Chez l’homme, d’où provient le diabète de type 2 ?

La réponse est difficile à expliquer clairement surtout quand on s’adresse à un néophyte comme votre serviteur voire à un ignorant des mécanismes cellulaires complexes qui régulent l’ensemble du métabolisme. Il me faut donc dans ce billet remonter à la « généalogie » de la production d’insuline par le pancréas. L’insuline est en effet une hormone régulant la teneur en glucose dans le sang. Cette hormone peptidique intervient quand la teneur en glucose sanguin devient trop élevée, comme par exemple après un repas, pour stocker ce sucre sous forme d’un polymère appelé glycogène dans les muscles ou les cellules adipeuses « brunes » pour une utilisation future. Les cellules pancréatiques productrices d’insuline libèrent l’insuline stockée dans des vésicules intra-cellulaires en les expulsant dans le milieu liquide interstitiel pour rejoindre la circulation sanguine. Ces vésicules presque sphériques possèdent une architecture assez incroyablement polyédrique constituée d’une protéine que l’on appelle clathrine, nom dérivé du grec clatharus qui signifie réseau. Ces protéines formées de deux sous-unités différentes s’assemblent pour former une structure à « trois jambes » appelée triskèle.

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Chez les êtres humains tant le stockage de l’insuline que du sucre sous forme libre est assuré par ces structures vésiculaires constituées de clathrines. Pour transporter le sucre vers le foie ou le muscle l’organisme dispose d’un mécanisme de régulation commandant la synthèse de la chaine polypeptidique CHC22 de la clathrine codée par le gène CLTCL1 situé sur le chromosome 22 et particulièrement exprimé dans les tissus musculaires. Selon le régime alimentaire des animaux, y compris celui de l’homme et en suivant en parallèle l’évolution de l’expression de ce gène CLTCL1 il a été possible de reconstituer l’histoire du transport du glucose dans les muscles et le foie et ainsi éclairer d’un nouveau jour l’apparition du diabète de type 1.

Cette « histoire » de l’expression du gène codant pour la protéine CHC22 suggère que pour les proto-humains – nos ancêtres lointains – il était nécessaire de maintenir un taux de glucose sanguin élevé pour favoriser le développement du cerveau. Quand les êtres humains commencèrent à pratiquer l’agriculture et l’élevage ils disposèrent donc de rations alimentaires plus riches. Il n’était plus nécessaire de maintenir ce taux de glucose élevé et par conséquent le gène CLTCL1 s’adapta pour mieux stocker le glucose sanguin rapidement en le transportant dans ces vésicules formées de clathrines.

Chez l’homme ainsi que chez bon nombre de vertébrés, le gène CLTCL1 est présent sous forme de deux allèles. Bien que ce gène soit remarquablement bien conservé il existe cependant des différences selon les populations humaines contemporaines, qu’il s’agisse par exemple des Yoruba au Nigeria, des Américains du nord d’origine européenne ou encore des Chinois Han de la région de Pékin … Les étapes successives qui ont pu provoquer une adaptation de ce gène sont d’abord l’introduction de la cuisson dans le régime alimentaire il y a 450000 ans, puis l’agriculture et l’élevage il y a 12 à 15000 ans et plus récemment l’alimentation industrielle.

Pour prouver que ce type d’évolution au niveau génétique est bien réel, une différence a pu être identifiée entre l’homme moderne issu de populations pratiquant l’élevage et l’agriculture avec les quelques groupes humains chasseurs-cueilleurs stricts existant encore en Afrique. Le même phénomène de différenciation des allèles des gènes CLTCL1 a été observé entre l’ours polaire et l’ours brun qui ont divergé il y a environ 400000 ans. Le dimorphisme observé se situe au niveau d’un SNP en position 1316 de la chaine lourde de la clathrine provoquant le remplacement d’une méthionine par une valine. Ce SNP induit une changement fonctionnel de la clathrine et les vésicules transportant le glucose vers ses destinations de stockage, muscle ou tissu adipeux, interagissent moins bien avec le transporteur de glucose de ces tissus particuliers.

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Quel est le résultat de cette évolution ? Tout simplement l’apparition d’une résistance à l’insuline du transporteur de sucre appelé GLUT4 au niveau des muscles et des tissus adipeux. Cette résistance à l’insuline se caractérise aussi par l’accumulation de la protéine de clathrine CHC22 dans le compartiment cellulaire de stockage du glucose sous forme de complexe avec ce transporteur GLUT4. Les aliments industriels proposés aux populations contemporaines et riches en sucre devraient donc exacerber la situation de la résistance à l’insuline du transporteur GLUT4 puisque les deux allèles, méthionine et valine, de la CHC22 coexistent chez l’homme approximativement depuis l’apparition de l’agriculture.

Source et illustrations : https://elifesciences.org/articles/41517

Revue de détail du « canal de naissance »

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Le canal de naissance, aussi appelé canal pelvi-génital, constitué par l’espace ménagé entre l’os pubien, le sacrum et les côtés du bassin est le résultat d’un compromis au cours de l’évolution entre deux facteurs de pression sélective antagonistes : une ouverture osseuse suffisante pour assurer le passage du crâne surdimensionné du foetus humain et la limite en quelque sorte architecturale imposée à l’ensemble du bassin par la marche bipédique. Les spécialistes parlent de « dilemne obstétrique » car à l’évidence il faut que le bassin soit suffisamment solide pour supporter le poids du corps sur les deux côtés du bassin sans risque de se briser. Pour que la tête de l’enfant puisse sortir il faut souvent lui faciliter un mouvement de rotation pour optimiser l’adaptation du crâne qui n’est pas parfaitement sphérique avec le canal de naissance qui n’est pas non plus parfaitement circulaire.

