La pharmacologie de haute précision, c’est déjà la réalité.

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Regeneron, une société de biotechnologies créée en 1988, s’intéressa initialement aux facteurs de régénération cellulaire, comme son nom l’indique ( http://www.regeneron.com/ ). Puis cette firme se diversifia dans le traitement de certaines formes de tumeurs cancéreuses vascularisées avec des inhibiteurs de l’angiogenèse (Aflibercept, une protéine recombinante) dont j’ai parlé dans un des billets de ce blog qui ont vu une application inattendue dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Depuis quelques mois Regeneron a changé de braquet en se lançant dans un programme ambitieux d’identification de gènes dont l’expression est défectueuse dans l’espoir d’intervenir directement sur ces derniers. Pour atteindre ce but, cette société s’est associée avec le système de santé de Pennsylvanie appelé Geisinger qui a accepté le libre accès aux dossiers médicaux de 250000 volontaires qui vont tous avoir, en prime, la totalité de leur ADN exprimé séquencé.
Une telle approche est maintenant permise sur le strict plan financier car séquencer un génome humain complet demande environ 48 heures de fonctionnement d’une machine entièrement automatique et le prix de revient de l’opération est maintenant de l’ordre de 1500 dollars. Il faut rappeler que le premier séquençage du génome humain coûta environ 3 milliards de dollars et dura 13 ans. Il y a encore 5 ans une telle analyse revenait à 20000 dollars. Les machines de séquençage, couplées à des super-ordinateurs, envahissent donc le domaine bio-médical et pharmaceutique et Regeneron a déjà identifié 250 cibles potentielles pour des drogues soit existantes soit à créer afin de traiter des situations cliniques aussi triviales que l’hypercholestérolémie ou encore l’obésité. Il s’agit d’une nouvelle application aux retombées potentielles considérables qu’on peut définir comme un ciblage par des drogues de défauts génétiques mineurs.

Dans un passé encore récent, une telle recherche était longue et extrêmement coûteuse car on partait un peu dans tous les sens et en quelque sorte à l’aventure. Un exemple suffit à illustrer la différence d’approche : on a découvert un peu par hasard que dans un petit village d’Italie beaucoup de personnes avaient presque le privilège d’avoir des taux de cholestérol et de triglycérides très faibles. On a recherché des descendants des familles originaires de ce village du nom de Campodimele et une grande majorité d’entre eux sont porteurs d’une mutation du gène Angptl3 et il a fallu près de 20 années pour comprendre quelle était la cause de ce phénomène et comment on pouvait l’interpréter pour imaginer une drogue pouvant agir sur l’expression de ce gène dont le produit est un facteur régulant le recyclage des lipides au niveau du foie. Les amateurs peuvent lire l’article en libre accès paru en 2010 ( DOI: 10.1056/NEJMoa1002926 ). Regeneron a déjà identifié 100 personnes porteuses de cette mutation sur les premiers 35000 séquençages déjà effectués, sans avoir été contraint d’aller dans un village perdu d’Italie pour retrouver la généalogie de personnes ayant peu de cholestérol et de triglycérides dans leur sang. Regeneron ne cible que les gènes exprimés, soit environ 2 % de la totalité de notre ADN et une analyse, plus rapide que celle de la totalité de l’ADN revient à seulement 700 dollars mais il y a un débat actuel au sujet de cette approche car les zones non codantes de l’ADN comprennent aussi des séquences régulatrices et il est probable que l’approche limitée de Regeneron passe à côté d’aspects intéressants de certains « défauts » génétiques pouvant éventuellement être pris en charge par des thérapeutiques du genre microRNA ou CRISPR.

On entre donc dans la médecine de précision au niveau moléculaire et Regeneron, en partenariat avec Sanofi, espère sortir une molécule anti-cholestérol qui bloque le produit du gène PCSK9 impliqué dans l’homéostase du cholestérol et des LDLs. On s’est en effet rendu compte que les personnes présentant une mutation sur ce gène rendant son produit inactif présentaient des taux de cholestérol anormalement bas. Le chiffre d’affaire escompté pour ce produit serait de l’ordre de 4 milliards de dollars annuellement d’ici 4 années.

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Dans la même veine, la société Amgen a acheté le fichier génétique de 2636 Islandais afin de découvrir pour quelle raison les habitants de ce pays avaient un plus gros risque de souffrir de la maladie d’Alzheimer que d’autres populations. Il en est de même pour des fichiers de malades souffrant de la maladie de Parkinson ou de lupus. Reste à contrôler ces travaux car l’approche choisie peut aussi déboucher sur des abus en tous genres : pourquoi pas une drogue pour modifier la couleur des cheveux ou de la peau ? On est donc à un véritable tournant dans l’approche pharmacologique et l’avenir sera passionnant et plein de surprises.

Source et illustrations : Reuters

Trisomies et autres gènes : Entre tests de dépistage et tests de diagnostic il faudra choisir …

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Depuis la montée en puissance des machines d’analyse automatique d’ADN toutes les portes vers l’inconnu génétique se sont ouvertes, pour le pire mais aussi pour le meilleur. Par exemple il ne faut pas se leurrer car ces techniques d’analyse pourraient aboutir à une certaine forme d’eugénisme sophistiqué et basé non plus sur l’apparence, en d’autres termes le phénotype ou l’expression visible de nos gènes, mais sur le contenu génétique de chacun de nous. L’époque où le bel aryen blond aux yeux bleus était sélectionné pour établir un peuple pur est révolue. Les robots d’analyse de l’ADN répondent déjà, moyennant quelques milliers de dollars, à vos angoisses existentielles. Angelina Jolie a repoussé les limites du nombrilisme en se faisant enlever les deux glandes mammaires et maintenant les ovaires parce qu’elle dispose malencontreusement des deux allèles du gène BRCA1 prédisposant aux cancers du sein et des ovaires. Cette actrice fort belle par ailleurs incarne le nombrilisme, certes, mais aussi une forme d’eugénisme redoutable. Elle a ouvert une porte dangereuse et la publicité qui a entouré son choix de mutilation volontaire va certainement motiver des centaines de milliers de femmes dans le même sens, à savoir la recherche des éléments d’information génétique risqués. La boite de Pandore est donc ouverte pour le plus grand profit d’une société comme Illumina par ailleurs fabricant des robots de séquençage d’ADN et leader dans ce domaine.

C’était pour le pire des aspects de cette nouvelle technologie issue de la biologie moléculaire mais il y a aussi « le meilleur » si l’on peut dire les choses ainsi.

La détection prénatale de la trisomie 21 ou syndrome de Down (et des trisomies 13 et 18) constitue une préoccupation sociétale majeure. Il y a encore trente ans les femmes enceintes dites à risque, nullipares et ayant dépassé l’âge de 35 ans, n’étaient pas systématiquement soumises à la recherche de la trisomie car il s’agissait d’un protocole relativement lourd. L’intervention appelée amniocentèse consistait (et consiste toujours) à prélever un échantillon de liquide amniotique dans l’utérus et n’était pas anodine puisque cette opération conduisait pour une femme sur 600 à une fausse-couche. Il fallait ensuite cultiver les fibroblastes fœtaux recueillis tant bien que mal et établir un caryotype en faisant un cliché au microscope de cellules en cours de doublement (mitose). Il fallait ensuite faire un tirage photographique des chromosomes et les classer en découpant la photographie pour déterminer si tout était normal. Il fallait avoir un œil assez exercé pour effectuer ce genre de travail qui était monstrueusement coûteux mais la détection de la trisomie 21, comme des trisomies 13 et 18, beaucoup plus rares, en justifiait l’infrastructure généralement hospitalière occupant à plein temps plusieurs personnes. L’amniocentèse ne pouvait pas être pratiquée avant trois mois et demi de grossesse afin de ne pas endommager le placenta ou au pire le fœtus.

