Durant les années 1970 un activiste anti-nucléaire était préoccupé par la tyrannie des puissances nucléarisées qui possédaient l’arme absolue pour dominer le monde. Aujourd’hui les activistes anti-nucléaire ont peur des radiations. Il n’y a pas eu de domination tyrannique du monde par l’une de ces grandes puissances (en 1970 : USA, URSS, Grande-Bretagne et France, les 4 puissances nucléarisées qui disposaient d’un droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations-Unies) et le danger des radiations est très mal compris. Selon Scott L. Montgomery aujourd’hui c’est le « changement climatique » qui préoccupe les esprits et s’il est réel nous devons développer l’énergie nucléaire. Scott Montgomery est un géophysicien professeur associé à l’Université de l’Etat de Washington à Seattle. Il a passé trois ans à l’Université Waseda à Tokyo comme professeur d’anglais et s’est imprégné de la culture japonaise et son premier emploi à son retour aux USA fut un poste de traducteur de japonais en tant que géophysicien dans une grande compagnie pétrolière. Il a écrit un livre en 2015 qui fut un best-seller : » The Shape of the New : Four Big Ideas and How They Built the Modern World » ( L’aspect de la nouveauté : 4 grandes idées et comment elles ont façonné le monde moderne). Voici une traduction de son article paru sur le site de la World Nuclear Association.
J’étais en 1974 étudiant à l’Université Cornell en géosciences et j’étais un peu activiste anti-nucléaire. Je suis allé à Shoreham, sur l’île de Long Island, pour tenter de stopper les bulldozers qui préparaient le terrain pour la construction d’une nouvelle centrale nucléaire. Je faisais partie de groupes comme l’Alliance Clamshell ou l’Aberlone. j’étais anti-armes nucléaires très profondément et aussi anti-énergie nucléaire et il y avait une raison bien spécifique à cette attitude. À cette époque on était en plein milieu de l’affaire du Watergate et de la guerre du Vietnam et on se souciait beaucoup de l’accroissement du pouvoir de l’Etat, et pas seulement de l’Etat mais aussi du complexe militaro-industriel. Tout le gouvernement était également impliqué dans ce processus. Il y avait la puissance des grandes corporations, l’industrie de la défense et le pouvoir du gouvernement. L’énergie nucléaire nécessitait d’énormes investissements et pour l’opinion publique elle était un symbole et un signe du déclin de la démocratie. L’énergie nucléaire paraissait comme une étape vers la tyrannie et il y avait donc beaucoup d’enjeux idéologiques.
De tous les ouvrages que j’ai pu lire c’était un peu la même attitude en Europe et en particulier en Allemagne. Donc si vous étiez un libéral et si vous pensiez que cette situation allait arriver alors il fallait s’opposer à l’énergie nucléaire. Même si vous saviez comment fonctionne un réacteur nucléaire ça n’avait pas d’importance parce que les résultats attendus étaient infiniment plus importants.
C’est ainsi que bien qu’étant scientifique, en allant dans ces endroits comme Long Island (voir note 1 en fin de billet) et d’autres régions impliquées dans l’énergie nucléaire sous tous ses aspects en comprenant les technologies relatives à l’exploitation des sols et les ressources de la croûte terrestre, je n’ai jamais pris le temps de me documenter sur la technologie nucléaire civile.
Aujourd’hui, bien des années plus tard avec le changement climatique qui est arrivé il est clair que les sources d’énergie non carbonées feront partie du futur et je me trouve de l’autre côté de la science. Je donne maintenant des cours d’énergie renouvelable à l’université mais au début des années 2000 il s’agissait d’un nouveau concept en termes de politique, du moins en ce qui me concernait. Néanmoins beaucoup d’étudiants désiraient en savoir plus sur l’énergie nucléaire. Il s’agissait de la génération qui n’avait pas connu Three Miles Island et Tchernobyl et c’était avant Fukushima. Ce fut donc pour moi une obligation de me documenter afin d’atteindre un degré de connaissances tel que je pourrais ensuite intégrer cet enseignement sur l’énergie nucléaire à mes cours. Je me rendis compte qu’il y avait une multitude de choses que j’ignorais totalement et que l’énergie nucléaire était bien plus complexe que je l’avais imaginé auparavant.
