On régresse, on régresse …

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En 1979 Edward O. Wilson (voir note) publia un ouvrage intitulé « On Human Nature » où il expliquait que les comportements humains, l’amour, la guerre, le sexe, étaient le résultat de l’évolution et de la génétique. Il résumait son livre par cette phrase devenue célèbre : « L’épopée de l’évolution est probablement le mythe le plus immense que nous n’aurons jamais connu ». L’idée que le cerveau humain à la naissance n’était pas un espace vide mais était déjà programmé à un certain degré pour des prédispositions comportementales d’origine génétique comblait de satisfaction les spécialistes de la sociobiologie (dont Wilson fut l’un des promoteurs). Il y eut aussi rapidement des détracteurs des idées de Wilson qui considéraient que ses théories n’étaient pas validées et qu’elles pourraient ouvrir la voie vers l’eugénisme et toutes sortes de discriminations.

Ces controverses se sont quelque peu apaisées avec les années et les gigantesques progrès réalisés tant dans le domaine de la génétique que du fonctionnement du cerveau. Nous savons maintenant que l’inné et l’acquis contribuent aux situations normales comme anormales de nos comportements. Cependant cette controverse resurgit quand des auteurs comme Richard Dawkins (voir le lien en référence) contestent la validité des thèses de Wilson. Si Richard Dawkins, professeur de biologie à l’Université d’Oxford ne rejette pas en bloc les thèses de Wilson, il en réfute cependant certains principes, considérant qu’un gène n’est pas isolé dans une cellule mais fait partie intégrante de l’ADN constituant un chromosome. Il n’évolue donc pas indépendamment en supplantant d’autres gènes qualifiés par Wilson de défectueux. C’est sur ce point précis que Wilson articulait sa théorie de la sélection, théorie que n’aurait certainement par rejeté Darwin.

Bref, les choses se sont depuis la fin des années 70 passablement éclaircies mais ont été également compliquées par la découverte de l’épigénétique et du rôle des micro-ARNs, une avancée récente dans la compréhension de l’expression des gènes. La situation n’est pas aussi claire que celle que pressentait Wilson, tout entomologiste qu’il était, et il faut reconnaître aujourd’hui que l’acquis joue un rôle dans l’évolution et ce rôle ne peut plus être contesté. Mais ce qui différencie aussi Wilson de Dawkins et c’est loin d’être anecdotique est que l’un est croyant et l’autre athée. De là à alimenter le débat sur l’évolution, il n’en fallut pas plus pour que les thèses de Wilson soient récupérées par certains groupes de scientifiques orientés religieusement. Selon Wilson l’évolution fait partie d’un grand dessein. Selon Jacques Monod, également croyant (protestant) comme Wilson, elle relève d’une combinaison du hasard et de la nécessité – selon ses termes – et selon Dawkins elle n’est que le résultat de la lente dérive génétique résultant de l’accumulation de mutations dont seules celles qui sont favorables restent alors que les « mauvaises » mutations font littéralement disparaître les gènes et donc leurs produits d’expression dans les régions devenues non codantes de l’ADN qui représentent la grande majorité de ce dernier.

Les spécialistes de l’évolution pourraient suggérer que certains gènes sont devenus dominants (ou non) avec le temps selon qu’ils ont promu des comportements bénéfiques en relation avec les facteurs environnementaux, sociaux et culturels. Il s’agit schématiquement d’une thèse proposée par les psychologues de l’évolution. Plus simplement certaines combinaisons gène-comportement ont fourni à des individus ou des groupes d’individus des avantages pour mieux survivre par rapport à d’autres individus ou groupes d’individus et ceux-ci ont été « sélectionnés » au cours de milliers d’années pour mieux transmettre ces gènes. Dans le même ordre d’idée le fait de mieux se protéger des maladies et des blessures – ce que réussirent nos lointains ancêtres avec la pratique des plantes médicinales ou la réduction de fractures osseuses – participa à ce processus de sélection. Il est ici intéressant de noter que des réductions de fractures osseuses et des trépanations ont été clairement montrées lors de fouilles et ces gestes médicaux ont été effectués il y a plusieurs dizaines de milliers d’années.