Avec le développement des techniques automatiques et rapides de séquençage de l’ADN ou de l’ARN, on s’est rendu rapidement compte que dans le sang maternel on retrouvait de l’ADN foetal qui pouvait être amplifié et séquencé. Il n’est donc pas difficile de comprendre les enjeux économiques d’une telle approche et les grands laboratoires pharmaceutiques se sont bien entendu précipité sur l’opportunité à saisir en particulier les laboratoires Roche qui expérimentent un test appelé Harmony déjà utilisé chez près de 16000 femmes enceintes présentant peu de risques de trisomie car toutes âgées de 30 ans au maximum. Le corps médical, toujours un peu réticent devant l’innovation, a conseillé aux femmes dont le test Harmony révélait une trisomie 21 de se soumettre à une amniocentèse de contrôle. Le test de Roche identifia tous les 38 cas confirmés par la suite alors que l’approche traditionnelle n’en avait révélé que 30. Pour bien comprendre ce dont il s’agit ces 16000 femmes faisaient partie à leur insu d’un essai clinique en phase 3 et avaient donc vu leur sang analysé et subi une amniocentèse. Neuf faux positifs ont été identifiés mais parmi ces 16000 femmes le test ne fut pas réalisable pour 600 d’entre elles en raison de la faible teneur en ADN foetal dans le sang maternel. S’il s’agit d’une étude supposée réalisée pour promouvoir le test Harmony de Roche et financée par ce dernier, d’autres start-up impliquées avant ce géant du diagnostic dans le dépistage des trisomies ne tolèreront pas cette attitude agressive de Roche auprès du corps médical. Car il y a de gros problèmes de protection industrielle entre la société Sequenom et Ariosa. Ariosa a été racheté par Roche mais le test mis au point par cette société, justement le test Harmony, contrefait un brevet déposé par Sequenom. La situation est douteuse dans la mesure où Sequenom a acquis les droits du brevet faisant l’objet de litiges auprès de la société Isis et ce brevet expire en 2017. Autant dire qu’il y a urgence à se positionner.

Encore une fois l’efficacité de ces tests varie selon les études, les faux positifs variant de 0,01 à 0,2 %, ce qui laisse une grande marge pour confirmer au final le test par une amniocentèse, business is business. Enfin, le corps médical ne peut pas se permettre de prendre des risques ni professionnels vis-à-vis de ses patientes ni juridiquement. S’agit-il de tests de dépistage ou de diagnostic ? La confusion n’a pas lieu d’être puisque la nuance n’apparaît plus, dans le cas de la détection des trisomies à l’aide des techniques modernes de la biologie moléculaire. Il s’agit en effet d’un dépistage rapide, précoce (moins de dix semaines après les dernières règles), non invasif et déjà remarquablement fiable. La biologie moléculaire devra rester un outil pour le corps médical qui a parfaitement raison d’évoluer lentement et prudemment, car cette technologie permettra beaucoup d’autres diagnostics (et dépistages rendus ainsi possibles) qui feront partie du quotidien dans quelques années.

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Source : Thomson Reuters et New England Journal of Medicine et pour les curieux en ce qui concerne les faux-positifs cet article en libre accès : http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1408408#t=articleTop

Le décalage horaire (suite)

Décidément plus on vieillit et plus on appréhende les changement dans le quotidien car la routine est rassurante, on se créé des repères pour régler sa vie, des repères d’ailleurs sans aucune importance et totalement fictifs, comme par exemple aller à une heure fixe boire le café matinal. A dix heures du matin et non pas à 9h30 ni 11h sinon le reste de la journée est perturbé. Curieusement la procrastination envahit progressivement le quotidien. Par exemple, je m’étais fixé comme objectif de convertir en HTML l’ensemble des billets de mon blog il y a six mois pour tout imprimer et contempler avec admiration et une autosatisfaction non dissimulée le résultat de mes milliers d’heures passées à scruter l’écran de mon MacBook afin de déceler un sujet susceptible de m’intéresser et par voie de conséquence également susceptible d’intéresser mes lecteurs. Une somme de travail et souvent de loisirs considérable, près de trois mille pages, qui pourrait faciliter les recherches que j’effectue parfois dans mon propre blog.

Par exemple j’ai écrit quelques billets sur le décalage horaire (voir les liens) et pour moi un voyage au Japon constitue une gigantesque perturbation dans ma vie presque réglée comme du papier à musique. Apparemment la science n’avance pas très vite dans ce domaine. On en est encore au stade des conjectures. On sait que certains gènes sont activés par la lumière et que l’organisme doit s’adapter à tout changement induit artificiellement dans l’alternance entre les jours et les nuits. Il n’existe que très peu de modèles animaux pour procéder à des expérimentations directes, inutile de rappeler que les expériences sur le cerveau humain sont proscrites et c’est là qu’on peut apprécier à sa juste valeur la créativité des biologistes qui s’orientent progressivement vers une expérimentation sur des cellules en culture plutôt que de martyriser des animaux et ensuite les découper en rondelles. Mais il y a une autre motivation dans cette orientation, les cellules en culture ouvrent aussi la voie vers le screening haute fréquence pour tenter de trouver une molécule chimique susceptible d’agir sur un nœud particulier du métabolisme ou de l’expression de gènes critiques dans une situation induite à dessein comme, justement, le décalage horaire. Comment imaginer étudier le décalage horaire avec des cultures de cellules ? On peut envisager de réaliser ce genre d’étude avec des mouches du vinaigre, la drosophile, cet animal de laboratoire bien connu des généticiens, mais des cellules, autant dire de la science-fiction.

La perception de l’alternance jour-nuit est initialement effectuée dans une petite partie de l’hypothalamus qui se situe juste au dessus du chiasma optique, cette zone où les nerfs optiques se croisent, le noyau suprachiasmatique, normal puisque la lumière est véhiculée vers le cerveau sous forme d’impulsions électriques depuis la rétine jusqu’au cerveau. C’est un tout petit truc qui comporte à peine vingt mille neurones mais qui commande tout l’organisme et l’aide à s’adapter à ces changements entre le jour et la nuit qui peuvent intervenir.

Jusque là rien de bien nouveau mais ce qui est surprenant est que presque toutes les autres cellules de notre organisme sont sensibles à cette alternance entre le jour et la nuit, et pas seulement la rétine ou la peau, des tissus directement exposés à la lumière, mais également les cellules du foie, aussi incroyable que cela puisse paraître. Comme je l’expliquais dans un précédent billet, notre patrimoine génétique est capable d’aboutir à environ 400 sortes de cellules qui constituent les différents organes et fonctions de notre organisme (voir le lien) et toutes ces cellules différenciées et différentes les unes des autres conservent toutes une série de gènes sensibles à la lumière aussi contre-intuitif que cela puisse paraître à première vue. On est en droit de se demander comment et pourquoi, par exemple, une cellule du foie respecte l’alternance jour-nuit. Tout simplement parce l’information est toujours inscrite dans son ADN et la régulation de l’expression de ce dernier est contrôlée subtilement par un système très précis de signaux qui dépendent de l’alternance entre la lumière et l’obscurité, on appelle ça des oscillateurs circadiens. Comment ça marche ? Cette question me rappelle un émission de télévision de vulgarisation scientifique présentée par un type complètement débile qui visiblement ne comprenait strictement rien à ce qu’il racontait, mais je vais tenter ici d’expliquer aussi simplement que possible justement comment tout ce système fonctionne, encore qu’il sera nécessaire d’entrer dans les détails. L’ADN, c’est plus de trois milliards de base, une cinquantaine de milliers de gènes dont près de 2500 d’entre eux codent pour des protéines de signalisation, ces facteurs de transcription, activateurs et répresseurs, cet ADN est soumis à une organisation et un contrôle d’une finesse extrême sinon ce serait tout de suite n’importe quoi. L’alternance jour-nuit agit en cascade sur une série de gènes exprimant justement des activateurs et des facteurs de transcription qui en quelque sorte prennent le contrôle de la cellule, par exemple une cellule du foie qui n’a jamais vu la lumière ! Ce n’est pas si difficile de comprendre pourquoi même les cellules du foie sont dépendantes de l’alternance entre le jour et la nuit, tout simplement parce que le foie doit effectuer certaines missions quand on est éveillé et d’autres fonctions, entre autres des détoxifications ou la synthèse d’acides gras, quand on dort, pas la petite sieste crapuleuse (ou non) de l’après-midi mais la vraie nuit de 7 à 8 heures, et ces gènes sensibles à la lumière interviennent pour rediriger l’activité cellulaire vers une mission métabolique particulière. Tout est soumis à des activateurs de la transcription, nommément les gènes BMAL1 et CLOCK, qui vont contrôler l’expression d’une série de répresseurs. Inutile de faire ici une énumération exhaustive de ces outils de régulation mais pour faire court il y en a une dizaine qui agissent pour réguler l’expression des gènes et donc l’activité métabolique globale de la cellule. Les curieux peuvent lire l’article paru dans PlosOne et immédiatement se rendre compte que le processus de régulation est d’une complexité extraordinaire qui a pour résultat une vague de transcriptions de gènes selon qu’il fait jour ou qu’il fait nuit.

