La pandémie de 1890-1892 revisitée

Une revue bibliographique réalisée par Harald et Lutz Brüssow, de l’Université de Louvain ( https://doi.org/10.1111/1751-7915.13889 ) présente divers arguments en faveur d’une épidémie en 1890-1892 provoquée par un coronavirus plutôt que par un virus influenza. Des symptômes tels que la perte d’odorat, la très grande sensibilité des personnes âgées souffrant de comorbidités et les rares cas d’enfants affectés rappellent ce qui a été décrit ces deux dernières années lors de la pandémie par SARS-CoV-2. Selon les descriptions cliniques des vétérinaires de l’époque, il y a donc 130 ans, l’une des hypothèses avancée par ces auteurs serait une zoonose transmise par les bovins ou peut-être par les chevaux. Cependant l’existence des virus était encore inconnue à cette époque. Une étude récente a montré que la séquence de nucléotides de l’ARN du HCoV-OC43, un coronavirus affectant les humains et provoquant un rhume banal et parfois des infections pulmonaires chez les personnes âgées, était très proche du coronavirus présent chez les bovins, leBCoV, un coronavirus affectant de nombreux ruminants. Une équipe de biologistes de l’Université de Louvain dirigée par le Docteur Marc Van Ranst, a donc déterminé la séquence complète de l’HCoV-OC43 ( HTTPS://doi.org/10.1128/JVI.79.3.1595-1604.2005 ) et déterminé la divergence entre ce virus et celui des bovins et le résultat obtenu est étonnant. En mettant à profit la disponibilité de diverses souches du virus humain et leur date précise de prélèvement il a été possible d’établir la date de l’ancêtre commun le plus récent (TMRCA, time of the most recent common ancestor) en établissant une corrélation entre ces dates de prélèvement et la probabilité de l’incidence des mutations accumulées. Un régression linéaire indique que cette divergence peut être datée de 1890.

Or c’est précisément la date de l’apparition de la grippe dite de Russie attribuée à un Influenza. Une coïncidence n’étant pas une preuve il a fallu attendre le remarquable travail effectué au sein de l’IHU de Marseille en France sous la direction du Docteur Michel Drancourt qui peut être classé dans une nouvelle discipline appelée « paléosérologie » utilisant une technique développée par le Professeur Didier Raoult en 1989 dans le cadre de l’étude de la fièvre boutonneuse dont l’agent infectieux est un parasite intracellulaire, la Rickettsia coronii, transmise par les tiques des chiens. Cette technique dérive des Western blots, une technique immunologique dont la finalité est de déterminer la nature d’une protéine séparée des autres par électrophorèse à l’aide d’anticorps spécifiques https://doi.org/10.1111/1751-7915.14058

Le matériel d’étude était la pulpe dentaires de cadavres de soldats français tombés au front en août 1914. Il fallut d’abord déterminer l’âge de ces soldats découverts dans un charnier à Spincourt dans la Meuse puis extraire la pulpe dentaire et appliquer cette technique dite « mini-blot » mise au point par le Professeur Raoult 30 ans plus tôt. Sur les dents de 29 soldats examinées au cours de cette étude, cinq contenaient des anticorps anti-coronavirus et étaient nés avant 1890, un soldat possédait également des anticorps anti-influenza. La pulpe dentaire du soldat « 528 » contenait des anticorps réagissant avec trois souches de coronavirus dont le SARS-CoV-2 :

Ces travaux montrent que ces soldats furent en contact durant leur enfance avec un coronavirus, lequel ? Probablement l’HCoV-OC43. Des études de paléo-génomique sont difficiles à réaliser en raison de l’instabilité de l’ARN viral. Cette étude confirme donc clairement la nature de l’agent viral ayant causé la pandémie de 1890-1893 qui conduisit à la mort d’environ un million de personnes alors que l’Europe ne comptait alors que 175 millions d’habitants, une mortalité qui serait aujourd’hui de près de 3 millions. Cette pandémie comporta cinq « vagues » successives puis disparut pour ne resurgir qu’autour des années 2000 avec le SARS puis le MERS et enfin le SARS-CoV-2 et comme toute épidémie cette dernière disparaitra aussi.