Afin de préciser les facteurs évolutifs intervenant dans la forme et la dimension du canal de naissance les ossements de 348 femmes dans 24 populations différentes ont été étudiées sur une période s’étalant du deuxième millénaire avant l’ère présente jusqu’à aujourd’hui. L’étude a révélé une forte diversité géographique dans les dimensions du canal de naissance. Il ressort tout de même quelques différences significatives entre les Lapones et les Inuits qui présentent un canal de naissance aux dimensions confortables et les femmes de l’Extrême-Orient (Japonaises ou Thaïlandaises) dont les dimensions de ce canal sont très légèrement plus réduites. Mais il ne s’agit pas d’une incidence des conditions climatiques, ce qui avait été suggéré par certains auteurs. La pression de sélection et la dispersion depuis l’Afrique de l’Homo sapiens dans le monde entier a quelque peu brouillé les pistes mais cette étude ne présente toutefois qu’un intérêt mineur pour les obstétriciens qui connaissent leur métier.

Source : 10.1098/rspb.2018.1807

La disparition de la mégafaune : entièrement le fait de l’activité humaine ? Pas si sûr.

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La mégafaune désigne les grands animaux terrestres ou marins encore vivants ou disparus. L’éléphant est un représentant de ce classement qui comprenait bien d’autres espèces vivantes terrestres pour la plupart disparues aujourd’hui comme le mammouth laineux ou encore le paresseux terrestre (Paramylodon harlani) qui disparut des Amériques il y a environ 11000 ans. Il s’agissait d’un animal muni de grosses griffes d’une hauteur d’environ 3 mètres pouvant peser jusqu’à 1000 kilos. Comme l’indique le nom de ses cousins existant encore à ce jour et essentiellement arboricoles – les paresseux – il devait se déplacer lentement et devint une proie facile pour les chasseurs-cueilleurs qui arrivèrent en Amérique depuis l’Asie par le détroit de Behring. Jamais aucune preuve de l’extinction de ces représentants de la mégafaune de la fin du Pléistocène par les hommes n’avait été apportée jusqu’à la découverte d’empreintes de cet animal visiblement pourchassé par des êtres humains dans le monument national des White Sands au Nouveau-Mexique.

L’illustration en deux parties montre clairement que des hommes, au moins deux, tentaient de s’approcher d’un paresseux pour l’abattre. L’un des hommes marche sur les traces du paresseux (sloth + human track), probablement en le poursuivant alors qu’un autre homme va l’attaquer à revers. Les empreintes en vert sont des traces des « mains » du paresseux (sloth manus trace) peut-être blessé ou tentant d’adopter une démarche de quadrupède pour s’échapper. Bref, il s’agit d’une scène de chasse (flailing circle) préhistorique unique en son genre.

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La disparition de la mégafaune du Pléistocène qui avait vu le jour des dizaines de millions d’années auparavant peut donc s’expliquer par l’activité des chasseurs-cueilleurs qui y avaient trouvé des proies faciles, certes, mais il ne faut pas perdre de vue que ces espèces animales avaient atteint le stade ultime de leur évolution de même qu’aujourd’hui les pandas, les éléphants, les rhinocéros ou encore les koalas sont des espèces animales qui ont atteint les limites de leur évolution et devraient disparaître naturellement à plus ou moins brève échéance quoique l’homme fasse pour les protéger. C’est la dure loi de l’évolution et que l’activité humaine accélère ce processus n’est qu’un épiphénomène monté en épingle par les tenants de la biodiversité tout simplement pour culpabiliser les hommes.

Source et illustrations : Science Advance, 10.1126/sciadv.aar7621 et aussi un vidéo en anglais résumant résumant ces travaux : https://youtu.be/fkY5aWNomUs . Sloth en anglais = paresse ou paresseux

L’alcool, un don des dieux !

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Les zoologistes ont toujours observé un comportement particulier de nos cousins les grands singes qui se délectent de fruits tombés à terre dans la forêt, que ce soient des bonobos ou des gorilles. En effet ils sont attirés par ces fruits car en raison du climat tropical ils ont tendance en s’ouvrant sur le sol après leur chute à fermenter rapidement. Je me souviens d’une mémorable soirée au sud du Sénégal arrosée de vin de palme qui en quelques heures seulement avait atteint un degré d’alcool largement suffisant pour se trouver dans un état d’euphorie agréable … La consommation d’alcool fut donc découverte probablement bien avant l’homme par les grands singes. Quand l’homme a-t-il maîtrisé la production de boissons alcoolisées ? Une question qui aura occupé toute la vie du Docteur Patrick McGovern en s’intéressant aux poteries retrouvées lors de fouilles archéologiques. Si l’alcool s’évapore et ne laisse aucunes traces imprégnées dans les fragments de poteries parfois datant de plus de 10000 ans, McGovern a retrouvé des éléments d’information relatifs aux ingrédients qui de toute évidence servaient à fabriquer des breuvages alcoolisés, que ce soient des fruits, du riz comme en Chine, du miel, ou encore d’autres céréales ou des graines de cacao en Amérique Centrale.

Pour McGovern la popularisation de l’alcool coïncide avec l’avènement de l’agriculture il y a environ 10000 ans mais les boissons alcoolisées étaient probablement connues depuis des dizaines sinon des centaines de milliers d’années avant que cette agriculture, orientée vers la production de céréales en particulier, soit appliquée à la production d’alcool. Selon McGovern l’attirance de l’homme (et des grands singes) est liée au fait que nous disposons de l’équipement enzymatique permettant à notre organisme de gérer la présence d’alcool présent dans l’alimentation. Cet enzyme appelé alcool-déshydrogénase est en grande partie produit dans le foie mais il est aussi présent dans la salive et le tractus intestinal. Il a pour fonction d’oxyder l’alcool et le transformer en acétate, un métabolite qui sera ensuite pris en charge pour toutes sortes de voies de biosynthèse.

