Voici un billet écrit par Gilbert Doctorow, analyste politique indépendant basé à Bruxelles, paru sur le site « Une Parole Franche » ( usforeignpolicy.blogs.lalibre.be ) un blog trouvé sur le quotidien La Libre Belgique. Je me suis contenté de corriger quelques fautes d’orthographe et de syntaxe. Figurent en italiques les rares ajouts de mon crû pour la bonne compréhension du texte. J’ai cru intéressant de le soumettre à mes lecteurs. Je ne fais aucun commentaire. Bonne lecture.
L’ascension de Macron au pouvoir : l’ingérance américaine dans la vie politique française
Si nous regardons les élections présidentielles françaises de 2017, prises isolément, il n’y a pas de raisons de croire ma déclaration d’ingérance américaine parce qu’il n’y a pas des preuves d’une intervention de l’extérieur. L’année passée en Amérique et en France on disait que Macron était élévé à la présidence par les efforts et l’argent des banquiers internationaux, les même qui l’ont
recruté, lui ont donné un boulot chez eux et finalement, après une carrière météorique non-justifiée par aucune réalisation professionnelle, lui ont trouvé une position dans le palais de l’Elysée comme assistant au secrétaire général auprès de François Hollande, ensuite Ministre de l’Economie et des Finances. Bien sûr, ses amis les banquiers internationaux ont des liens étroits avec la capitale de la finance mondiale, New York. Mais personne n’a suggéré un quelconque rôle du gouvernement des Etats-Unis dans sa réussite … Jusqu’à maintenant.
L’argument en faveur d’une influence américaine devient beaucoup plus fort quand on regarde six ans en arrière et surveille la compétition pré-électorale pour le scrutin du printemps 2012. Seulement un aveugle ne voit pas comment la main des Etats-Unis a pesé sur les équilibres pour assurer l’élection d’un esprit lent, l’insignificant François Hollande, au lieu du favori du Parti Socialiste, Dominique Strauss-Kahn.
Au printemps 2011, DSK était encore Directeur Général du Fonds Monétaire International où il travaillait depuis 2007. Avant son arrivée à Washington, il faisait une bonne carrière politique en France y compris notamment comme Ministre de l’Economie et des Finances. Il était considéré par beaucoup de monde très intelligent et un bon stratégiste pour son parti. En même temps dans sa position de Directeur Général du FMI il exposait des opinions ouvertement anti-américaines. On parlait en particulier de sa recommandation de remplacer le dollar US comme devise internationale de réserve par les « Special Drawing Rights » (droits de tirage spéciaux, DTS), une devise abstraite non liée à un pays seul.
Quoi qu’il en soit, le 18 mai 2011 Strauss-Kahn était arrêté à New York accusé d’une aggression sexuelle contre une femme de chambre de son hôtel. L’arrestation fut dramatique : il fut retiré de son avion juste avant le décollage, mené sous (bonne) garde à un commissariat de police et, menotté, presenté dans un alignement de suspects pour que son accusatrice puisse l’identifier. Tout cela s’est passé sous les yeux des journalistes. On lui a promis une incarcération de longue durée pour un délit que ses amis ont caracterisé comme un piège politiquement motivé. L’affaire criminelle à son encontre a été finalement abandonnée. Un règlement à l’amiable a été conclu avec la femme de chambre. Et la carrière de DSK s’est terminée dans la honte. Son parti en désordre, la candidature pour la présidence passe à François Hollande, le conjoint de la candidate pour les élections de 2007 Ségolène Royal, son seul avantage étant son statut d’initié.
Le titulaire et candidat de la Droite Nicolas Sarkozy est pénalisé par les machinations financières liées à sa première campagne électorale et par l’allégation qu’il a touché de l’argent libyen offert par le Colonel Muamar Ghaddafi. Ainsi l’insipide Hollande peut gagner une contestation au coude à coude et prendre charge du gouvernement français avec un programme qui consistera finalement à doper le taux d’emploi par une augmentation énorme du nombre de personnels dans le secteur étatique.
La période du mandat de Hollande fut marquée par la stagnation économique et une France faible en Europe, qui trace timidement les sillons de la Chancelière allemande Angela Merkel dans l’alliance traditionnelle franco-allemande à la tête de l’UE.