Les biologistes qui ne sont décidément pas à court d’idées ont imaginé un moyen permettant de visualiser le fonctionnement de cette régulation et il n’y a pas tellement de méthodes pour y arriver sans perturber le fonctionnement de la cellule. Le choix s’est porté sur des lignées de cellules particulières dont on connaissait la propension à réagir à la lumière, des adipocytes (3T3-L1), ces cellules qui stockent les graisses, et des hépatocytes (MMH-D3) qui fonctionnent comme n’importe quelle cellule du foie. Comme il fallait une sorte de contrôle de vulgaires fibroblastes feraient l’affaire. L’astuce a consisté à marquer les gènes sensibles à la lumière avec un système enzymatique émettant lui-même de la lumière quand ils sont activés. Cet outil a été isolé du vers luisant et constitue un moyen d’étude commun dans les laboratoires de biologie. Il est introduit dans l’ADN des cellules que l’on veut étudier à l’aide d’un virus (un lentivirus) dont l’ADN a été modifié à cet effet. Et le résultat est immédiat, les cellules émettent de la lumière verte comme la queue d’un vers luisant quand les gènes soumis à l’alternance jour-nuit sont exprimés ! Et c’est carrément spectaculaire, il suffit de voir l’illustration ci-dessous tirée de l’article de PlosOne (voir le lien) pour comprendre ce qui se passe avec quelques milliers de cellules en culture dans une petite alvéole d’une plaque en plastique comprenant 96 alvéoles semblables qui sont adaptées pour être lues par un robot qui va donner à manger à ces cellules des millions de molécules chimiques synthétiques pour observer automatiquement ce qui se passe.

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Mais comme les biologistes ne sont pas en reste dans le domaine de l’imagination, ils disposent également de milliers de lignées de souris dont on a annihilé par diverses techniques l’expression de certains gènes ainsi que des moyens directs pour annuler l’expression de ces gènes avec des cellules en culture. A l’aide de ces modèles, un gène impliqué dans la régulation des cycles jour-nuit a pu être identifié (Per) et il n’est pas surprenant que par exemple ce gène n’intervient en aucun cas au niveau des cellules des poumons, des reins ou du cœur qui doivent continuer à fonctionner quelle que soit la position du soleil dans le ciel. L’avenir dira s’il est possible d’influer sur l’horloge interne de notre organisme et malgré la haute sophistication de ce nouvel outil d’étude dont disposent maintenant les biologistes il n’est pas certain qu’une molécule chimique étrangère à la vie naturelle puisse agir favorablement sur ce mécanisme extrêmement complexe que constitue le rythme circadien auquel tout notre organisme est soumis.

Cette remarquable étude est le résultat d’une collaboration entre les Universités de Californie à San Diego, de Pennsylvanie à Philadelphie et du Tennessee à Memphis.

 

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/03/22/jet-lag/

https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/08/31/le-jet-lag-quelle-misere-peut-etre-une-solution/

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/03/28/un-genome-400-sortes-de-cellules-comment-ca-marche/

http://www.plosgenetics.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pgen.1004244

 

Maladie de Parkinson : ça se complique !

Les modèles animaux de la maladie de Parkinson n’existent pas et l’étude des mécanismes biologiques de cette maladie sont donc malaisés puisqu’il est impossible de réaliser des expérimentations sur l’homme. Les biologistes confrontés à cette redoutable dégénérescence cérébrale se contentent donc d’étudier post mortem le cerveau des malades. On peut cependant induire chez l’animal et en particulier chez les primates des symptômes proches de la maladie avec deux produits parmi d’autres qui agissent sur l’activité des mitochondries. Il s’agit de la roténone, un insecticide bien connu utilisé notamment en spray pour exterminer les insectes volants et le CCCP ou carbonyl cyanide m-chlorophenyl hydrazone, ne pas confondre avec URSS. Ces deux produits agissent en bloquant le gradient électrique en place dans la mitochondrie pour produire de l’énergie. Mes lecteurs sont familiers du rôle des mitochondries dans les cellules y compris les neurones. Dans le cerveau les mitochondries brûlent en effet du glucose pour fournir à la cellule de l’énergie sous forme d’ATP ou adénosine-triphosphate qui permettra aux neurones de fonctionner normalement non seulement en ce qui concerne leur principale activité de transmission de signaux électriques mais également dans leur fonctionnement métabolique et sa régulation.

On a découvert, en étudiant des formes familiales de maladie de Parkinson liées à des mutations (voir les deux billets relatifs à ces études) que deux gènes au moins, parmi d’autres, étaient impliqués dans la maladie, les gènes PINK1 et Parkin. Lorsque ces deux gènes sont inactivés par une mutation, la maladie de Parkinson apparaît inévitablement et précocement. Le produit du gène PINK1 intervient dans le processus d’élimination des déchets par la mitochondrie (billet du 20 janvier 2014) mais on ne savait pas du tout si les deux gènes, PINK1 et Parkin interagissaient ni quels pouvaient être leurs rôles respectifs dans le développement de la maladie quand ils étaient défectueux à la suite d’une mutation (maladie de Parkinson familiale).

Le gène PINK1 code pour un enzyme de la classe des kinases qui a pour rôle d’introduire un phosphate spécifiquement sur une protéine, mais on ignorait quel était précisément son implication dans la cascade d’évènement métaboliques et protéiques conduisant à la maladie. Le produit du gène PINK1 est certes impliqué dans la détoxification des mitochondries des neurones, mais il s’agit plus d’une observation que de l’explication de son mécanisme intime d’action. Ce que l’on savait également c’est que les deux drogues, roténone et CCCP, activent l’expression du gène PINK1. C’est compréhensible car si le produit de ce gène est directement impliqué dans la détoxification mitochondriale, ces deux drogues conduisent en effet le plus souvent à la destruction des mitochondries sinon à de graves perturbations de leur état fonctionnel. Encore une fois il s’agit plus d’une conséquence que d’une cause première mais qui permet tout de même de comprendre pourquoi une mutation sur ce gène provoque la maladie de Parkinson, les mitochondries devenant progressivement endommagées. Le gène Parkin englobe en réalité une famille de gènes appelés PARK qui codent pour diverses protéines dont les fonctions respectives sont encore mal connues. L’un des gènes, PARK3, code pour une protéine appelée parkine qui intervient dans la dégradation des protéines en choisissant en quelque sorte quelle protéine devenue inutile doit être dégradée par la cellule. Cette action est elle-même régulée par ce que l’on appelle des ubiquitines , des petites protéines présentes dans toutes les cellules, d’où leur nom car elles ne sont pas vraiment spécifique d’un type de cellules précis, qui vont interagir avec la parkine et aboutir à la dégradation de la cible choisie. Mais le système doit être parfaitement régulé sinon ce sera, pour utiliser un terme plus compréhensible après cette énumération ésotérique, un vraie pagaille dans la cellule. Et c’est justement ce qui arrive dans la maladie de Parkinson, la dégradation des protéines « inutiles » finit par se faire en dépit du bon sens et le système de nettoyage cellulaire peut arriver à faire aussi des erreurs dans son système de ciblage ou devenir complètement inefficace. Or l’une des caractéristiques histologiques de la maladie de Parkinson est l’accumulation dans les neurones des fragments d’une petite protéine, l’alpha-synucléine dans des inclusions appelées corps de Lewy qui tuent purement et simplement les neurones.

