu’il n’y avait pas d’arguments pour soutenir une telle prise de position complètement fallacieuse, fort heureusement ce qui devait arriver arriva. Une autre protéine commercialisée sous le nom d’Eprex et qui n’est autre que l’EPO ou érythropoïétine dont la presse à sensation et de caniveau a largement fait ses choux gras avec les coureurs cyclistes qui se shootaient avec ce produit. L’Eprex est utilisé pour traiter certaines anémies. La firme Janssen-Cilag produisant le biosimilaire a très légèrement modifié le conditionnement de son EPO en y ajoutant du polysorbate 80, un émulsifiant autorisé dans l’alimentation (industrielle) connu aussi sous le nom de Tween-20 et codifié E433. Plusieurs patients ont développé une réaction allergique après injection du produit. On a finalement trouvé pour quelle raison cette préparation était allergène, tout simplement parce que le polysorbate 80 (c’est un détergeant assez puissant) réagissait avec le bouchon de caoutchouc des flacons et l’impureté alors introduite dans la préparation modifiait la conformation de l’EPO. Autant dire que l’argumentation des anti-biosimilaires a fait mouche. Et ils ont été naturellement soutenus par les fabricants des versions originales car « business is business » et la guerre entre firmes pharmaceutiques est permanente et soutenue par le fait que les biosimilaires génèrent à eux seuls un chiffre d’affaire de 200 milliards de dollars par an. Une diminution des prix de vente de 20 à 30 % représente déjà un véritable pactole d’économisé pour l’assurance maladie publique ou privée.
Un seul exemple pour illustrer les coûts parfois extravagants de ces médicaments d’un type nouveau est celui de l’Enbrel qui est une protéine hybride comportant deux récepteurs d’un facteur favorisant la nécrose des tumeurs (TNF) liés par recombinaison génétique au fragment léger Fc de l’immunoglobuline G1. Ce produit est efficace pour traiter le psoriasis et un certain nombre d’autres maladies auto-immunes comme la spondylite ankylosante et aussi (et surtout) l’arthrite rhumatoïde. Le traitement revient à 20000 dollars par an, excusez du peu, sans que l’on puisse d’ailleurs arriver à bout de ces maladies mais seulement d’en diminuer les symptômes … On assiste donc à une bataille devant les tribunaux pour que les uns continuent sur leur pré-carré d’engranger des bénéfices indécents et que les autres arrivent à obtenir quelques miettes du gâteau. Et ce sont des millions de dollars qui sont déboursés pour faire trainer devant les tribunaux plaintes et contre-plaintes. Le lobbying des géants de la pharmacie est même allé jusqu’à obliger les médecins (avec des contreparties financières, naturellement) à préciser à leurs patients que le produit qu’ils leur ont prescrit est ou non l’original et ce même lobbying finance sous le manteau de multiples associations qui se déclarent dévouées à la défense et à la sécurité des malades. Beau dévouement en effet ( ! ) car il s’agit de centaines de milliers de dollars investis par ces grosses firmes pour continuer à réaliser des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaire avec des produits dont la valeur ajoutée peut atteindre 2000 % quand la production est bien rodée et parfois entièrement automatisée. Et si les parades contre les biosimilaires ne fonctionnent plus, on change un des « iotas », des petits « trucs » dont je parlais en début de billet, et le breveter pour se protéger à nouveau pendant quelques vingt années. Avec la sophistication croissante des recherches en génétique bio-médicale cette situation ne saurait que s’aggraver au détriment naturellement des consommateurs finaux, vous et moi ou plus précisément, et encore une fois, les contribuables qui sont rançonnés par les systèmes de protection sociale étatisés et ceux qui vont cotiser à des organismes privés de protection de santé de plus en plus onéreux.
http://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm436648.htm