McGovern a vérifié son hypothèse du lien entre l’attirance pour l’alcool et la présence de cet enzyme en étudiant le métabolisme des mouches des fruits ou encore des chauve-souris frugivores qui en mangeant des fruits partiellement fermentés ingèrent chaque soir l’équivalent pour l’homme de 10 verres de vin sans que pour autant leur habilité à voler soit altérée. Les conséquences de l’usage de boissons alcoolisées chez nos ancêtres du Paléolithique supérieur, toujours selon McGovern, sont multiples. L’état de légère ébriété aurait favorisé le renforcement des liens sociaux, permis l’apparition du langage, des arts rupestres, de la musique et pourquoi pas de la religion dont les premières manifestations furent le chamanisme. Les chamans étaient peut-être détenteurs du savoir-faire nécessaire pour la production de boissons alcoolisées, boissons qui furent importantes pour l’apparition d’une certaine hiérarchie dans les groupes humains, en quelque sorte un don des dieux, à consommer avec modération …

Source et illustration : Smithsonianmag.com

La reconnaissance du visage, un résultat de l’évolution

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Nous sommes des bipèdes de la famille des primates et les chimpanzés sont nos plus proches cousins dans cette famille animale quoiqu’en pensent les créationistes. Au cours de l’évolution l’homme a donc appris à marcher sur ses deux pieds et la position verticale a entraîné des modifications inattendues de l’ensemble de l’anatomie et du comportement. Tous les animaux vivant en groupes, comme les chimpanzés et les hommes, ont élaboré des mécanismes de reconnaissance de leurs congénères afin d’assurer la stabilité et la sécurité du groupe. Chez l’homme la reconnaissance du visage et du corps fait appel à des activités cérébrales très précises. Le visage d’une personne constitue une sorte de carte d’identité pour le cerveau et notre mémoire dispose d’un répertoire qui nous permet d’identifier nos congénères et nos proches. En comparaison du visage du chimpanzé, celui de l’homme est plus expressif, mieux « rempli » de tissus mous, plus coloré et il reflète très précisément l’état de l’humeur de la personne. Il existe un test simple d’inversion de l’image d’un visage qui reste identifiable car les mécanismes de reconnaissance situés dans le cerveau maintiennent cette reconnaissance. Chez le chimpanzé, ce test est également positif.

Le changement de posture, c’est-à-dire la démarche verticale, a également entrainé une perte de la reconnaissance d’autres parties du corps. Cette posture met chez la femme la poitrine en évidence. Il s’agit du second mécanisme de reconnaissance après le visage, la femme étant le seul primate à posséder une poitrine gonflée en dehors des périodes de lactation contrairement aux femelles chimpanzés.

La posture verticale a eu également pour conséquence de dissimuler l’aire ano-génitale chez la femme alors qu’elle reste en évidence chez la femelle chimpanzé. Et elle est d’autant plus évidente que lors de la période d’ovulation cette partie du corps devient tuméfiée et se colore en rose vif. Les biologistes se sont donc posé la question suivante au sujet des chimpanzés : cette zone ano-génitale entre-t-elle dans les schémas de reconnaissance avec la même importance que le visage chez l’homme ?

Pour répondre à cette question, une équipe de scientifiques de l’Université d’Amsterdam collaborant avec celle de Kyoto a donc procédé à une étude minutieuse relative au temps nécessaire pour que des hommes ou des femmes, des étudiants volontaires de l’Université, reconnaissent un visage ou la présence d’une poitrine concourant à identifier le sexe de la personne et des tests identiques ont été appliqués avec d’autres parties du corps comme les pieds ou les fesses. Le même type d’approche a été appliqué à des chimpanzés à l’aide de photos originaires du sanctuaire japonais de primates de Kumamoto. Dans une autre série de tests, les visages étaient ensuite inversés afin d’affiner dans ce cas les temps de réponse. Les 5 chimpanzés, 4 femelles et un mâle, qui participèrent à cette étude étaient tous des pensionnaires de l’Institut de recherche sur les primates de l’Université de Kyoto.

L’expérience est schématisée par l’illustration ci-dessous :

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Plusieurs centaines de tests ont été réalisés tant avec le groupes de volontaires de l’Université d’Amsterdam qu’avec les 5 chimpanzés. Il est apparu que chez les femmes et les hommes la reconnaissance du visage est prépondérante qu’il s’agisse de photos en couleur ou en grisé. Chez les chimpanzés, qu’il s’agisse de femelles ou de l’unique mâle, la reconnaissance de l’arrière-train, la zone ano-génitale, est plus marquée avec des photos en couleur alors que le visage et plus reconnaissable que cette zone dans le cas des photos en grisé. La couleur joue donc un rôle important dans ce mécanisme, mais pas seulement car le temps de réponse varie quand les photos sont inversées dans le même sens tant pour le visage que pour l’arrière-train alors que cette différence n’existe par pour les photos des pieds qui constituaient en quelque sorte un contrôle.