Mais toutes ces observations ont été obtenues en étudiant les cas dits génétiques de la maladie de Parkinson puisqu’encore une fois il n’y a pas de modèle animal satisfaisant. S’il y a en réalité une bonne raison pour incriminer un dysfonctionnement des mitochondries puisque de nombreuses évidences tendent à le prouver, le gène PINK1 doit donc jouer un rôle central. Or en étudiant ce que l’on appelle le phosphoprotéome on a découvert quelle était la cible de ce gène. Je m’arrête un petit instant sur ce mot monstrueux parce qu’il faut comprendre ce qu’il signifie pour tenter de comprendre aussi la suite de ce billet. Le gène PINK1 code pour une kinase or il existe des moyens expérimentaux relativement simples pour analyser toutes les protéines qui ont reçu un groupement phosphate dans des conditions bien précises. En matraquant les mitochondries avec la drogue mentionnée plus haut, le CCCP, l’analyse de toutes les protéines nouvellement phosphorylées, donc le phosphoprotéome, a révélé que l’une d’elles était 14 fois plus abondante par rapport à un contrôle, c’est-à-dire sans avoir utilisé de CCCP. L’équipe de biologistes de l’Université de Dundee qui a conduit les travaux a eu la surprise de découvrir qu’il s’agissait d’une ubiquitine qui, une fois porteuse d’un phosphate dans une position bien précise devient un puissant activateur de l’expression du gène Parkin ! Plus incroyable encore la même kinase, produit du gène PINK1 je le rappelle, transfert également un groupe phosphate sur la parkine elle-même pour en activer l’action. Il y a tout de même un lézard si on veut poursuivre la réflexion consistant à dire que puisque le produit du gène PINK1 modifie deux protéines justement impliquées dans le nettoyage cellulaire et en particulier celui des neurones, alors le résultat de cette action sera préventif sinon curatif en ce qui concerne la maladie de Parkinson. Les choses ne se passent peut-être pas tout à fait de ce manière puisque les malades portant une mutation sur le gène codant pour la parkine et ayant développé la maladie de Parkinson n’avaient pas de corps de Lewy dans leurs neurones. Il semblerait que le système de nettoyage activé par l’action du produit du gène PINK1 soit plus compliqué qu’il n’y paraît mais qu’il est néanmoins étroitement dépendant de l’état de phosphorylation de l’ubiquitine impliquée dans le complexe intervenant dans ce nettoyage mais aussi, à l’évidence selon les travaux de l’équipe de l’Université de Dundee, que le gène Parkin joue un rôle dans ce processus à condition que la phosphorylation soit correctement régulée.

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En conclusion de ce billet plutôt compliqué, mais il est difficile de faire simple quand le degré de complexité a dépassé les limites soupçonnées, si la recherche sur la maladie de Parkinson progresse, elle progresse aussi dans la complexité ! La mise au point de molécules susceptibles d’intervenir dans le mécanisme de nettoyage cellulaire et de détoxification, par exemple des activateurs de l’expression du gène Parkin, demandera encore de nombreuses années de travail.

Source : University of Dundee News

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/01/20/parkinson-et-mitochondries/

https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/10/25/maladie-de-parkinson-un-espoir-encore-lointain-de-traitement/

 

 

Un génome : 400 sortes de cellules ! Comment ça marche ?

Notre organisme est constitué d’environ 400 types de cellules différentes et pourtant elles possèdent toute la même information génétique qui se trouve répartie dans les 23 chromosomes. Cette information codée dans l’ADN correspond à environ 50000 gènes codant pour 50000 protéines différentes couvrant une large panoplie de fonctions, que ce soient des enzymes, des protéines de structure ou de régulation. La classe la plus abondante de ces protéines est formée par les facteurs de transcription qui ont pour rôle de se fixer sur l’ADN et de contrôler sa transcription en ARN messager. L’ARN messager sert alors de guide à une machinerie enzymatique complexe, les ribosomes, qui est en charge de synthétiser les protéines. On peut faire une comparaison avec un télex, ça n’existe plus depuis le développement d’internet mais son fonctionnement aide à comprendre comment les choses se passent dans la cellule. On commençait à écrire un texte avec une machine à écrire, ce serait l’ARN polymérase (l’enzyme qui copie le code génétique de l’ADN pour le transformer en ARN) qui éditait une bande perforée, dans notre comparaison l’ARN dit messager, et celle-ci était ensuite introduite dans le télex qui la lisait et la traduisait en document, pour nous ici la protéine. Pour être complet dans cette comparaison, le rôle de l’ADN est matérialisé par l’opérateur qui possède l’information sur le texte qu’il compose sur le clavier de la machine à perforer la bande comme l’ADN possède les informations génétiques.

Pour que la même information génétique conduise à au moins 400 cellules de types différents dans l’organisme il faut donc qu’un mécanisme de régulation très précis fonctionne et module finement l’expression de ces quelques 50000 gènes et c’est le rôle de ces facteurs de transcription dont on a décrit environ 2500 variétés, soit 5 % de l’ensemble des gènes exprimés de tout l’ADN. C’est loin d’être négligeable et il faut tout cet attirail de clés et de serrures, en quelque sorte, pour qu’une cellule devienne un neurone, un globule blanc, une cellule cardiaque, un cône ou un bâtonnet de la rétine ou une cellule capable de produire un cheveu.

Depuis le début des années 2000 le Riken Institute à Yokohama, dans le sud de l’agglomération de Tokyo, s’est intéressé à l’expression des ARN qu’on appelle messagers (la bande perforée du télex) et le projet appelé FANTOM que cet institut a créé et mis en place englobe maintenant plus de 250 personnes réparties dans 114 laboratoires de 20 pays de par le monde.

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En appliquant une technique (CAP, voir la figure) mise au point au Riken Institute consistant à repérer l’ARN messager au début de sa synthèse et avec des machines automatiques de séquençage devenues au fil des années extrêmement performantes, précises et rapides, les résultats se sont accumulés et ont permis de se faire une bonne idée de la différenciation cellulaire. Pour bien comprendre comment les choses se passent, il faut garder en mémoire le schéma ci-dessous (Wikipedia) où figurent des portions de séquence de l’ADN particulières situées en amont du gène qui va être transcrit par l’ARN polymérase.

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Il y a les protomères reconnus par les facteurs de transcription et sur lesquels ces derniers se fixent et il y a aussi les séquences d’ADN dites activateurs (enhancers) sur lesquelles vont se fixer les protéines activatrices qui forment un complexe avec les facteurs de transcription pour décider au final si l’ARN polymérase peut fonctionner ou non, c’est-à-dire générer l’ARN messager qui conduira à la protéine correspondant au gène. Le projet FANTOM coordonné par le Riken Institute a répertorié pas moins de 180000 séquences de protomères et 44000 séquences d’activateurs. Ca fait beaucoup mais il faut tout cet attirail pour que la régulation de l’expression des gènes puisse conduire à la différenciation cellulaire telle qu’on peut l’observer.

