La réponse est difficile à expliquer clairement surtout quand on s’adresse à un néophyte comme votre serviteur voire à un ignorant des mécanismes cellulaires complexes qui régulent l’ensemble du métabolisme. Il me faut donc dans ce billet remonter à la « généalogie » de la production d’insuline par le pancréas. L’insuline est en effet une hormone régulant la teneur en glucose dans le sang. Cette hormone peptidique intervient quand la teneur en glucose sanguin devient trop élevée, comme par exemple après un repas, pour stocker ce sucre sous forme d’un polymère appelé glycogène dans les muscles ou les cellules adipeuses « brunes » pour une utilisation future. Les cellules pancréatiques productrices d’insuline libèrent l’insuline stockée dans des vésicules intra-cellulaires en les expulsant dans le milieu liquide interstitiel pour rejoindre la circulation sanguine. Ces vésicules presque sphériques possèdent une architecture assez incroyablement polyédrique constituée d’une protéine que l’on appelle clathrine, nom dérivé du grec clatharus qui signifie réseau. Ces protéines formées de deux sous-unités différentes s’assemblent pour former une structure à « trois jambes » appelée triskèle.
Chez les êtres humains tant le stockage de l’insuline que du sucre sous forme libre est assuré par ces structures vésiculaires constituées de clathrines. Pour transporter le sucre vers le foie ou le muscle l’organisme dispose d’un mécanisme de régulation commandant la synthèse de la chaine polypeptidique CHC22 de la clathrine codée par le gène CLTCL1 situé sur le chromosome 22 et particulièrement exprimé dans les tissus musculaires. Selon le régime alimentaire des animaux, y compris celui de l’homme et en suivant en parallèle l’évolution de l’expression de ce gène CLTCL1 il a été possible de reconstituer l’histoire du transport du glucose dans les muscles et le foie et ainsi éclairer d’un nouveau jour l’apparition du diabète de type 1.
Cette « histoire » de l’expression du gène codant pour la protéine CHC22 suggère que pour les proto-humains – nos ancêtres lointains – il était nécessaire de maintenir un taux de glucose sanguin élevé pour favoriser le développement du cerveau. Quand les êtres humains commencèrent à pratiquer l’agriculture et l’élevage ils disposèrent donc de rations alimentaires plus riches. Il n’était plus nécessaire de maintenir ce taux de glucose élevé et par conséquent le gène CLTCL1 s’adapta pour mieux stocker le glucose sanguin rapidement en le transportant dans ces vésicules formées de clathrines.
Chez l’homme ainsi que chez bon nombre de vertébrés, le gène CLTCL1 est présent sous forme de deux allèles. Bien que ce gène soit remarquablement bien conservé il existe cependant des différences selon les populations humaines contemporaines, qu’il s’agisse par exemple des Yoruba au Nigeria, des Américains du nord d’origine européenne ou encore des Chinois Han de la région de Pékin … Les étapes successives qui ont pu provoquer une adaptation de ce gène sont d’abord l’introduction de la cuisson dans le régime alimentaire il y a 450000 ans, puis l’agriculture et l’élevage il y a 12 à 15000 ans et plus récemment l’alimentation industrielle.
Pour prouver que ce type d’évolution au niveau génétique est bien réel, une différence a pu être identifiée entre l’homme moderne issu de populations pratiquant l’élevage et l’agriculture avec les quelques groupes humains chasseurs-cueilleurs stricts existant encore en Afrique. Le même phénomène de différenciation des allèles des gènes CLTCL1 a été observé entre l’ours polaire et l’ours brun qui ont divergé il y a environ 400000 ans. Le dimorphisme observé se situe au niveau d’un SNP en position 1316 de la chaine lourde de la clathrine provoquant le remplacement d’une méthionine par une valine. Ce SNP induit une changement fonctionnel de la clathrine et les vésicules transportant le glucose vers ses destinations de stockage, muscle ou tissu adipeux, interagissent moins bien avec le transporteur de glucose de ces tissus particuliers.
Quel est le résultat de cette évolution ? Tout simplement l’apparition d’une résistance à l’insuline du transporteur de sucre appelé GLUT4 au niveau des muscles et des tissus adipeux. Cette résistance à l’insuline se caractérise aussi par l’accumulation de la protéine de clathrine CHC22 dans le compartiment cellulaire de stockage du glucose sous forme de complexe avec ce transporteur GLUT4. Les aliments industriels proposés aux populations contemporaines et riches en sucre devraient donc exacerber la situation de la résistance à l’insuline du transporteur GLUT4 puisque les deux allèles, méthionine et valine, de la CHC22 coexistent chez l’homme approximativement depuis l’apparition de l’agriculture.
Source et illustrations : https://elifesciences.org/articles/41517