Le genre Homo est apparu sur la Terre il y a environ 3 millions d’années et notre espèce Homo sapiens il y a 300000 ans. Si on définit le temps d’une génération à 18 ans, depuis l’apparition du genre Homo il y a eu 167000 générations durant lesquelles les comportements favorables à une meilleure survie sont apparus et ont été sélectionnés, c’est-à-dire les comportements issus de prédispositions génétiques favorisant la survie en protégeant les descendants, une attitude que nous possédons tous mais qui est différente de l’instinct de survie. L’instinct de survie nous conduit à éviter de nous blesser mais le comportement consistant à soigner une blessure de nos congénères relève de l’évolution. Les récents progrès de la biologie et de la médecine ont émoussé cet impératif génétique de base, ce besoin fondamental de nous occuper de nous-même et aussi et surtout de nos congénères.

Ce n’est pourtant que très récemment, en termes d’évolution, que nous disposons d’outils efficaces pour nous soigner, les vaccins, les antibiotiques sont des inventions très récentes : il y a à peine un peu plus d’un demi-siècle que ces technologies sont apparues alors que le genre Homo existe depuis 30000 siècles ! Et durant les 29999 siècles et demi précédents on s’est débrouillé par nous-même et de manière terriblement inefficace mais justement pas suffisamment inefficace pour pouvoir jouer favorablement un rôle dans notre évolution. Aujourd’hui nous vivons dans une société très spécialisée. Il y a des médecins pour s’occuper de notre santé et des plombiers pour déboucher nos toilettes. Mais les diabétiques ont appris à se traiter eux-mêmes et beaucoup de personnes savent déboucher leurs toilettes elles-mêmes. Ça fait aussi partie de l’évolution même si l’exemple est caricatural. Aujourd’hui on ne risque plus sa vie quand on est malade ou qu’on s’est cassé une jambe mais il y a à peine 500 ans un paysan qui se brisait une jambe et ne pouvait plus s’occuper de sa ferme mettait en danger toute sa famille. Aujourd’hui on prend sa voiture et on va au supermarché ou on se rend au service des urgences de l’hôpital le plus proche mais on a perdu l’usage des gestes simples qui permettaient de soulager un enfant malade, une attitude que j’ai connu quand j’étais enfant : mes parents faisaient rarement appel au médecin et connaissaient quelques « trucs de grand-mère » pour nous soigner. Les progrès récents de la médecine et les techniques utilisées en biologie constituent peut-être une contre-évolution défavorable.

En tant qu’entomologiste Wilson a du être comblé d’apprendre que la chrysomèle des racines de maïs (Diabrotica virgifera virgifera) est devenue résistante à la toxine Bt exprimée par le maïs transgénique de Monsanto et de Dow Chemical. En effet si 99,99 % des insectes suceurs sont tués par la toxine, le peu qui survit se croise avec la même espèce ravageant des cultures non génétiquement modifiées. Dès lors la descendance est plus rigoureusement résistante à la toxine Bt (voir le lien PNAS) :

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Et aussi dans le registre extraordinaire de l’évolution qui a aussi certainement comblé de satisfaction tant Wilson que Dawkins on a découvert un cas de transfert de gènes horizontal entre une algue et une limace de mer ( respectivement Vaucheria litorea et Elysia chlorotica). La limace se nourrit d’algues et ingère donc des chloroplastes mais elle a aussi incorporé dans son génome des informations génétiques de la même algue afin de réaliser la prouesse de devenir photosynthétique tout comme l’algue, en quelque sorte de ne se nourrir que du rayonnement solaire et du CO2 dissous dans l’eau de mer quand elle ne trouve plus rien à se mettre sous la dent. Je n’ai pu résister à montrer à mes lecteurs cette curieuse créature qui n’est pas une feuille de choux de Bruxelles mais bien une limace de mer (voir le lien) :

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En guise de conclusion, je voudrais utiliser une image qui décrit cette évolution. Dans les trains il y a des poignées qui permettent de stopper la rame en cas d’urgence et il est bien indiqué que « tout abus sera puni ». La médecine et la biologie modernes ont arrêté le train de l’évolution et les abus sont déjà punis avec l’apparition par exemple des bactéries multirésistantes aux antibiotiques, des allergies et autres maladies induites par des excès d’hygiène ou de produits artificiels, des cancers liés au mode de vie ou à la nourriture et des dérives encore difficiles à imaginer qu’ouvre la génétique. En quelque sorte l’humanité a pour la première fois depuis des centaines de milliers d’années commencé à régresser …

Note : Edward O. Wilson (né en 1929) fut entomologiste à l’Université d’Harvard. Sa spécialité était la myrmécologie qui est l’étude des fourmis et n’a rien à voir avec l’écologie politique actuelle. Il fut l’un des créateurs de la sociobiologie et du concept de biodiversité. Fervent croyant, il était convaincu que l’évolution faisait partie d’un grand dessein dont nous sommes les acteurs involontaires.