On peut faire une estimation arithmétique rapide mais cependant éloignée de la réalité, chaque gène serait sous le contrôle de près de 4 protomères différents et les quelques 2500 facteurs de transcription, agissant chacun sur 20 gènes différents (50000/2500), permettraient donc une combinaison d’environ 500 possibilités, en gros le nombre de cellules différentes décrites : (2500×4)/20. Naturellement, c’est une estimation de mon cru en appliquant une statistique grossière qui ferait hurler d’horreur n’importe quel coauteur de cette étude mais ce qui n’est pas difficile à comprendre c’est que la moindre erreur et c’est la pagaille assurée, par exemple une cellule qui devient cancéreuse. Toute l’étude a d’ailleurs été réalisée initialement avec des cellules saines mais les cellules cancéreuses n’ont pas été non plus négligées.

Le Docteur Alister Forrest, coordinateur scientifique du projet dit les choses ainsi et je n’ai fait que reprendre ses propos : « Les êtres humains sont des organismes multicellulaires complexes composées d’au moins 400 types cellulaires distincts. Cette belle diversité de types de cellules nous permet de voir, de penser, d’entendre, de se déplacer et de combattre les infections alors que tout cela est codé dans le même génome. La différence entre toutes les cellules provient des parties du génome qu’elles utilisent – par exemple, les cellules du cerveau utilisent des gènes différents de ceux des cellules du foie, et donc ils travaillent très différemment. Dans FANTOM5, on a pour la première fois systématiquement étudié exactement quels gènes sont utilisés dans presque tous les types de cellules à travers le corps humain, et les régions qui déterminent cette utilisation lorsque les gènes sont lus à partir du génome ».

Cette immense somme de travail a fait l’objet d’une salve d’articles publiés ce 27 mars 2014 qui décrivent en détail comment, entre autres exemples les mastocytes, des cellules de la lignées sanguine, se différencient en dehors de la moelle osseuse d’où elles proviennent pour remplir leurs fonctions protectrices une fois qu’elle ont ciblé l’organe vers lequel elles doivent intervenir et pourquoi elles sont différentes des globules blancs dits basophiles. Cette sorte d’exception était encore mystérieuse il y a à peine deux ans.

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L’illustration ci-dessus tirée de l’article de Nature (voir le lien et les notes en fin de billet) montre la complexité de ce mécanisme de régulation mais il est intéressant de noter, ce qui n’est pas apparent dans cette figure, que les gènes essentiels à la vie de la cellule, ce que les biologistes appellent les gènes « housekeeping », un terme pas très facile à traduire en français mais qui signifie que sans l’expression de ces gènes la cellule ne peut pas vivre, les promoteurs de ces gènes sont hautement conservés dans tous les types de cellules. Pour les autres gènes, les sites de début de transcription sont des entités composites dont la diversité est matérialisée par le diamètre des petites sphères dans l’illustration. Pas surprenant que les cellules du testicule qui doivent exprimer pratiquement tous les gènes pour produire les gamètes mâles disposent d’une panoplie étendue de promoteurs, pas surprenant non plus que les hépatocytes, les cellules du foie, qui sont multitâches, jouissent d’une plus grande flexibilité pour exprimer toutes sortes d’enzymes indispensables à leurs fonctions métaboliques ou de détoxification. Par contre les cellules épithéliales sont hautement spécialisées et la diversité des promoteurs est faible. Belle illustration de la complexité du vivant et la recherche en génétique réserve encore de nombreuses surprises en particulier en affinant les mécanismes d’apparition des cellules cancéreuses probablement grâce à ce type d’approche comme cela est suggéré dans l’illustration.

Sources : Riken Institute News et Nature (doi:10.1038/nature13182)

Illustrations : Wikipedia et Nature.

Note : l’illustration tirée de Nature (capture d’écran) a été insérée dans ce billet sans l’autorisation des éditeurs mais comme mon blog n’a pas de vocation commerciale, il n’y figure notamment aucune publicité, je suppose que ces éditeurs n’en seront pas offusqués. FANTOM5 est le cinquième rapport du projet Fonctional ANnoTation Of the Mammalian genome promu et dirigé par le Riken Institute. A noter qu’aucun laboratoire français n’a participé à cette étude multinationale extraordinairement innovante.

Notre arbre généalogique se précise

Selon les récentes études génétiques d’un homme de Néanderthal (un deuxième spécimen est en cours de séquençage) cette sous-espèce humaine divergea de l’homme de l’Afrique de l’Est dont nous sommes tous issus aujourd’hui il y a environ 500 000 ans. Si l’hypothèse de l’origine des hominidés situe cette dernière quelque part dans la vallée de l’Omo, il y a donc eu plusieurs vagues d’ « émigration » depuis ce berceau de l’humanité. N’en déplaise aux créationistes la vallée de l’Omo ne se trouve pas en Palestine ni dans le Sinaï … Bref, un demi million d’années n’a pas totalement suffi pour que l’Homo sapiens sapiens qui rencontra ces survivants (les Néanderthaliens) de la première vague d’émigration il y a quelques 50 à 80000 ans en Europe fasse que le fruit de leurs fornications soit stérile comme sont stériles les fruits de la monte d’une ânesse par un cheval ou l’inverse.

Nos ancêtres directs ont donc bien forniqué avec les Néanderthaliens et vice-versa et le résultat est que nous trainons en nous des gènes néanderthaliens qui ne sont pas tous bénéfiques. C’est ce qu’a montré une étude réalisée à l’Université d’Harvard en collaboration avec le laboratoire du Docteur Svante Pääbo (Max Plank Institute for Evolutionary Anthropology en Allemagne) après analyse des ADN et des variants génétiques de 846 personnes européennes ou nord-américaines sans origine africaine, 176 personnes d’Afrique sub-saharienne et l’ADN d’une femme (femelle) qui vivait en Sibérie il y a 50000 ans à partir de l’os d’une phalange comme la jeune fille de l’autre sous-espèce Denisovan (voir : https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/12/05/nos-ancetres-lointains-etaient-des-vraies-betes-de-sexe/ ).

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Les 176 ADN provenant d’une population sub-saharienne supposée n’avoir jamais été en contact direct avec les Néanderthaliens ont en quelque sorte servi de contrôle qui a mis en évidence des variations génétiques chez les Européens et non chez ces sujets sub-sahariens. L’étude a montré que certaines zones du génome étaient riches en ADN néanderthalien alors que d’autres parties en étaient totalement dénuées ou au moins beaucoup moins que la moyenne. La teneur, si l’on peut parler ainsi, d’informations génétiques modifiées provenant des Néanderthaliens n’excède par quelques centaines de milliers de paires de bases sur tout le génome, tout au plus entre 1,5 et 2,1 % du génome et pourtant malgré cette très faible information, elle est pourtant importante en ce qui concerne par exemple la synthèse de la kératine. Cette adaptation spécifique des Neanderthaliens a peut-être contribué à leur acclimatation à des environnements différents de celui que connaissaient leurs ancêtres africains. D’autre part un certain nombre d’allèles spécifiques ont été bien identifiés car ils confèrent une sensibilité accrue à certaines maladies et peut-être que ces gènes sensibilisateurs proviennent de l’endogamie intense qui avait conduit chez les Néanderthaliens à une uniformité génétique comme on la rencontre chez certains animaux comme les léopards.

De plus, cette étude a montré clairement que les Neanderthaliens et les Denisovans se sont rencontré à un moment ou un autre au cours des quelques 400000 ans qui ont suivi leur exode d’Afrique. Enfin, certains gènes de Dénisovans ont été retrouvés en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Australie et aux Philippines mais également sur le continent asiatique. On peut dès lors se faire une idée assez précise des différents types de populations d’hominidés que rencontrèrent nos ancêtres directs lorsqu’ils partirent d’Afrique il y a environ 100000 ans pour envahir la totalité du continent eurasien : des Néanderthaliens depuis l’Europe de l’ouest jusqu’à en gros l’Oural, deux populations de Denisovans et un groupe hypothétique encore inconnu. La divergence entre Néanderthaliens et Denisovans est un événement beaucoup plus ancien puisqu’il daterait, selon la dérive génétique naturelle qui est une loi s’appliquant à tous les êtres vivants, d’au moins 1,4 millions d’années.