Chez le chimpanzé l’observation de l’aire ano-génitale constitue donc un mécanisme de reconnaissance sociale aussi important que celle du visage chez l’homme. La couleur, en particulier celle des lèvres et des yeux, est également d’une grande importance chez l’homme pour la reconnaissance du visage. Il est reconnu que la femme colore ses lèvres afin de paraître plus attractive et ce détail peut être considéré comme une réminiscence de la coloration de l’arrière-train des femelles chimpanzés au cours de l’ovulation puisque la zone ano-génitale de la femme n’est plus visible en raison de la posture verticale quand elle est totalement nue. Les auteurs de cette étude n’ont fait que suggérer ce dernier point …

Source : PlosOne, doi : 10.1371/journal.pone.0165357

Le cancer contagieux du chien : toute une histoire …

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La tumeur sexuellement transmissible du chien est un des quelques rares cancers contagieux qui soient connus. Pour cette tumeur génitale du chien, le mâle au niveau du pénis et la femelle au niveau de la vulve, on croyait qu’il pouvait s’agir d’un virus provoquant ce cancer qui se développe rapidement en forme de chou-fleur comme c’est le cas du cancer du col de l’utérus chez la femme provoqué par le HPV (human papilloma virus). De récentes études ont montré qu’il n’en est rien et que la transmission s’effectue via des cellules cancéreuses préexistantes.

Il s’agit de la plus vieille lignée cellulaire cancéreuse connue puisque son apparition est estimée remonter à plus de 11000 ans. Comme la domestication du chien par l’homme est considérée comme antérieure l’hypothèse la plus couramment admise est un goulot d’étranglement génétique dans l’évolution du chien lorsqu’il fut justement domestiqué par l’homme. C’est l’hypothèse qui expliquerait que le diable de Tasmanie soit également susceptible à un cancer contagieux.

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L’étude a concerné 449 tumeurs récoltées dans les 5 continents et l’étude du génome mitochondrial de ces tumeurs et de celui de 590 chiens également répartis dans le monde. Il est apparu que le groupe phylogénétique A (on dit clade) des cellules tumorales, bien que datant de 11000 ans selon la dérive génétique ou accumulation naturelle de mutations s’est scindé en 4 autres sous-clades au cours du temps mais relativement récemment comme l’indique la figure ci-dessous :

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En réalité il s’est produit un phénomène surprenant de transfert horizontal de portions de l’ADN mitochondrial de l’hôte de la tumeur créant ces sous-clades avec des réarrangements de cet ADN beaucoup plus facile à étudier que ceux de l’ADN nucléaire malgré le fait qu’il ne soit transmis que par la mère. Les clades 1 et 2 partagent un ancêtre commun depuis 460 ans alors que le nombre de mutations somatiques retrouvées dans le clade 2 est plus de deux fois inférieur. Ceci suggère bien un transfert horizontal entre l’ADN de l’hôte et les cellules tumorales. Le clade 3 divergea du clade 1 il y a 1244 ans alors que les clades 4 et 5 divergèrent de ce même clade 1 il y a respectivement 1690 et 585 ans. En se basant sur la dérive génétique de l’ADN mitochondrial humain les cellules tumorales canines toutes issues d’une première tumeur individuelle ont été soumises à des réarrangements génétiques par transfert horizontal au moins 5 fois durant les 2000 dernières années.

La répartition géographique des tumeurs (les couleurs des différents clades) est riche d’enseignements. Par exemple les chiens australiens souffrant de ce cancer n’ont été en contact avec un chien porteur qu’il y a au plus 116 ans quant aux tumeurs étudiées en Amérique Centrale et du Sud elles dérivent toutes d’un clone ne datant pas de plus de 511 ans soit 13 ans après le premier voyage de Christophe Colomb. La tumeur génitale du chien constituée de la plus vieille lignée cellulaire maligne connue est un exemple unique de recombinaison horizontale ayant permis aux cellules de « rajeunir » leur ADN mitochondrial au cours du temps, un mécanisme sélectif d’adaptation révélant des mécanismes biologiques inattendus qui sont apparus dans une ancienne lignée cellulaire qui, de ce fait, a survécu plus de 10000 ans.

Source et illustration : http://dx.doi.org/10.7554/eLife.14552

L’âge de la ménopause, résultat de l’évolution ?

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En 1978, en Californie, j’eus le privilège d’assister avec une immense satisfaction à la « Nobel Lecture » du Docteur Rosalyn Yalow couronnée quelques mois auparavant par le comité Nobel pour ses travaux sur les hormones peptidiques. La grande avancée que permit les travaux de Yalow fut la possibilité de mesurer dans le sang ou des extraits de tissus des quantités infimes de constituants à l’aide d’anticorps marqués avec de l’iode radioactif. Il fallait naturellement disposer d’anticorps qu’on obtenait en général en immunisant des souris ou d’autres animaux. La technique de Yalow que je maîtrisais alors non sans danger malgré toutes les précautions qui devaient être respectées était et est toujours la plus sensible encore à ce jour pour détecter d’infimes quantités de produits biologiques. L’iode-125 utilisé pour le marquage des anticorps est en effet puissamment radioactif et multiplie par un facteur qu’on pourrait dire astronomique la sensibilité du dosage.

Rosalyn Yalow refusa de breveter la technique considérablement efficace du radio-immuno-essai (RIA), c’est le nom de cette technique, considérant qu’elle devait être dans le domaine public tout de suite afin d’aider la recherche médicale. Le premier enfant-chéri de Yalow fut donc l’insuline, la première hormone peptidique découverte, et les travaux réalisés constituèrent une avancée immense sur le plan strictement médical. Puis vinrent les hormones de l’hypophyse dont en particulier l’ACTH (adreno-corticotropic hormone) qui régule la production de cortisol par les glandes surrénales.

Yalow s’intéressa alors aux hormones modulant le cycle menstruel chez la femme et sa « lecture » Nobel retraça les résultats qu’elle obtint dans ce domaine particulier de l’endocrinologie.

