Les « poux » du saumon : de quoi se gratter la tête

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Lorsque j’étais enfant, comme tous les gamins de l’école, j’avais attrapé des poux et plus d’un demi-siècle plus tard la situation n’a guère évolué. Pour se débarrasser de ces sales bêtes on était traité par une poudre blanche répondant au doux nom de « marie-rose » si ma mémoire est exacte. Il s’agissait de DDT à forte dose. Je n’ai jamais entendu parler à cette époque d’indispositions provoquées par ce DDT qui fut ensuite banni sous la pression totalement inconsidérée des écologistes. Mais ce n’est pas l’objet de ce présent billet. Les saumons d’élevage souffrent aussi de poux, les poux de mer, Lepeophtheirus salmonis, de la famille des copépodes, petits crustacés parasites qui déciment les saumons à tel point que cette « peste » devient préoccupante. La multiplication des poux de mer est favorisée par la forte densité de poissons dans ces fermes marines et il n’existe aucun moyen efficace pour les éradiquer. Impossible d’utiliser du fipronil comme pour les poulets d’élevage d’autant plus que les poissons sont sensibles à ce produit.

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Toutes sortes de techniques ont été abordées pour éliminer ces parasites mais il y a de la « casse ». Par exemple l’utilisation d’eau oxygénée dans une sorte de tunnel permettant de communiquer entre deux bassins et en poussant les poissons manuellement pour qu’ils soient exposés à l’eau oxygénée quelques minutes est efficace mais elle tue aussi beaucoup de saumons. L’autre technique est d’introduire des petits poissons nettoyeurs qui se nourrissent de ces copépodes. Il faut élever ces poissons dans des viviers spéciaux puis les déverser dans les bassins mais malheureusement les saumons qui sont particulièrement voraces s’en régalent rapidement avant que ceux-ci se fixent à l’aide de leurs écailles ventrales qui font office de ventouses sur le corps du saumon pour le nettoyer des copépodes. Il s’agit pourtant de la solution privilégiée car elle ne nécessite pas de produits chimiques mais la demande en poissons nettoyeurs (Eumicrotremus phrynoides) est énorme et la société écossaise Marine Harvest a pourtant décidé d’installer une ferme spéciale pour élever ces petits poissons et en produire 50 millions à l’horizon 2020. Mais il ne faut pas non plus que ces poissons introduisent des maladies susceptibles de ravager les saumons, un véritable cercle vicieux, à s’arracher les cheveux !

D’autres approches sont envisagées comme le développement de vaccins anti-tiques comme cela est déja appliqué dans les élevages de bovins mais comment vacciner un saumon ? Une firme norvégienne envisage d’essayer les ultra-sons. Les premiers essais semblent concluants mais les poux ne meurent pas après avoir été détachés des saumons par les ultra-sons et il faut alors imaginer un moyen de les éliminer des bassins. Les enjeux économiques sont tels qu’il est urgent de trouver une solution pour que la production de saumons d’élevage satisfasse la demande. Dans le cas contraire le saumon deviendra une denrée rare et coûteuse.

Source et illustrations (ferme marine en Écosse) : The Conversation

Les poissons d’élevage ? Oui, en fermant les yeux !

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Lorsque j’étais en post-doc au Salk Institute, le patron m’avait désigné un technicien, un grand blond bronzé qui s’intéressait à ce que je lui demandais de faire dans le laboratoire un peu comme moi de mes premières paires de chaussettes. Comme je constatais qu’il ne montrait absolument aucun intérêt à ce qui se passait dans le laboratoire, je finis par me résigner à lui demander ce qu’il pouvait faire de ses journées en dehors des quelques quatre ou cinq heures, au mieux les meilleurs jours, de présence dans le laboratoire. Il me répondit qu’il était très occupé par sa ferme. Une ferme ! Que mes lecteurs oublient immédiatement l’idée que je puisse affabuler, ce ce que je relate est la stricte vérité. Mon technicien, qui ne travailla jamais vraiment au cours des trois mois de son bref séjour dans le laboratoire, possédait une ferme marine qu’il louait à l’Etat de Californie dans la baie de La Jolla, au nord de San Diego. Excellent sportif, il plongeait en apnée pour équiper les 10 acres de fond marin en piquets sur lesquels il accrochait des petits paniers métalliques contenant des petits ormeaux. Il avait passé des mois sinon des années pour aménager cette ferme avec des milliers de pieux qu’il avait planté dans les sédiments de la baie par quinze mètres de fond et des paniers qu’il avait confectionné lui-même avec du fil de fer et il commençait à récolter les premiers bénéfices de son travail. Un panier rempli d’une vingtaine de ces coquillages que l’on appelle abalones en Californie, ormeaux en Bretagne, lui permettait à l’époque de s’assurer un revenu presque quotidien frisant les 100 dollars de l’époque. Autant dire qu’il était bien plus riche que moi et que son travail de technicien de laboratoire de biologie ne l’intéressait nullement.

