Ce n’est pas seulement l’Europe ni l’Amérique du Nord qui sont concernées par les caprices de l’Atlantique Nord mais également le monde entier sur le long terme. Que s’est-il passé ces dernières décennies, depuis les deux optima climatiques qui ont caractérisé le milieu du XXe siècle, de 1930 à 1950 avec un léger refroidissement aux alentours de 1955-1965 puis de 1970 à 1995 ? Comme on pouvait s’y attendre il y a eu une fonte accélérée des glaces du Groenland, de la banquise arctique et des glaciers alpins. Il faut rappeler que la banquise est essentiellement constituée d’eau douce provenant des chutes de neige sur la fine pellicule de glace qui se forme à la surface de l’eau de mer quand la température a atteint une température de moins 2,5 degrés C. Durant ces périodes « chaudes » récentes des quantités importantes d’eau douce se sont donc déversées dans l’Atlantique en particulier dans la Mer du Labrador, cette partie de l’Atlantique Nord situé entre le Canada et le Groenland.
Or tout (ou presque tout) se passe justement dans ce petit coin de l’Océan Atlantique comme vous pouvez le découvrir dans la figure ci-dessus dont la compréhension requiert quelques explications.
La grande flèche rouge est le Gulf Stream qui va réchauffer l’est de l’Islande et même les fjords du nord de la Norvège. Ce courant se scinde en deux à peu près à la latitude des Iles britanniques et l’une des branches va contourner l’Islande par l’ouest – depuis une centaine d’années le port de Reikjavik n’a pas été pris par les glaces en hiver – et en butant sur le Groenland ce dernier diverticule du Gulf Stream, appelé le courant de Irminger, redescend vers le sud pour contourner la pointe sud du Groenland. Le long de la façade est de cette immense île un courant froid mais moins salé que le Gulf Stream arrive de l’Océan Arctique. Ce courant de surface est alimenté pour partie par la fonte de la banquise arctique et pour partie par la fonte naturelle des glaciers du Groenland – quand le climat est favorable – et comme le Gulf Stream est plus salé car il provient du Golfe du Mexique soumis à une intense évaporation ces deux courants ne se mélangent pas et vont donc buter dans le cul-de-sac de la Mer du Labrador. Il en résulte un gigantesque tourbillon tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre appelé par les spécialistes le « gyre » sub-polaire (SPG, en pointillé dans l’illustration).
Quand il « fait chaud » comme, en gros, entre les années 1940 et 1990 (excepté la petite période froide 1955-1965), le Gulf Stream et ses diverticules sont puissants et une partie de ce courant est poussée vers l’est par le gyre sub-polaire (flèches blanches d’eau moins salée donc plus légère dans la figure) conduisant à des conditions climatiques idéales en Europe. Par exemple il a pu être possible de cultiver la vigne loin dans le nord en Angleterre durant l’optimum climatique médiéval et lors de l’apogée de l’Empire Romain, et conséquence directe des conditions climatiques très favorables les glaciers alpins avaient tellement fondu que les Romains pouvaient récupérer des paillettes d’or dans les torrents d’altitude.
Malheureusement toutes les bonnes choses ont une fin et il arrive un moment où la situation s’inverse au niveau du gyre sub-arctique. Le courant arctique longeant le Groenland se met alors à charrier de plus en plus de glace – il est froid et moins salé que l’océan lui-même donc il circule en surface – et il va refroidir plus intensément le courant d’Irminger. Que se passe-t-il alors ? Le fameux gyre sub-arctique s’affaiblit, le Gulf Stream est moins bien dévié vers l’Est et toute l’Europe se refroidit. Ce phénomène qui est en train de se mettre en place ne date pas d’aujourd’hui mais déjà d’une dizaine d’années et il ne va aller qu’en s’aggravant !
Ce mécanisme complexe a été étudié par une équipe de paléoclimatologues de l’Université de Cardiff en analysant des carottes prélevées dans les sédiments de divers sites de l’Atlantique Nord. Tous les résultats obtenus sont corroborés par des évènements historiques connus qui constituent d’autres preuves des variations du climat tant en Europe qu’au Labrador, en Islande et au Groenland. Il faut donc s’attendre, selon ces travaux incontestables, à assister dans les prochaines années à un refroidissement brutal du climat en particulier en Europe. Rien de bien réjouissant … surtout quand on garde en mémoire le fait que le Soleil vient d’entrer dans un état de léthargie magnétique durable, au moins jusqu’à la fin du XXIe siècle selon les spécialistes de cet astre et que c’est le Soleil qui finalement est à la source de ces changements globaux de circulations océaniques dans l’Atlantique Nord.
Sources et illustration : nature.comm, doi : 10.1038/s1467-017-01884-8