Avant-propos. En cette période troublée par des faits divers amplifiés au niveau planétaire par des médias aux ordres ayant reçu pour consigne de divertir l’opinion afin qu’elle ne prenne pas conscience (ou au mieux le plus tard possible) qu’un gouvernement mondial se met progressivement en place à la suite de l’épidémie coronavirale dont il ne restera dans les livres d’histoire qu’une modeste mention en termes de mortalité si on considère la grippe espagnole, la grippe asiatique, la pandémie de HIV, la malaria ou la tuberculose, il est opportun de faire un retour vers l’histoire passée puisque la vie des Noirs est importante (Black Live Matters). Voici la traduction d’un article paru sur le site The Conversation relatif à la France et à sa colonie sur l’île d’Hispaniola. Je souhaite à tous mes honorables lecteurs de trouver là une information sans parti-pris d’un passé peu glorieux de la France soigneusement passé sous silence dans les livres d’histoire. Article de Marlene Daut, Université de Virginie, paru le 2 juillet 2020 sur le site The Conversation.
À la suite de l’assassinat de George Floyd, des appels ont été lancés en faveur du démantèlement des services de police et des demandes de suppression de statues commémoratives. La question des réparations pour l’esclavage a également refait surface.
Une grande partie du débat sur les réparations a tourné autour de la question de savoir si les États-Unis et le Royaume-Uni devraient enfin indemniser certains de leurs citoyens pour les coûts économiques et sociaux de l’esclavage qui persistent encore aujourd’hui. Mais pour moi, il n’y a jamais eu de cas de réparation aussi clair que celui d’Haïti.
Je suis spécialiste du colonialisme et de l’esclavage, et ce que la France a fait au peuple haïtien après la révolution haïtienne est un exemple particulièrement notoire de vol colonial. La France a institué l’esclavage sur l’île au 17ème siècle, mais, à la fin du 18ème siècle, la population asservie s’est rebellée et a finalement déclaré son indépendance. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, au XIXe siècle, on pensait que les anciens esclavagistes du peuple haïtien devaient être indemnisés, plutôt que l’inverse.
Tout comme l’héritage de l’esclavage aux États-Unis a créé une grande disparité économique entre les Américains noirs et blancs, la taxe sur la liberté que la France a forcé Haïti à payer – appelée à l’époque une «indemnité» – a gravement endommagé la capacité à prospérer de ce nouveau pays indépendant.
Coût de l’indépendance
Haïti déclara officiellement son indépendance de la France en 1804. En octobre 1806, le pays fut divisé en deux, Alexandre Pétion régnant au sud et Henry Christophe statuant au nord. Malgré le fait que les deux dirigeants d’Haïti étaient des vétérans de la Révolution haïtienne, les Français n’avaient jamais tout à fait renoncé à reconquérir leur ancienne colonie.
En 1814, le roi Louis XVIII, qui avait aidé à renverser Napoléon au début de l’année, envoya trois commissaires en Haïti pour évaluer la volonté des dirigeants du pays de se rendre. Christophe, s’étant proclamé roi en 1811, est resté obstiné face au projet exposé par la France de rétablir l’esclavage. Craignant une guerre, le plus éminent membre du cabinet de Christophe, le baron de Vastey, insista : « Notre indépendance sera garantie par les pointes de nos baïonnettes ! ».
En revanche, Pétion, le souverain du sud, était disposé à négocier, espérant que le pays pourrait payer la France pour la reconnaissance de son indépendance.
En 1803, Napoléon avait vendu la Louisiane aux États-Unis pour 15 millions de francs. Utilisant ce montant comme un objectif, Pétion proposa de payer le même montant. Ne voulant pas faire de compromis avec ceux qu’il considérait comme des «esclaves fugueurs», Louis XVIII rejeta l’offre. Pétion mourut subitement en 1818, mais Jean-Pierre Boyer, son successeur, poursuivit les négociations. Les pourparlers, cependant, ont continué de caler en raison de l’opposition obstinée de Christophe.
« Toute indemnisation des ex-colons », déclara le gouvernement de Christophe, « était inadmissible ».
Après la mort de Christophe en octobre 1820, Boyer put réunir les deux côtés du pays. Cependant, même avec l’obstacle de Christophe disparu, Boyer n’a pas réussi à plusieurs reprises à négocier avec succès la reconnaissance de l’indépendance de la France. Déterminé à gagner au moins la suzeraineté sur l’île – ce qui aurait fait d’Haïti un protectorat de la France – le successeur de Louis XVIII, Charles X, a réprimandé les deux commissaires de Boyer envoyés à Paris en 1824 pour tenter de négocier une indemnité en échange de la reconnaissance.
Le 17 avril 1825, le roi de France change subitement d’avis. Il publie un décret déclarant que la France reconnaîtrait l’indépendance d’Haïti mais seulement au prix de 150 millions de francs – soit 10 fois le montant que les États-Unis avaient payé pour le territoire de la Louisiane. Cette somme était destinée à compenser les colons français pour la perte de revenus de l’esclavage.