Naturellement la question qui se pose est de comprendre d’abord comment ces populations ancestrales qui avaient divergé aussi longtemps auparavant pouvaient encore être interfécondes et donner lieu à une descendance fertile conduisant à ce mélange de gènes incroyable mais l’autre question à laquelle il sera difficile de répondre sans raisonnement anthropomorphique est l’avantage qui résultait de ces « croisements ». Cette dernière remarque me rappelle les recherches généalogiques que j’ai pu mener à bien sur les origines de ma famille paternelle. Celle-çi est issue d’un petit village du Bugey dont la population n’avait jamais dépassé le millier d’habitants mais fait extraordinaire plus de la moitié de la population de ce village était identique sur le plan patronymique, certes il y avait les J. du haut du village et les J. du bas et les mariages étaient strictement réglementés par le curé afin d’éviter l’endogamie. Mais il arrivait parfois qu’une fille nubile se fasse engrosser par un colporteur venu d’Italie (le Bugey faisait partie du duché de Savoie), alors la famille s’arrangeait pour lui trouver un mari contre quelques pièces d’or mais ce genre d’évènement constituait un apport de sang « neuf » et donc de gènes appréciables. On peut imaginer que les groupes humains ayant émigré d’Afrique par vagues successives purent survivre à l’endogamie gràce à l’arrivée de ces nouvelles « invasions » qui avaient pourtant très peu de chances de se rencontrer et les Néanderthaliens n’ont finalement pas survécu à l’inbreeding, pardon l’endogamie, qui devait miner leur santé depuis des centaines de milliers d’années.

Un dernier point intéressant de cette étude est la présence de gènes spécifiques de la stérilité mâle et de la maturation des testicules dans le chromosome Y ainsi que des gènes présents dans le chromosome X. Cette observation pourrait être liée au fait que nos ancêtres directs (Homo sapiens sapiens) et les Néanderthaliens n’auraient pas du pouvoir se croiser sexuellement avec succès en raison de leur divergence de longue date, ils ont pourtant réussi …

Pour conclure, il faut rappeler que dans les années 50 et 60, au beau milieu de la guerre froide, des travaux furent entrepris par les militaires du bloc soviétique pour tenter de produire des super-singes ou des sous-hommes, c’est selon de quel côté on se place, afin de les envoyer combattre sans états d’âme. C’est vrai ! Une femelle bonobo est fécondable avec du sperme humain mais malgré l’infime différence entre l’homme et le bonobo sur le plan strictement génétique, la grossesse n’arrive pas à terme. Le même type d’approche a également été tenté, fécondation d’une femme avec du sperme de bonobo, même cas de figure : début de grossesse et avortement spontané au bout que quelques semaines … Tout ceci pour dire que les Néanderthaliens (et les Denisovans) étaient plus proches de nos ancêtres directs que nous le sommes des bonobos !

Source et crédit photo (grotte du Caucase où fut retrouvé le Néanderthalien) : Harvard Medical School News

 

Jumeaux homozygotes, oui, mais pas tout à fait

Considérant que l’actualité (dans la presse française) est désespérante, après une indigestion de quenelles, c’est maintenant la presse de caniveau qui fait la une en rapportant de supposées frasques du président, dont personne y compris moi-même n’en a rien à faire, il reste heureusement la science et la bonne science nous apprend tous les jours quelque chose si on sait dénicher les bons articles.

C’est le cas d’une tentative d’explication de la raison pour laquelle les jumeaux homozygotes ne sont pas toujours complètement identiques.

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J’avais déjà mentionné l’effet de l’épigénétique sur les petites différences entre vrais jumeaux (https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/06/02/les-jumeaux-homozygotes-et-lepigenetique/ ) mais tout ne peut pas être expliqué par cette approche. Une équipe du Ludwig Institute for Cancer Research à New-York a mis au point une technique permettant d’obtenir une bonne idée de l’expression des gènes dans une seule cellule. Entre parenthèse, les progrès des techniques dans le domaine de la génétique sont vraiment ahurissants et la connaissance intime de la vie avance à une vitesse inimaginable il y a encore cinq ou dix ans. Notre ADN code pour quelques 50000 gènes différents qui sont exprimés via le mécanisme de transcription en ARN en autant de protéines et autres peptides, enzymes, hormones ou protéines structurales. L’ADN est une combinaison de la moitié de celui de la mère avec la moitié de celui du père et chaque gène se trouve donc présent en deux copies dites allèles. Jusqu’à présent on considérait que les deux allèles, donc chacun des deux gènes codant pour une même protéine, étaient exprimés de manière équivalente car il n’y avait pas vraiment de raison d’envisager une situation différente. Cet a priori a donc été battu en brèche grâce à cette technique extrêmement fine qui montre sans ambiguité que ce n’est pas le cas. Hormis les gènes impliqués dans la différenciation sexuelle qui sont pour une partie d’entre eux « éteints » très tôt au cours du développement embryonnaire, pour tous les autres (ou presque puisque l’étude n’est en qu’à ses débuts) c’est soit un allèle soit l’autre, ou les deux en même temps mais pas aux mêmes taux d’expression. La situation est donc beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraissait. Pour donner une idée de cette complication seulement 20 % des gènes sont exprimés à partir d’un seul allèle à un moment donné et si un allèle est exprimé, l’autre n’en « sait rien » car il n’y a aucune coordination entre ces deux allèles.

Après tout, chaque organisme présente une forme, un « morphe » en terme scientifique d’où provient le mot morphologie, qui est issue du niveau d’expression de l’un et/ou l’autre des gènes de chaque allèle, ce qui conduit à des différences qui au final peuvent être non négligeables. Ceci explique donc le fait que les deux jumelles homozygotes figurant sur la photo ne sont pas totalement identiques comme on peut le constater. Tout se passe donc au niveau de la cellule et des allèles. Si on avait dit ça à des généticiens il y a dix ans ils auraient haussé les épaules …

Source : Eurekalert

ADN : qui brevète quoi, et comment ?

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Avec la montée en puissance des séquenceurs automatiques d’ADN, il ne se passe pas un jour sans que des dizaines de nouvelles séquences soient publiées et beaucoup d’entre elles protégées par des brevets d’application car après tout, on ne sait jamais si un gène ou un promoteur (pas immobilier mais de la transcription de la séquence d’ADN d’intérêt) ne trouverait pas une utilisation juteuse dans l’industrie. Et les domaines concernés par cette véritable révolution de la science du vivant sont tellement vastes que déjà 120 millions de séquences d’ADN et plus de 10 millions de séquences de protéines font l’objet de brevets d’application. Vous avez bien lu : cent vingt millions ! Pour ce qui est des séquences « naturelles », c’est-à-dire celles qui le sont de par leur disponibilité dans la nature, la Cour Suprême des Etats-Unis a statué en juin dernier en confirmant que tout matériel génétique d’origine naturelle ne pouvait en aucun cas faire l’objet de brevets. C’est dit mais qu’en est-il en réalité ? Qui dépose les brevets ? Qu’en font les auteurs ? Quels droits et revendications y sont attachés ? Et quels en sont les bénéfices pour la société ? Personne n’en sait vraiment rien parce que tout le système est complètement opaque. Les cabinets spécialisés en protection industrielle, la plupart privés, n’ont aucun outil à leur disposition pour y voir clair dans cette jungle et déclarer si oui ou non une séquence d’ADN est brevetable. Ce sont les auteurs des brevets qui doivent le plus souvent apporter la preuve que leur demande est recevable mais eux-mêmes manquent parfois d’informations dans cet immense fourmillement de données plus ou moins disponibles. Même une grosse multinationale de la pharmacie doit faire appel à des spécialistes pour évaluer le bien fondé de la demande de brevet en ce qui concerne les données structurales, en d’autres termes la ou les séquences qui méritent d’être protégées. Les applications (ou revendications dans un brevet) ne pourront être protégées que si le matériel génétique peut l’être au préalable. Or une analyse réalisée sur plus de 2000 brevets américains a par exemple montré que dans la plupart des cas, la séquence d’ADN ne faisait pas l’objet à proprement parler d’une protection industrielle et que seules les applications particulières pouvaient être considérées comme étant une propriété intellectuelle.