Au moment où les élections de 2017 approchent, le taux de popularité de François Hollande descend à 5 % de la population, et le Président annonce qu’il retire sa candidature. La lutte pour le pouvoir est concentrée entre le parti conservateur, les Républicains, formé par Nicolas Sarkozy, mais un parti qu’il ne dirige plus vers le scrutin à cause des scandales autour de lui, et le Front National, le parti populiste, xénophobe, eurosceptique, mené par Marine Le Pen.
Parmi les Républicains, François Fillon, le premier ministre sous la présidence de Sarkozy de 2007 à 2012, est devenu assez rapidement le leader. Le 20 novembre 2016 il gagne le vote dans les primaires et il reste le favori au début du printemps. À sa faveur, Fillon est experimenté, compétent et reformateur économique.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’éventualité d’une victoire de Le Pen ou de Fillon est insupportable. L’Establishment américain déteste Le Pen, parce que sa victoire ajoutera encore du dynamisme à la vague populiste. Cette vague a déjà gagné la Maison Blanche en novembre 2016 (avec l’élection de Donald Trump) et elle (la vague populiste) travaille à la déconstruction de l’Ordre International si bien aimé de Washington.
Pour sa part, Fillon reçoit le support du groupe médiatique Bloomberg, où il est considéré comme la seule personne qui peut éviter l’eléction de Le Pen. Mais d’ailleurs, Fillon n’a pas plus d’amateurs en Amérique que Le Pen : tous les deux portent l’opprobre d’être des “amis” de Poutine.
François Fillon a rencontré avec Vladimir Poutine dans les couloirs du Forum International Economique de Saint-Pétersbourg en juin 2015 et a été invité aux débats sur la television d’état russe, Fillon a donné des commentaires favorables au rétablissement de relations normales avec la Russie. A plusieurs reprises, il s’exprime contre les sanctions américaines. S’il est élu Président de la République française, Fillon créera un tandem transatlantique avec Trump pour contrer la direction actuelle stratégique des Etats-Unis : de nous (le Deep State) en prendre à l’ours russe et de présenter l’image d’un ennemi aggressif à l’Est de l’Europe pour rassembler les alliés et consolider l’emprise hégémonique sur le Vieux Continent comme dans le monde entier.
Ainsi, pas de raison pour nous d’être surpris, si la candidature de Fillon est déraillée (sic dans le texte original, voir le lien ci-dessus) juste quelques semaines avant le premier tour des élections présidentielles. Fillon est accusé de détournement de fonds publics: “il a payé à son épouse et ses enfants des centaines de milliers d’euros en remunération de l’Etat pour peu de travai sinon aucune service rendu.” Est-ce que Fillon était coupable? Sans doute, oui. Mais un tel jugement ignore la réalité des habitudes dans la vie politique de la France depuis des décénnies, où de telles pratiques étaient très répandues à cause des fautes dans le système de financement des élections et de compensation des élus. La France, comme beaucoup d’autres pays européens y compris son voisin l’Allemagne a connu une corruption institutionalisée.
Avec Fillon deshonoré et écarté, le flambeau de la lutte contre Marine Le Pen passe au candidat hors Establishment et sans appui d’un parti traditionnel, Emmanuel Macron, qui a monté une campagne sur le principe de l’anti-corruption. Lui aussi est un “populiste” mais il accepte l’Ordre International existant et la domination américaine des affaires globales. Macron est le candidat parfaitement adéquat aux besoins des possibles intervenants d’outre-Atlantique. Il n’a pas d’expérience de la politique électorale, n’a pas de mécanisme de parti pour l’accompagner et, comme nous l’avons remarqué en sus (lire la première partie du billet de Doctorow à ce sujet), possède des fautes de sa personnalité qui le rendent assujetti au chantage.
Dans cet exposé, j’ai établi les motifs et les moyens pour que le Deep State américain ait pu influencer les élections présidentielles de 2017 en France et ait placé Emmanuel Macron sur le trône. Il me manqué les preuves que les agents des services de renseignement américaines ont saisi l’opportunité. Mais l’ingérance des Etats-Unis dans le précédant cycle électoral nous suggère qu’une telle intervention était “highly likely”, n’est-ce pas ?
© Gilbert Doctorow, 2018