Le baron de Mackau, que Charles X a envoyé pour délivrer l’ordonnance, est arrivé en Haïti en juillet, accompagné d’une escadre de 14 frégates de guerre armées de plus de 500 canons. Le rejet de l’ordonnance signifiait presque certainement la guerre. Ce n’était pas de la diplomatie. C’était de l’extorsion.
Avec la menace de violence qui se profile, le 11 juillet 1825, Boyer signe le document fatal, qui déclare: « Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue paieront… en cinq versements égaux… la somme de 150 000 000 de francs, destinée à indemniser les anciens colons ».
La prospérité française bâtie sur la pauvreté haïtienne
Des articles de journaux de l’époque révèlent que le roi de France savait que le gouvernement haïtien était à peine capable d’effectuer ces paiements, car le total représentait plus de 10 fois le budget annuel d’Haïti. Le reste du monde semble convenir que le montant est absurde. Un journaliste britannique a noté que « l’énorme prix » constituait une « somme que peu d’États européens pouvaient supporter de sacrifier ».
Obligé d’emprunter 30 millions de francs aux banques françaises pour effectuer les deux premiers paiements, ce ne fut une surprise pour personne quand Haïti fit défaut peu de temps après. Pourtant, le nouveau roi de France a envoyé une autre expédition en 1838 avec 12 navires de guerre pour forcer la main du président haïtien. La révision de 1838, qualifiée à tort de « Traité d’Amitié » a réduit le montant restant dû à 60 millions de francs, mais le gouvernement haïtien a de nouveau été contraint de contracter des emprunts écrasants pour payer le solde.
Bien que les colons aient affirmé que l’indemnité ne couvrirait qu’un douzième de la valeur de leurs biens perdus, y compris les personnes qu’ils prétendaient être leurs esclaves, le montant total de 90 millions de francs était en fait égal à cinq fois le budget annuel de la France.
Le peuple haïtien a subi de plein fouet les conséquences du vol de la France. Boyer a prélevé des impôts draconiens afin de rembourser les prêts. Et tandis que Christophe avait été occupé à développer un système scolaire national pendant son règne, sous Boyer et tous les présidents suivants, de tels projets devaient être suspendus. De plus, les chercheurs ont constaté que la dette d’indépendance et la fuite qui en résulte sur le trésor haïtien étaient directement responsables non seulement du sous-financement de l’éducation en Haïti au XXe siècle, mais aussi du manque de soins de santé et de l’incapacité du pays à développer les infrastructures publiques.
De plus, les évaluations contemporaines révèlent qu’avec les intérêts de tous les prêts, qui n’ont été entièrement remboursés qu’en 1947, les Haïtiens ont fini par payer plus du double de la valeur des réclamations des colons. Reconnaissant la gravité de ce scandale, l’économiste français Thomas Piketty a reconnu que la France devrait rembourser au moins 28 milliards de dollars à Haïti en restitution.
Une dette à la fois morale et matérielle
Les anciens présidents français, de Jacques Chirac, à Nicolas Sarkozy, en passant par François Hollande, ont une histoire de punition, de contournement ou de minimisation des demandes d’indemnisation haïtiennes. En mai 2015, lorsque le président français François Hollande n’est devenu que le deuxième chef d’État français à se rendre en Haïti, il a admis que son pays devait « régler la dette ». Plus tard, réalisant qu’il avait involontairement fourni le carburant pour les réclamations légales déjà préparées par l’avocat Ira Kurzban au nom du peuple haïtien – l’ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide avait demandé une compensation formelle en 2002 – Hollande a précisé qu’il voulait dire que la dette de la France était simplement « morale ».
Nier que les conséquences de l’esclavage étaient également matérielles, c’est nier l’histoire française elle-même. La France a aboli tardivement l’esclavage en 1848 dans ses colonies restantes de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Guyane française, qui sont encore aujourd’hui des territoires de la France. Par la suite, le gouvernement français a démontré une fois de plus sa compréhension de la relation de l’esclavage avec l’économie en se chargeant d’indemniser financièrement les anciens « propriétaires » des esclaves.
L’écart de richesse raciale qui en résulte n’est pas une métaphore. En France métropolitaine, 14,1% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. En Martinique et en Guadeloupe, en revanche, où plus de 80% de la population est d’origine africaine, les taux de pauvreté sont respectivement de 38% et 46%. Le taux de pauvreté en Haïti est encore plus terrible à 59%. Et alors que le revenu annuel médian d’une famille française est de 31 112 $, il n’est que de 450 $ pour une famille haïtienne.
Ces écarts sont la conséquence concrète du travail volé de générations d’Africains et de leurs descendants. Et parce que l’indemnité qu’Haïti a versée à la France est la première et la seule fois où un peuple anciennement esclave a été contraint d’indemniser ceux qui l’avaient autrefois asservi, Haïti devrait être au centre du mouvement mondial pour les réparations.
Bibliographie.
https://dh.virginia.edu/people/prof-marlene-l-daut
https://theconversation.com/inside-the-kingdom-of-hayti-the-wakanda-of-the-western-hemisphere-108250
https://rabble.ca/news/2010/11/exclusive-aristide-haiti’s-earthquake-cholera-election-reparation-and-exile
https://libcom.org/history/slavery-emancipation-1848