Naturellement cette frayeur de la tyrannie n’arriva jamais mais l’accident de Tchernobyl fut, lui, bien réel et les populations devinrent alors effrayées par les radiations. C’est ainsi qu’il me fallut aussi me documenter sur les radiations et c’est aussi un domaine extraordinairement complexe. Dès qu’on se penche sur l’impact des radiations utilisées en milieu hospitalier on comprend que le sujet des radiations a été également mal interprété par les médias car il est aussi très complexe. Le public n’a pas la moindre idée précise de ce problème et personne ne l’a jamais aidé correctement pour le comprendre. On nous a seulement appris à nous méfier!
C’est ainsi que le public considère globalement qu’être exposé aux radiations est mortel alors que ce n’est certainement pas le cas. L’un des sujets les plus captivants a été de dialoguer avec tous les experts, radiologues, médecins, radiobiologistes, physiciens et tous les professionnels de la médecine qui ont été directement impliqués dans les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima. Toute cette communauté d’experts sait qu’une faible dose de radiations de l’ordre de 100 millisieverts par an (voir note 2 en fin de billet) n’est pas ou n’est que très faiblement carcinogène. Pour l’opinion publique une telle dose peut paraître très élevée puisque les seuils de sécurité ont été fixés à des valeurs extrêmement faibles dans le but de protéger les personnels travaillant dans les secteurs de la radiologie médicale et des centrales nucléaires. Le gros problème avec ces régulations est qu’elles entretiennent la terreur du public au sujet des radiations. C’est ainsi qu’une dose de 1 mSv par an surajouté la radioactivité naturelle a été considérée comme conforme à la sécurité des personnes qui, après avoir été déplacées de leur domicile à la suite de l’accident de Fukushima, ont été autorisées à retourner vivre à leur domicile. C’est tout simplement absurde. Un habitant de la Préfecture de Fukushima qui irait s’installer dans le Colorado à Denver, dans la région de Limoges en France ou de Salamanque en Espagne s’exposerait à une radioactivité naturelle trois fois plus élevée que dans certaines zones dites contaminées dans le périmètre d’exclusion de 30 kilomètres autour du site de Fukushima !
Il y a donc quelques chose de totalement faux au sujet de la radioactivité. Ça n’a aucun sens ou alors ça n’a de sens que pour alimenter l’angoisse et l’effroi de manière totalement exagérée. Si l’on compare l’énergie nucléaire à toutes les autres sources d’énergie, en dehors peut-être des panneaux solaires (voir note 3), c’est la source d’énergie la plus sûre. Il y a eu à peu près 300 réacteurs nucléaires construits dans le monde ces dernières 55 années, il y a eu 3 accidents majeurs et moins de 100 morts (les pompiers à Tchernobyl) : ce n’est donc pas une technologie dangereuse dans tous les sens du terme et si les estimations de cancers de la thyroïde dans la région de Tchernobyl ont été estimés à 5000 ce n’est pas non plus un désastre. Il y a chaque années des dizaines de milliers de morts dans les mines de charbon et les sites de production de pétrole et de gaz naturel. N’oublions pas non plus l’hydroélectricité : seulement en Chine il y a eu des centaines de milliers de morts à la suite de ruptures de barrages. En une année, en 1975, 4 ans avant l’accident de Three Mile Island, 600 personnes moururent à la suite de ruptures de barrages aux USA. Ces accidents n’ont jamais fait la une des journaux. Après Three Mile Island, un accident durant lequel personne n’a été blessé ou fortement irradié, de multiples plaintes et procès ont été commentés dans la presse à grande distribution et à la télévision pour bien entretenir l’effet psychologique de la terreur alors qu’une multitude d’expertises commandées par les pouvoirs publics ont montré qu’il n’y avait jamais eu d’augmentations de cancers dans la région de Three Mile Island.