Cela se passait il y a plus de 35 ans et aujourd’hui les fermes marines se sont tellement développé de par le monde que le tonnage, toutes espèces confondues, provenant de l’aquaculture en eau douce et en mer a dépassé celui de l’élevage bovin et est en passe de surpasser l’ensemble des élevages d’animaux de la ferme en atteignant déjà en 2012 la bagatelle de 95 millions de tonnes, 25 % de plus de la moitié de tous les poissons sauvages pêchés dans les océans. Parallèlement les prises de poissons déclinent depuis environ cinq ans non pas en raison d’un supposé changement climatique mais tout simplement parce que la pêche intensive diminue mécaniquement si l’on peut dire les prises, un phénomène particulièrement évident avec le thon ou la morue.

Il est donc évident que les fermes marines et en eau douce ont un bel avenir devant elles puisqu’on estime que la demande en poissons continuera à augmenter dans les prochaines années d’environ 2 % par an. En d’autres termes, dans les années à venir, l’augmentation de la consommation de poissons proviendra exclusivement des fermes marines et également en eau douce. Par exemple l’élevage des tilapia, un poisson commun dans le Nil, atteint déjà 5 millions de tonnes rien qu’en Chine.

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Pratiquement toutes les crevettes consommées de par le monde proviennent d’élevages intensifs situés aux Philippines, en Thaïlande, et à un moindre degré au Texas ou en Floride. Le saumon sauvage est réservé aux élites qui peuvent se permettre de payer pour cette rareté des prix extravagants. La presque totalité du saumon provient d’élevages intensifs répartis dans tous les pays où l’eau de mer est froide, depuis l’Alaska, la Colombie Britannique jusqu’à l’Orégon, l’île d’Hokkaido au Japon, l’Ecosse, la Norvège ou encore l’Islande et la Patagonie, un gigantesque business dont il vaut mieux ignorer les détails. La Chine produit plus de 40 millions de tonnes de carpes chaque années dans des conditions sanitaires qu’il est préférable également de ne pas mentionner. La Chine est le premier producteur de poissons d’élevage du monde et la grande majorité de ces derniers est vendue vivante sur les marchés, faut-il le rappeler.

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L’une des dernières espèces de poissons candidate prometteuse des fermes marines est le cobia, un cousin du saumon (Rachycentron canadum) dont l’élevage est tellement prometteur que la plus grande ferme marine au monde vient d’être mise en place au large des côtes du Panama côté Pacifique. D’ors et déjà cette exploitation produit environ 1500 tonnes de ce poisson à la chair recherchée par les plus grands restaurants. Le problème est l’exploitation de telles fermes éloignées des côtes car elle nécessite une logistique appropriée et de la nourriture et c’est sur ce dernier point que réside tout le problème de l’aquaculture marine. S’il faut continuer à décimer les océans pour nourrir des poissons d’élevage le jeu en vaut-il la chandelle comme on dit ? Des recherches pourraient mettre un terme à ce massacre aveugle comme des plantes transgéniques riches en acides gras oméga-3 pour produire des tourteaux susceptibles d’être des matières premières pour les élevages de poissons marins ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/01/25/ogm-et-poissons-delevage/ ) afin de stabiliser cette pêche sans discernement qui décime les plateaux continentaux intensément chalutés à cette unique fin. Il n’en reste pas moins que pour produire un kilo de poisson d’élevage il faut en moyenne 1 kilo de nourriture, c’est presque magique, alors qu’il faut 2 kilos pour produire la même quantité de viande de poulet, 3 kilos pour produire 1 kilo de viande de porc et environ 7 kilos de nourriture pour produire un kilo de viande de bœuf. Pour l’élevage du saumon les recherches récentes ont permis de réduire significativement l’apport de nourriture provenant de la pêche en mer. Un saumon aujourd’hui dans votre supermarché préféré a été nourri avec une mixture à plus de 90 % d’origine végétale, le reste étant d’origine marine avec quelques additifs comme des carotènes d’origine naturelle, il ne faudrait pas tout de même que la chair du saumon soit blanche comme celle de la morue, et quelques antibiotiques, fongicides et autres produits permettant de combattre les parasites qui affectionnent tout particulièrement le saumon surtout quand il se trouve dans un espace confiné. Pour ce qui est de la qualité sanitaire de la moindre crevette congelée de provenance inconnue il vaut mieux ne pas être trop regardant. Bref, à moins de désertifier l’ensemble des océans, il faut se résigner à manger des poissons, des crustacés et autres crevettes, les homards sont devenus un souvenir, en fermant les yeux et en ne se posant surtout pas trop de questions. Et c’est pourtant l’avenir car nous n’avons pas le choix …

Source : National Geographic, illustrations NG et Wikipedia