Le silphium redécouvert deux mille ans après sa disparition …

Durant plusieurs centaines d’années la Cyrénaïque fut occupée par les Grecs et la mise en valeur du silphium et la préservation de sa culture ne furent pas la préoccupation première de ces colonisateurs. Si les Grecs exportèrent vers la Cyrénaïque les oliviers et aussi la vigne ils laissèrent aux habitants locaux le soin de fournir les racines de silphium aux marchands qui les rémunéraient confortablement sans trop se préoccuper de la protection de cette plante. Les Grecs étaient de grands voyageurs et par conséquent ils s’implantaient dans des régions où ils rencontraient un climat propice pour leur survie. C’est ainsi qu’ils créèrent de nombreuses villes et villages en Anatolie et des voyageurs astucieux emportèrent avec eux des graines de silphium pour en faire la culture car celle-ci était fortement rémunératrice. C’est du moins l’hypothèse avancée par le Docteur Mahmut Miski de l’Université d’Istanbul intéressé par les propriétés pharmacologiques des plantes. Il rechercha dans la littérature ancienne quelles étaient les propriétés du silphium. Il découvrit que cette plante maintenant disparue était vraiment magique.

En poursuivant ses recherches bibliographiques le Docteur Miski découvrit qu’un Allemand féru de botanique, Walter Siehe, découvrit en 1909 dans le nord de la province d’Adana en Anatolie une plante qu’il identifia comme faisant partie de la famille des Ferula. Un spécimen envoyé à l’Institut botanique de Leningrad fut identifié comme étant une Ferula drudeana en 1947. Fort de ces données le Docteur Miski décida en 2019 d’effectuer ses propres recherches et il rapporta de la région de la Cappadoce, pendant longtemps occupée par des Grecs, des spécimens, racines, feuilles, tiges et même inflorescences de cette Ferula drudeana pour en étudier les métabolites secondaires, puisque c’était son métier initial. Comme ce fut son hypothèse toutes les localisations de ces plantes se trouvaient aux alentours de villages anciennement habités par des Grecs et cela conforta le fait que des Grecs avaient rapporté de Cyrénaïque des graines de silphium pour tenter de faire fortune dans un endroit au climat propice pour cette plante. Et se rapportant à des monnaies anciennes de Cyrénaïque le Docteur Miski considéra qu’il s’agissait bien de silphium qui avait perduré pendant près de 2000 ans alors que son extinction avait été confirmée par Pline l’Ancien :

Pour vérifier les dires de Theophraste d’Erese le Docteur Miski examina les racines qui étaient très charnues, atteignant parfois plus de 20 cm de diamètre et invariablement recouvertes d’une sorte d’écorce noire. Il restait un énorme travail à effectuer : rechercher ces métabolites secondaires susceptibles d’expliquer les propriétés thérapeutique du silphium telles qu’elles avaient été décrites par les auteurs anciens, grecs ou romains. Utilisant des techniques d’analyse chimique courantes, le Docteur Miski identifia 31 composés chimiques présentant tous des propriétés thérapeutiques reconnues dans la littérature scientifique et médicale allant des maladies cardiovasculaires aux propriétés aphrodisiaques tant recherchées par les Romains, en passant par une régulation du cycle menstruel des femmes et au traitement des fonctions érectiles défaillantes de l’homme. Plus incroyable encore certains des métabolites secondaires de cette plante présentent des activités anti-cancer prouvées in vitro, anti-inflammatoires, anti-angiogéniques et même insecticides contre l’Aedes aegypti comme la myristicine, ou anti-influenza comme le conferol, une incroyable liste qui confirme l’importance qu’avait revêtu le silphium aux temps anciens.

Après cet énorme travail quelle posture adopter dans ces quelques villages occupés par des Grecs il y a plus de 2000 ans ? Il existe des programmes de contrôle de la germination des graines et de l’expansion des surfaces propices à la croissance de Ferula drudeana afin d’assurer la pérennité de cette plante dont l’aspect magique a été largement confirmé par la science moderne et éventuellement d’envisager une exploitation future à des fins thérapeutiques. Il faut près de dix ans pour que la plante fleurisse alors il sera nécessaire d’être très patient, protéger les plantations contre l’intrusion des chèvres et surveiller leur croissance, un travail confié à des villageois de l’Anatolie fiers de contribuer à des recherches médicales sans doute très prometteuses. Il faut féliciter ici le Docteur Miski qui a réalisé tout ce magnifique travail sans aucune aide gouvernementale, convaincu qu’il oeuvrait pour le bien-être de l’humanité.

Source en accès libre : https://doi.org/10.3390/plants10010102 article décrivant toutes les molécules du métabolisme secondaire et leurs propriétés pharmacologiques.