Pour faire bref, le cycle menstruel est sous l’influence de la FSH (follicle stimulating hormone) et de la LH (luteinizing hormone), deux hormones peptidiques sécrétées par l’hypophyse. Rosalyn Yalow exposa en détail les raisons pour lesquelles le cycle menstruel dure chez la femme en moyenne 28 jours. Il s’agit de la résultante d’une combinaison des durées de vie de ces deux hormones dans le sang et de la durée de vie des facteurs provenant de l’hypothalamus qui commandent la production de ces dernières par l’hypophyse, une pure affaire d’arithmétique ! Rosalyn Yalow ne mentionna pas la ménopause dans sa conférence. Ce n’est que plus tard qu’on comprit quel est le mécanisme d’apparition de la ménopause qui est paradoxalement commandé également par ces mêmes hormones peptidiques de l’hypophyse. La rétro-inhibition par les ovaires de la production de FSH au cours du cycle devient perturbée et ce fait induit alors la ménopause.

Toute cette longue introduction pour en arriver à la signification de la ménopause car il était généralement admis que seules les femmes deviennent stériles avec l’âge alors qu’elle n’ont encore vécu que les deux tiers de leur vie. La ménopause existe pourtant aussi chez d’autres mammifères comme les baleines, les chiens, les éléphants, les lapins et les autres primates et elle survient beaucoup plus tardivement que chez les humains, mais pourquoi ?

C’est une question à laquelle Rosalyn Yalow n’aurait pas pu répondre. On commence seulement à entrevoir les raisons de cette différence entre les humains et les autres mammifères. Aujourd’hui la ménopause intervient à peu près au moment où une femme a quelque chance de devenir grand-mère, disons autour de 45 ans. S’affranchir du fardeau physiologique que représente la fertilité permettrait selon des hypothèses récentes à la « jeune grand-mère » de s’occuper de la progéniture de ses propres enfants. Certes, si on compare l’espérance de vie actuelle avec celle de nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs, il est difficile de trouver une influence de l’évolution sur l’âge d’apparition de la ménopause. Pourtant c’est en comparant divers mammifères qu’une récente étude a montré l’influence de la structure des sociétés animales – y compris l’homme – sur l’age d’apparition de la ménopause et ses bénéfices sur la survie des groupes humains, je veux parler de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.

Pour comprendre l’effet de l’évolution sur l’age d’apparition de la ménopause chez les femmes et certains animaux il faut introduire la notion de philopatrie comme l’ont fait les auteurs de cette étude parue dans les Biology Letters de la Royal Society (voir le lien).

La philopatrie est un phénomène bien observé chez certains animaux comme par exemple les éléphants qui reviennent sur leur lieu de naissance pour à nouveau donner naissance à leur descendance. Ce comportement qui est le plus souvent le fait des mâles requiert l’aide des « grand-mères » pour favoriser la survie des jeunes mais également des femelles porteuses d’un futur descendant. Il semblerait qu’un tel comportement justifie l’apparition de la ménopause à un âge plutôt précoce pour augmenter la durée de la vie post-reproductive des femelles afin de participer à la survie du groupe. Reste maintenant à déterminer quelle différence a été induite par l’évolution. Probablement encore une affaire d’arithmétique hormonale comme s’était complue Rosalyn Yalow au cours de sa « Nobel lecture » …

Source : DOI: 10.1098/rsbl.2015.0992 , illustration « grand-mère » (?) éléphante et son petit-fils âgé d’un jour. Levonorgestrel (Wikipedia).

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Note. Dans le contexte de ce billet, il existe aujourd’hui une tendance assez controversée chez les femmes non ménopausées ayant une vie professionnelle active. Ces femmes désirent ne plus avoir de règles pour des raisons de confort mais aussi pour certaines d’entre elles afin de s’affranchir de saignements abondants ou de douleurs abdominales parfois handicapantes. Il suffit pour elles de se soumettre à l’implantation d’un stérilet imprégné de levonorgestrel, un dérivé de la nandrolone qui ne présente pas les propriétés anabolisantes de ce dernier produit. En cas de désir de grossesse, cette disposition de confort est réversible. On ne peut donc que constater ici que la biologie moderne a, si l’on peut dire, accéléré l’évolution …

La controverse du tardigrade

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Avant d’exposer la controverse qui est le sujet de ce billet il faut rappeler brièvement ce qu’est un tardigrade. C’est peut-être la créature à huit pattes, un peu comme les acariens, la plus communément répandue dans le monde, de l’Arctique à l’Antarctique, dans les déserts brûlants et secs, les très hautes montagnes et les profondeurs des abysses, ici Hypsibius dujardini, rien à voir avec l’acteur de cinéma ! Non seulement ces bestioles résistent à la dessiccation quasi totale mais elles peuvent être plongées dans de l’hélium liquide ( -272 °C) ou dans un four à 149 °C, elles résistent toujours (elles se moquent des changements climatiques), ou être soumises à des radiations ionisantes plusieurs centaines de fois plus élevées que les doses létales pour l’homme, elles résistent encore. Ce sont les êtres vivants autres que les bactéries les plus vieux sur Terre puisqu’on en a identifié dans des roches datant de plus de 600 millions d’années. Le tardigrade est opportuniste et se nourrit de plantes, de lichens et de détritus microscopiques d’origine animale pour atteindre une taille d’environ un demi-millimètre. Voilà pour le tardigrade.

La controverse qui a agité le monde scientifique ces dernières semaines a en réalité été provoquée par les machines de séquençage de l’ADN qui lisent ce qu’on veut bien leur donner à lire. En effet l’un des points les plus critiques de cette technologie est la préparation de l’échantillon d’ADN car l’une des premières étapes consiste à amplifier cet ADN et si l’échantillon est contaminé alors ces contaminations sont également amplifiées. Il est donc nécessaire d’être absolument certain que l’échantillon est « propre » avant de tirer des conclusions hâtives depuis les résultats recrachés par la machine de séquençage Illumina.