Toutes ces contradictions sont carrément troublantes et elles le sont d’autant plus quand on se penche sur l’usage des rayonnements ionisants et des radio-isotopes en médecine. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire un livre sur ce sujet avec Thomas Graham qui fut un des négociateurs pour le traité de non-prolifération nucléaire pendant 40 ans. Il m’alerta après l’accident de Fukushima en estimant que la presse grand-public ne dirait jamais la vérité au sujet de cet accident. Ce fut un accident comme il en arrive régulièrement dans l’industrie. Personne n’a été blessé et seuls les habitants de la région promptement évacués en ont souffert. Ce livre décrit en détail l’impact de l’utilisation des radiations et des radio-isotopes en médecine et la radioactivité naturelle, région par région. Le but de ce livre est d’éduquer le public et de lui exposer ce qui entre en jeu dans l’énergie nucléaire, ce qui a été mal interprété pour des raisons diabolisantes ou encore l’attitude négative de quelques activistes anti-nucléaire qui en sont restés aux peurs de la tyrannie des années 1950 et 1960 et ne sont jamais sortis de cette problématique. Nous sommes fautifs en ce sens que nous avons tendance à ignorer les informations scientifiques et techniques nouvelles alors qu’elles devraient au contraire permettre de modifier notre point de vue sur l’énergie nucléaire. Et ce n’est pas seulement le public qui réagit négativement car certains scientifiques n’ont toujours pas fait l’effort de reconsidérer les faits avec objectivité. Il est en effet très important pour l’humanité toute entière de disposer d’une source d’énergie décarbonée, continue et fiable. L’énergie nucléaire représente 60 % de l’électricité décarbonée aux USA et en Europe environ 50 %, la France étant championne en la matière. Il ne nous est pas permis de renoncer à l’énergie nucléaire car il n’existe pas de sources d’énergie renouvelables pouvant satisfaire les besoins de l’économie moderne. Peut-être que dans un avenir lointain ce sera réalisable mais il est inacceptable de vouloir parier sur un avenir incertain sans même avoir aujourd’hui une quelconque certitude sur l’avenir des technologies relatives à ces énergies renouvelables.
Le changement du climat (voir note 4) représente une menace tellement préoccupante qu’il est nécessaire de développer l’énergie nucléaire pour une raison très simple : cette technologie est connue et éprouvée. Les pays occidentaux, pour des motifs irrationnels, veulent abandonner cette source d’énergie. L’expérience et le savoir-faire industriels disparaîtront rapidement au profit de l’Inde, de la Chine et d’autres pays qui, avec l’aide de la Russie, domineront dans un délai relativement court ce marché en favorisant leur développement économique décarboné avec de l’électricité produite à un prix abordable. Nous Occidentaux qui avons mis au point l’énergie nucléaire civile n’auront alors plus que des moulins à vent pour nous éclairer … quand il y aura du vent.
Source : World Nuclear Association. Illustration : The Conversation
Note 1. Le plus important gisement d’uranium dans le monde est l’eau des océans. Au cours du projet Manhattan le sel de mer fut ponctuellement utilisé comme source alternative d’uranium par électrolyse de l’eau, l’uranium étant une impureté contenue dans le sodium à hauteur de 0,09 microgrammes par kg. Des marais salants de Long Island et de Floride furent exploités à cette fin. Il est opportun de rappeler que l’uranium n’est pas un métal rare puisqu’il est aussi abondant que l’étain ou le zinc dans la croûte terrestre.
Note 2. Le sievert est une unité de dose de rayonnement qui s’exprime en Joules par kg de poids corporel. L’effet physiologique des radiations dépend de l’organe anatomique considéré et un facteur de correction pondérale doit donc être pris en compte. Par exemple les gonades et la moelle osseuse sont plus sensibles que l’oesophage. Enfin la dose de rayonnement dépend de l’énergie de ce dernier. La dose de 100 mSv par an est de l’ordre du rayonnement naturel atteint dans de nombreuses régions du monde dont la principale source est le potassium-40 naturellement présent dans notre organisme (400 microsieverts par an). Manger une banane qui contient du potassium-40 correspond à une dose de 0,1 micro sievert. Une radiographie pulmonaire représente 20 microSv, une mammographie 400 microsieverts, un scanner cérébral 2 millisieverts et un scanner du thorax 7 millisieverts, des doses reçues en quelques minutes et non pas étalées sur une année. Un employé d’une centrale nucléaire est supposé ne pas recevoir de dose de radiations supérieure à 50 mSv qui s’ajoute à la radioactivité naturelle.
Note 3. La production de panneaux solaires et de génératrices électriques des éoliennes sont des technologies polluantes qui requièrent souvent l’utilisation de minerais contenant de fortes quantités de thorium-232 qui est un émetteur de rayonnements alpha (noyaux d’hélium) peu énergétiques (5 MeV) mais fortement ionisants par contact direct.
Note 4. Changement climatique. Quel que soit la direction de ce changement vers le « plus chaud » ou vers le « plus froid », la demande en énergie propre sera identique