Pour illustrer l’opacité de la protection intellectuelle et industrielle des brevets relatifs aux séquences d’ADN, prenons le cas du riz doré qui a catalysé une levée de boucliers de toutes sortes d’ ONG opposées par principe à la commercialisation de plantes génétiquement modifiées. J’en ai parlé dans un billet au mois d’août dernier ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/08/28/les-anti-ogm-sont-des-criminels/ ). Le riz doré a été mis au point par des universitaires financés par des ONG dont la fondation Bill et Melinda Gates et les constructions génétiques aboutissant à la production du lycopène, précurseur de la vitamine A, proviennent du narcisse et d’une bactérie du sol du genre Erwinia, l’expression des deux gènes étrangers est sous le contrôle d’un promoteur du riz de telle manière que le lycopène transformé en beta-carotène par le riz lui-même soit exprimé majoritairement dans les graines. Si cette transformation génétique complexe avait fait l’objet de brevets, les gènes introduits et provenant du narcisse et d’Erwinia n’auraient pas pu être protégés, seules les constructions et les applications finales auraient pu être considérées comme des propriétés intellectuelles. J’ai pris cet exemple à dessein puisque l’ensemble des constructions réalisées pour mettre au point le riz doré sont disponibles au public puisque justement ce riz n’est pas breveté et n’importe qui peut le cultiver sans payer une quelconque redevance à qui que ce soit. Ce n’est pas le cas pour le maïs, le coton ou le soja exprimant la toxine Bt car les constructions font l’objet d’applications elles-mêmes brevetées. Depuis juin dernier le gène codant pour la toxine Bt n’est plus brevetable mais ses application le sont par le biais des constructions génétiques permettant à la plante d’exprimer cette toxine. Il en est de même pour n’importe quel vaccin produit à l’aide de bactéries ou de levures, voire de cellules animales ou humaines génétiquement modifiées. Et dans ce dernier cas aussi, le gène codant pour la protéine qui conférera l’immunité attendue lors de la vaccination, l’application principale du brevet, ne peut être breveté puisqu’il est dans le domaine public. Seule, encore une fois, la construction génétique permettant la production du vaccin est protégée intellectuellement et industriellement.

Quand un quidam, je veux dire un universitaire ou un industriel, rédige une demande de brevet, si l’officine de protection industrielle, publique ou privée, à laquelle il s’adresse ne dispose pas des outils appropriés pour faire une recherche d’antériorité, la situation peut être critique car bien souvent les demandes de brevets sont déposés dans l’urgence des applications attendues qui doivent répondre à une demande pressante du marché, c’est en particulier le cas des vaccins ou dans une moindre mesure des tests biologiques utilisés pour les diagnostics médicaux.

L’Université de Technologie du Queensland à Brisbane s’est penché sur ce problème d’évaluation auquel sont confrontés les administrations et les cabinets spécialisés et a mis au point, disponible à tout public dont les inventeurs en herbe ou confirmés, une banque de données remarquablement documentée et d’utilisation particulièrement simple disponible d’un simple clic sur internet. Il s’agit d’une base de données rassemblant plusieurs millions de brevets impliquant comme je l’ai mentionné plus haut plus de 120 millions de séquences d’ADN et plus de 10 millions de séquences de protéines. Je conseille à mes lecteurs curieux d’aller se promener sur ce site dont voici le lien : http://www.lens.org/lens/ . Par exemple, rien que pour le génome humain, 98549 brevets sont répertoriés, dont 51529 américains et 13995 japonais, 2778 coréens (sud) et 8024 pour l’Europe, essentiellement Allemagne, Suisse et Grande-Bretagne, suivez mon regard … Autre exemple, pour les brevets relatifs au génome de la banane, entièrement élucidé en 2012, c’est un peu le même cas de figure puisque sur 235 brevets (USA : 142, Japon : 9, Europe : 33 et reste du monde : 58) il n’y a aucun brevet français alors que la France est un des leaders mondiaux de la production de vitroplants de bananiers (Vitropic SA, près de Montpellier, émanation du CIRAD), suivez encore mon regard …

Source : QUT News

 

 

Du nouveau sur le mécanisme de la lactation

La biologie de la lactation humaine est restée le parent pauvre de la recherche médicale car il est impensable de réaliser une biopsie de la glande mammaire d’une femme allaitant son enfant. Le développement récent des techniques de séquençage automatique de l’ARN a été mis à profit avec le lait maternel. Tout le travail que je voudrais exposer aussi clairement que possible à mes quelques lecteurs assidus et qui vient de paraître dans la revue peer-to-peer en open access PlosOne (excusez les anglicismes) sur le lait maternel et le volume et la durée de la lactation est basé sur le fait que dans le lait maternel des globules lipidiques sont sécrétés par les cellules épithéliales de la glande mammaire et qu’ils contiennent des ARN, des restes des « transcripts » capturés lors de la sécrétion et que ces ARN décrivent très précisément ce que l’on appèle maintenant communément dans le monde de la biologie le « transcriptome », c’est-à-dire l’ensemble des gènes exprimés, ici, au cours de la lactation, que ce soient des transcripts très abondants ou au contraire présents à l’état de traces. Que mes lecteurs ne s’y méprennent pas, je n’ai pas trouvé de traduction satisfaisante du mot anglais « transcript », il s’agit d’ARN issus de la transcription de l’ADN en ARN par l’ARN-polymérase et leur analyse fine donne donc une image également fine de l’état fonctionnel de la cellule, en l’occurrence de la glande mammaire. On parle alors de signatures transcriptionnelles. Cette technologie récente de séquençage automatique des ARN a permis d’expliquer l’évolution de l’état de la glande mammaire depuis le colostrum jusqu’au lait mature et également, comme on le verra, quelles sont les causes d’une production défectueuse de lait chez certaines femmes. L’étude s’est focalisé sur le lait appelé colostrum, peu de temps après la délivrance et très riche en sodium, le lait de la période dite intermédiaire où la balance entre sodium et potassium se rétablit et enfin le lait mature ou lait « normal » tel qu’il restera durant toute la lactation. Après isolement des globules lipidiques et préparation adéquate des ARN présents dans ces globules pour séquençage, même pas un tiers d’entre eux s’est révélé apte à être séquencé avec succès, mais la machine automatique a tout de même pu identifier 14629 gènes exprimés durant la période « colostrum, 14529 gènes durant la période de transition et 13745 gènes ultérieurement, c’est dire la puissance d’analyse moderne des laboratoires de génétique et de biologie. Sans vouloir faire un catalogue, dans le lait mature, une vingtaine de gènes sont sur-exprimés et parmi eux, comme on peut s’y attendre, ceux de la caséine, lactalbumine, lacto-transférine, ferritine, lyzozyme, thymosine, lipase, etc … Dans le lait de la période de transition de quelques jours suivant le colostrum, le profil est différent puisqu’on retrouve aussi des ARN codant pour des protéines ribosomales (les ribosomes sont les machines à traduire les ARN en protéines) et ce n’est pas surprenant puisque la glande mammaire est en pleine structuration. Enfin, dans le colostrum on trouve les transcripts de l’interféron, de micro-globulines et de bien d’autres protéines mais la lactalbumine et la caséine n’arrivent qu’en huitième et neuvième position par ordre d’abondance contrairement au lait mature où ces deux composants sont les plus abondants. Dans le lait mature, les trois principales protéines produites sont la beta-caséine, l’alpha-lactalbumine et la lactoferrine. Les trois figures tirées de l’article sont une illustration de la diversité de l’activité de la glande mammaire et de son évolution au cours du stade de maturation du lait, dans l’ordre : colostrum, transition, lait mature.