C’est pourtant ce qui est arrivé, et c’est assez fâcheux, à l’équipe de biologistes de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill qui a clamé dans un article des PNAS que le tardigrade avait emmagasiné des milliers de gènes d’origine bactérienne, une exception dans le règne animal, un transfert horizontal massif, du jamais vu (voir le lien).

Une équipe de l’Université d’Edinburgh en Écosse avait aussi travaillé sur la séquence d’ADN du même tardigrade et a publié ses travaux quelques jours après ceux de l’équipe de Caroline du Nord en leur opposant un démenti cinglant (voir le lien en accès libre sur biorxiv.org). L’équipe écossaise dirigée par le Docteur Mark Blaxter a développé un ensemble d’arguments permettant de prouver sans ambiguité que les travaux des Caroliniens étaient lourdement entachés d’erreur.

Il en est ressorti que le génome du tardigrade utilisé, Hypsibius dujardini, comprend 135 millions de paires de bases et peut coder pour 23021 protéines différentes ( http://www.tardigrades.org ), ce qui n’a pas encore été vérifié. Si on se souvient que le génome humain code pour à peine 25000 protéines différentes, il nous faut rester modestes ! La controverse a donc trouvé une issue très rapidement. Le tardigrade est un animalcule plutôt compliqué, possédant un système nerveux et une sorte de squelette constitué de fibres musculaires avec des pattes munies de crochets, un orifice buccal, un tube digestif et des organes reproducteurs. Inutile de souhaiter une longue vie au tardigrade qui a été promu au rang d’animal de laboratoire pour réaliser des études sur l’évolution du développement car son proche cousin est le « ver velours » qu’on ne trouve par contre que dans les régions tropicales, ici un Onichophora, qui ne lui ressemble pas du tout …

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PNAS : DOI : 10.1073/pnas.1510461112

biorxiv en accès libre : http://dx.doi.org/10.1101/033464

Illustrations Wikipedia

On régresse, on régresse …

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En 1979 Edward O. Wilson (voir note) publia un ouvrage intitulé « On Human Nature » où il expliquait que les comportements humains, l’amour, la guerre, le sexe, étaient le résultat de l’évolution et de la génétique. Il résumait son livre par cette phrase devenue célèbre : « L’épopée de l’évolution est probablement le mythe le plus immense que nous n’aurons jamais connu ». L’idée que le cerveau humain à la naissance n’était pas un espace vide mais était déjà programmé à un certain degré pour des prédispositions comportementales d’origine génétique comblait de satisfaction les spécialistes de la sociobiologie (dont Wilson fut l’un des promoteurs). Il y eut aussi rapidement des détracteurs des idées de Wilson qui considéraient que ses théories n’étaient pas validées et qu’elles pourraient ouvrir la voie vers l’eugénisme et toutes sortes de discriminations.

Ces controverses se sont quelque peu apaisées avec les années et les gigantesques progrès réalisés tant dans le domaine de la génétique que du fonctionnement du cerveau. Nous savons maintenant que l’inné et l’acquis contribuent aux situations normales comme anormales de nos comportements. Cependant cette controverse resurgit quand des auteurs comme Richard Dawkins (voir le lien en référence) contestent la validité des thèses de Wilson. Si Richard Dawkins, professeur de biologie à l’Université d’Oxford ne rejette pas en bloc les thèses de Wilson, il en réfute cependant certains principes, considérant qu’un gène n’est pas isolé dans une cellule mais fait partie intégrante de l’ADN constituant un chromosome. Il n’évolue donc pas indépendamment en supplantant d’autres gènes qualifiés par Wilson de défectueux. C’est sur ce point précis que Wilson articulait sa théorie de la sélection, théorie que n’aurait certainement par rejeté Darwin.

Bref, les choses se sont depuis la fin des années 70 passablement éclaircies mais ont été également compliquées par la découverte de l’épigénétique et du rôle des micro-ARNs, une avancée récente dans la compréhension de l’expression des gènes. La situation n’est pas aussi claire que celle que pressentait Wilson, tout entomologiste qu’il était, et il faut reconnaître aujourd’hui que l’acquis joue un rôle dans l’évolution et ce rôle ne peut plus être contesté. Mais ce qui différencie aussi Wilson de Dawkins et c’est loin d’être anecdotique est que l’un est croyant et l’autre athée. De là à alimenter le débat sur l’évolution, il n’en fallut pas plus pour que les thèses de Wilson soient récupérées par certains groupes de scientifiques orientés religieusement. Selon Wilson l’évolution fait partie d’un grand dessein. Selon Jacques Monod, également croyant (protestant) comme Wilson, elle relève d’une combinaison du hasard et de la nécessité – selon ses termes – et selon Dawkins elle n’est que le résultat de la lente dérive génétique résultant de l’accumulation de mutations dont seules celles qui sont favorables restent alors que les « mauvaises » mutations font littéralement disparaître les gènes et donc leurs produits d’expression dans les régions devenues non codantes de l’ADN qui représentent la grande majorité de ce dernier.

Les spécialistes de l’évolution pourraient suggérer que certains gènes sont devenus dominants (ou non) avec le temps selon qu’ils ont promu des comportements bénéfiques en relation avec les facteurs environnementaux, sociaux et culturels. Il s’agit schématiquement d’une thèse proposée par les psychologues de l’évolution. Plus simplement certaines combinaisons gène-comportement ont fourni à des individus ou des groupes d’individus des avantages pour mieux survivre par rapport à d’autres individus ou groupes d’individus et ceux-ci ont été « sélectionnés » au cours de milliers d’années pour mieux transmettre ces gènes. Dans le même ordre d’idée le fait de mieux se protéger des maladies et des blessures – ce que réussirent nos lointains ancêtres avec la pratique des plantes médicinales ou la réduction de fractures osseuses – participa à ce processus de sélection. Il est ici intéressant de noter que des réductions de fractures osseuses et des trépanations ont été clairement montrées lors de fouilles et ces gestes médicaux ont été effectués il y a plusieurs dizaines de milliers d’années.

Le genre Homo est apparu sur la Terre il y a environ 3 millions d’années et notre espèce Homo sapiens il y a 300000 ans. Si on définit le temps d’une génération à 18 ans, depuis l’apparition du genre Homo il y a eu 167000 générations durant lesquelles les comportements favorables à une meilleure survie sont apparus et ont été sélectionnés, c’est-à-dire les comportements issus de prédispositions génétiques favorisant la survie en protégeant les descendants, une attitude que nous possédons tous mais qui est différente de l’instinct de survie. L’instinct de survie nous conduit à éviter de nous blesser mais le comportement consistant à soigner une blessure de nos congénères relève de l’évolution. Les récents progrès de la biologie et de la médecine ont émoussé cet impératif génétique de base, ce besoin fondamental de nous occuper de nous-même et aussi et surtout de nos congénères.

Ce n’est pourtant que très récemment, en termes d’évolution, que nous disposons d’outils efficaces pour nous soigner, les vaccins, les antibiotiques sont des inventions très récentes : il y a à peine un peu plus d’un demi-siècle que ces technologies sont apparues alors que le genre Homo existe depuis 30000 siècles ! Et durant les 29999 siècles et demi précédents on s’est débrouillé par nous-même et de manière terriblement inefficace mais justement pas suffisamment inefficace pour pouvoir jouer favorablement un rôle dans notre évolution. Aujourd’hui nous vivons dans une société très spécialisée. Il y a des médecins pour s’occuper de notre santé et des plombiers pour déboucher nos toilettes. Mais les diabétiques ont appris à se traiter eux-mêmes et beaucoup de personnes savent déboucher leurs toilettes elles-mêmes. Ça fait aussi partie de l’évolution même si l’exemple est caricatural. Aujourd’hui on ne risque plus sa vie quand on est malade ou qu’on s’est cassé une jambe mais il y a à peine 500 ans un paysan qui se brisait une jambe et ne pouvait plus s’occuper de sa ferme mettait en danger toute sa famille. Aujourd’hui on prend sa voiture et on va au supermarché ou on se rend au service des urgences de l’hôpital le plus proche mais on a perdu l’usage des gestes simples qui permettaient de soulager un enfant malade, une attitude que j’ai connu quand j’étais enfant : mes parents faisaient rarement appel au médecin et connaissaient quelques « trucs de grand-mère » pour nous soigner. Les progrès récents de la médecine et les techniques utilisées en biologie constituent peut-être une contre-évolution défavorable.

En tant qu’entomologiste Wilson a du être comblé d’apprendre que la chrysomèle des racines de maïs (Diabrotica virgifera virgifera) est devenue résistante à la toxine Bt exprimée par le maïs transgénique de Monsanto et de Dow Chemical. En effet si 99,99 % des insectes suceurs sont tués par la toxine, le peu qui survit se croise avec la même espèce ravageant des cultures non génétiquement modifiées. Dès lors la descendance est plus rigoureusement résistante à la toxine Bt (voir le lien PNAS) :

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Et aussi dans le registre extraordinaire de l’évolution qui a aussi certainement comblé de satisfaction tant Wilson que Dawkins on a découvert un cas de transfert de gènes horizontal entre une algue et une limace de mer ( respectivement Vaucheria litorea et Elysia chlorotica). La limace se nourrit d’algues et ingère donc des chloroplastes mais elle a aussi incorporé dans son génome des informations génétiques de la même algue afin de réaliser la prouesse de devenir photosynthétique tout comme l’algue, en quelque sorte de ne se nourrir que du rayonnement solaire et du CO2 dissous dans l’eau de mer quand elle ne trouve plus rien à se mettre sous la dent. Je n’ai pu résister à montrer à mes lecteurs cette curieuse créature qui n’est pas une feuille de choux de Bruxelles mais bien une limace de mer (voir le lien) :

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En guise de conclusion, je voudrais utiliser une image qui décrit cette évolution. Dans les trains il y a des poignées qui permettent de stopper la rame en cas d’urgence et il est bien indiqué que « tout abus sera puni ». La médecine et la biologie modernes ont arrêté le train de l’évolution et les abus sont déjà punis avec l’apparition par exemple des bactéries multirésistantes aux antibiotiques, des allergies et autres maladies induites par des excès d’hygiène ou de produits artificiels, des cancers liés au mode de vie ou à la nourriture et des dérives encore difficiles à imaginer qu’ouvre la génétique. En quelque sorte l’humanité a pour la première fois depuis des centaines de milliers d’années commencé à régresser …

Note : Edward O. Wilson (né en 1929) fut entomologiste à l’Université d’Harvard. Sa spécialité était la myrmécologie qui est l’étude des fourmis et n’a rien à voir avec l’écologie politique actuelle. Il fut l’un des créateurs de la sociobiologie et du concept de biodiversité. Fervent croyant, il était convaincu que l’évolution faisait partie d’un grand dessein dont nous sommes les acteurs involontaires.

Source et autres liens :

http://rétrospectivement/science-ans-technology/edward-wilson-social-conquest-earth-evolutionary-errors-origin-species

http://www.pnas.org/content/111/14/5141.full.pdf+html

http://www.biolbull.org/content/227/3/300.abstract

Illustration Edward O. Wilson (Wikipedia)

Les plantes de grande culture résisteront-elles au sel un jour ?