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Ce que cette étude extrêmement détaillée a aussi montré est l’effet de l’insuline sur la lactation. Comme on le suspectait déjà l’insuline a de profonds effets sur la synthèse des protéines au cours de la lactation en agissant sur toute une série de récepteurs qui modulent l’expression des gènes et donc les activités enzymatiques de synthèse associées. C’est ce qui a été confirmé au cours de cette étude. Mais mieux encore, il est bien connu des mères allaitantes que les seins s’engorgent littéralement durant les 4 ou 5 jours suivant la naissance et qu’ensuite un équilibre est atteint et qui dépend largement de la tétée. Ce phénomène est complètement dépendant d’un processus complexe de régulation effectué par l’insuline. Les curieux peuvent aller se plonger dans cet article ( http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0067531 ) car cela en vaut la peine, mais attention au mal de tête ! Un récepteur particulier de l’insuline appelé PTPRF (ça ressemble au sigle d’un parti politique du genre « Parti Totalitaire Populaire de la Réforme de la France », mais on peut en imaginer d’autres) en réalité il s’agit du « Protein Tyrosine Phosphatase, Receptor type F » qui diminue l’action de l’insuline en modifiant d’autres récepteurs de l’insuline par suppression du phosphate lié à une tyrosine de ces derniers, d’où ce nom compliqué. Ce que cette étude a finalement découvert, c’est que l’insuline via ce PTPRF, en effectuant le même type d’étude chez des femmes allaitantes mais dont la production de lait déclinait pour des raisons inconnues jusqu’alors, était que l’expression du gène du PTPRF chez les femmes présentant une résistance à l’insuline dont l’effet le plus connu est le diabète de type II est beaucoup plus élevée que chez celles capables d’une lactation normale. En d’autres termes la résistance à l’insuline se répercute directement sur le fonctionnement de la glande mammaire par l’intermédiaire d’une régulation complexe très bien démontrée par cette étude.

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Ces travaux ont été effectué au Cincinnati Children’s Hospital Medical Center et publiés dans PlosOne (voir le lien) d’où proviennent les illustrations.

Les jumeaux homozygotes et l’épigénétique

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Avant d’entrer dans les détails je me dois de faire quelques petits rappels aussi simples que possible pour ceux qui auraient la flemme d’aller chercher sur internet ce que signifie homozygote et épigénétique. Les jumeaux homozygotes sont issus du même œuf qui pour une raison inconnue se clone lui-même au cours des toutes premières divisions suivant la fécondation de l’ovule pour former deux œufs identiques. Rien à voir avec les faux jumeaux qui sont le fruit d’une double ovulation, chacun des ovules étant fécondé par un spermatozoïde différent. J’ai déjà disserté de la différence entre spermatozoïdes dans un même éjaculat ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2012/08/25/cest-grace-aux-testicules-et-leurs-erreurs-de-copie-quon-est-different-des-singes/ ) et donc les jumeaux hétérozygotes sont différents l’un de l’autre. Les jumeaux homozygotes ont toujours fasciné les humains à tel point que certaines peuplades tuent l’un des deux, ne pouvant pas admettre qu’il puisse exister deux copies du même individu ou parfois les abandonnent à leur triste sort de nouveaux-nés. Ils ont aussi fasciné les scientifiques pour d’autres raisons. Puisque deux individus sont identiques génétiquement pourquoi présentent-ils néanmoins des différences variées visibles comme la taille, l’endurance physique ou le son de la voix, ou invisibles comme la résistance à certaines maladies ou au contraire la susceptibilité à d’autres affections, et enfin des comportements différents, affectifs, mentaux, sexuels, que sais-je encore. Si l’on part du principe que l’identité génétique doit avoir pour corollaire une identité totale physique, métabolique et mentale, l’étude conduite par le Professeur Tim Spector du King’s College à Londres réalisée et toujours en cours sur plus de 11000 paires de jumeaux homozygotes de tous ages a montré qu’en réalité les jumeaux homozygotes n’étaient pas totalement identiques en ce qui concerne l’expression des gènes. A ce point de mon récit, je dois faire un aparté pour expliquer pourquoi l’expression des gènes, donc non pas le patrimoine génétique puisqu’il est strictement identique chez les deux jumeaux, diffère d’un jumeau à l’autre en défiant le bon sens commun. L’ADN, le support de l’hérédité contenu dans les chromosomes est constitué d’un enchainement de trois milliards de lettres communément désignées A, T, G et C. Environ trente mille zones dites codantes correspondent à des gènes qui sont exprimés en protéines de tailles et fonctions variées. L’expression de chaque gène est associée à ce que l’on appelle un promoteur, un peu comme une ampoule électrique est commandée par un interrupteur. Pour le moment rien de très nouveau, mais là où les choses deviennent passionnantes c’est que l’expression d’un gène peut être altérée voire totalement supprimée par un processus acquis que l’on appelle épigénétique et qui est en réalité une modification de l’une des quatre lettres A, T, G ou C (pour adénine, thymine, guanine et cytidine) et c’est seulement la cytidine d’une région particulière du promoteur qui se trouve modifiée par un mécanisme appelé méthylation dont on sait maintenant grâce à de nombreuses études convergentes qu’il résulte largement de conditions environnementales comme la nourriture qu’on ingère, les maladies qu’on subit, la vieillesse, les produits chimiques qui flottent invisibles autour de nous, la fumée de cigarette pour ne pas la nommer, les médicaments pris souvent à tort, les rayons X et j’en passe. Pas étonnant que les jumeaux homozygotes deviennent « à la longue » différents puisqu’ils n’expriment plus à l’identique l’ensemble de leurs gènes. Pour bien vérifier ce fait, l’équipe de Spector a entièrement séquencé le génome de 3500 des 11000 jumeaux homozygotes qu’il a étudié en cherchant les différences de méthylation. Et les résultats sont allé de surprise en surprise. D’abord, par exemple, il n’existe pas « un gène de l’homosexualité » mais peut-être des centaines, il n’y a pas non plus « un gène » de l’ostéoporose mais également plusieurs centaines, et ainsi de suite. Un autre exemple encore plus anecdotique, les jumeaux ont moins de 25 % de chance de vivre à peu près aussi longtemps, à peu près voulant dire que si l’un des jumeaux atteint l’age de 80 ans, l’autre à 25 % de chance de lui survivre quelques années de plus ou d’avoir atteint cet age respectable. Si l’un des jumeaux souffre de polyarthrite, l’autre n’a que 15 % de chance de souffrir de la même maladie. Il en est de même pour les douleurs lombaires, le diabète, le cancer du sein ou l’obésité (il n’y a pas de gène de l’obésité, cette étude l’a montré) toutes les différences résident dans des différences de méthylation et donc d’expression des gènes (l’interrupteur électrique qui fonctionne une fois sur deux ou plus du tout) donc dans l’épigénétique ou en d’autres termes les caractères acquis qui sont d’ailleurs transmissibles sur plusieurs générations quand les cellules germinales ont elles-mêmes subi des méthylations. Grace à cette étude sur les jumeaux, Tim Spector a pu identifier 400 nouveaux gènes impliqués dans 30 maladies différentes dont l’ostéoporose, la polyarthrite, la susceptibilité au mélanome, l’espérance de vie ou encore la calvitie !

Source: King’s College (www.kcl.ac.uk) via The Guardian, crédit photo: site de Tim Spector (http://www.tim-spector.co.uk), deux paires de jumelles présentant le dernier ouvrage de Tim Spector.