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L’irrigation de par le monde a de bons côtés comme par exemple permettre la culture du maïs dans des régions qui ne sont pas adaptées de par la pluviométrie locale à ce type de plante très gourmande en eau. En d’autres régions la culture du coton, aussi très dépendante d’apports en eau, a parfois conduit à des désastres environnementaux irrémédiables. Qui n’a pas encore présent à l’esprit le quasi assèchement de la Mer d’Aral pour justement irriguer des champs de coton. La pratique de l’irrigation a ses bons et ses mauvais côtés mais il ressort d’études de la FAO que l’irrigation condamne chaque minute dans le monde trois hectares de terre arable en raison des remontées de sel à la surface à la suite d’une irrigation incontrôlée, soit en raison de l’utilisation d’eau légèrement saumâtre, soit parce que l’équilibre chimique du sol ne se prête pas à une irrigation intensive. Cette statistique paraît effrayante et pourtant il s’agit de la réalité.

Il existe cependant des plantes résistantes à de fortes concentrations en sel, par exemple les palétuviers des mangroves ou les salicornes, ces petites plantes aux feuilles succulentes qu’on trouve communément près des oeillets des marais salants et qu’on peut, si on a un palais exercé, déguster en salade.

Des bactéries résistent à de très fortes concentrations en sel, des plantes aussi, or l’une des hypothèses de l’apparition de la vie sur Terre serait la proximité des fumeurs des fonds marins où des sels minéraux et des gaz dissous sous de très fortes pressions comme de l’hydrogène, du gaz carbonique, de l’ammoniac et divers dérivés soufrés, rassemblés presque par hasard au même endroit, auraient permis l’élaboration des premières molécules complexes puis cette organisation spatiale apte à donner naissance à des proto-cellules vivantes. Il a fallu un bon milliard d’années pour aboutir aux premières bactéries qui, dans un milieu salin, ont du imaginer un système leur permettant d’évacuer le sel (chlorure de sodium) afin d’atteindre des stades évolutifs plus complexes. Des restes de ce mécanisme ancestral lointain persistent encore aujourd’hui chez certaines plantes qui se sont spécialisées au cours de l’évolution pour s’affranchir du sel par des subterfuges complexes leur permettant de survivre dans ces environnements hostiles.

Que ce soient les bactéries dites halophiles ou les plantes dites halophytes croissant ou poussant sans encombre dans de l’eau salée, le mécanisme d’élimination du sel en excès est sensiblement le même dans son principe : un échange entre l’ion sodium et l’ion hydrogène plus communément appelé proton ou H+. Cet échange est dispendieux en énergie et on comprend qu’il a fallu des centaines de millions d’années pour que sa mise au point ait pu atteindre une perfection incroyable chez les plantes « halophytes » comme les salicornes. Mais cette aptitude à éliminer le sel n’est pas seulement le fait des plantes et des bactéries. Par exemple certains oiseaux marins que l’on peut observer au large s’abreuvent d’eau de mer et éliminent le sel grâce à des glandes spécialisées qui rejètent le sel à l’extérieur de leur corps, un mécanisme en tout points apparenté à celui mis au point par les palétuviers ! Dans les deux cas il faut des quantités incroyables d’énergie pour faire fonctionner le système d’échange entre sodium et protons. Les salicornes sont des plantes succulentes et un fluide riche en sel s’accumule à l’intérieur de vacuoles intracellulaires sans endommager la plante (voir l’illustration en fin de billet). D’autres plantes de la famille des Chénopodiacées reclassées maintenant dans la super-famille des Amaranthacées ont imaginé de stocker le sel dans des petites vessies épidermiques qui ont évolué à partir de cils présents sur les cellules de cet épiderme appelés trichomes. Les plantes halophytes font partie de cette famille qui comprend aussi les épinards, les betteraves, le quinoa ou encore l’Atriplex, une plante commune des déserts salés qui est un candidat sérieux pour la production de bio-carburants.

Comment rendre une plante tolérante au sel sinon en identifiant d’abord l’ensemble des gènes impliqués dans le transport et l’élimination du sodium mais aussi ceux qui permettent l’élaboration des vessies épidermiques où le sel est stocké puis éliminé lorsque ces vessies se détachent de la plante. Il s’agit d’une tâche pour le moins difficile car dans un premier temps il faudra tenter des croisements entre par exemple le blé et le quinoa, ce qui est loin d’être acquis. La biologie moléculaire et la transgénèse végétale n’arriveront jamais à bout de ce gigantesque challenge car le nombre de gènes impliqués dans le processus d’élimination du sel est trop important. Il ne reste qu’une laborieuse sélection par adaptation à des milieux salés qui pourrait s’étaler sur des dizaines d’années.

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Les plantes ont choisi trois stratégies pour tolérer le sel : la plupart des plantes non tolérantes (i) dépensent de l’énergie pour rejeter le sel à l’extérieur, c’est le cas par exemple du blé ou de l’orge au détriment du rendement de la récolte qui chute fortement en présence de sel. Les plantes halophytes ont choisi deux stratégies : stocker le sel dans des vacuoles intracellulaires (ii et D, Carpobratus rossii), c’est le cas de la salicorne, ou de l’éliminer artificiellement dans des vessies (iii) comme l’atriplex (B) ou le quinoa (C). La tolérance au sel des grandes cultures vivrières n’est donc encore qu’un objectif très éloigné de la réalité …

Source et illustration : Quinoa (Wikipedia) et Trends in Plant Science, November 2014, Vol. 19, No. 11, DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.tplants.2014.09.001