Source et autres liens :

http://rétrospectivement/science-ans-technology/edward-wilson-social-conquest-earth-evolutionary-errors-origin-species

http://www.pnas.org/content/111/14/5141.full.pdf+html

http://www.biolbull.org/content/227/3/300.abstract

Illustration Edward O. Wilson (Wikipedia)

Transmission des caractères épigénétiques : une piste sérieuse.

 

L’ADN, le support de l’information génétique, ne se trouve jamais tout seul en liberté dans le noyau de la cellule mais associé à des protéines architecturales qui font qu’au final, cette immense molécule se retrouve repliée sur elle-même de manière très complexe mais ordonnée conduisant à une sorte d’amas constituant les chromosomes lors de la division cellulaire. Certaines des protéines impliquées dans cette architecture sont appelées histones et quand la cellule a besoin de « lire » un gène, donc une partie de l’ADN, pour synthétiser l’ARN qui sera utilisé par la machinerie produisant les protéines, un processus se met d’abord en place pour libérer en quelque sorte l’ADN et le rendre lisible. Tout le système est régulé à plusieurs niveaux par des processus dits de méthylation soit de l’ADN lui-même soit plus fréquemment des histones liées à l’ADN. On parle alors d’épigénétique et c’est ce mécanisme qui fait qu’avec deux fois 23 chromosomes rencontrés dans toutes les cellules humaines ces dernières ne sont pas toutes identiques car l’expression des quelques 50000 gènes est modulée par justement des processus extrêmement subtiles du domaine de l’épigénétique. Au niveau de l’ADN les méthylations ne concernent pas les parties codantes car ce pourrait être catastrophique. Ce sont les zones de l’ADN dites régulatrices qui sont modifiées et non pas l’information génétique elle-même. Quant aux histones, elles subissent également des méthylations qui réduisent au silence un ou plusieurs gènes qui ne peuvent plus être transcrits puisque l’accessibilité à la molécule d’ADN est devenue impossible. Le processus ne se fait pas n’importe comment et implique une famille d’enzymes capables de transférer trois méthyles sur un lysine particulière des histones H3. Ces enzymes ont été découverts chez la drosophile, la mouche du vinaigre, et les équivalents chez l’homme sont extraordinairement semblables à ceux de la mouche, des végétaux ou de l’autre animal de laboratoire bien connu aussi des généticiens le nématode Caenorhabditis elegans.

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Ce système est en effet nécessaire pour le développement embryonnaire et toute mutation sur les gènes codant pour l’une ou l’autre des deux protéines impliquées (PRC1 et PRC2) est létal que ce soit chez les insectes, les plantes, les poissons ou les mammifères. PRC signifie Polycomb Repressive Complex et ces méthyltransférases sont tellement critiques pour le bon fonctionnement cellulaire qu’une mutation fortuite sur l’un des deux gènes les codant peut conduire à l’apparition de cancers. On a en effet retrouvé des PRC au fonctionnement anarchique dans de nombreuses tumeurs cancéreuses. Chez la femme, qui possède deux copies du chromosome sexuel X, l’un d’eux est totalement réduit au silence après modification des histones H3 par les PRCs toujours sur une unique lysine. Enfin, l’épigénétique concerne également les caractères acquis au cours de la vie qui sont considérés comme transmissibles par le biais de l’épigénétique.

Jusqu’à la publication dans le périodique Science d’un travail réalisé récemment à l’Université de Californie à Santa Cruz on ne connaissait rien du processus de transmission des acquis épigénétiques à la descendance car l’épigénétique a tout de même bousculé les a priori concernant la génétique mais de là à retrouver les modifications induites par l’environnement, la nourriture et bien d’autres facteurs dans le matériel génétique transmis à la descendance constitue une autre révolution dans ce domaine. Restait à prouver comment les choses se passaient. Le petit nématode utilisé est très bien connu des biologistes et des généticiens, c’est la première créature vivante dont la totalité du génome a été séquencée. La plupart de ces vers d’un millimètre de long sont des femelles hermaphrodites mais il y a aussi quelques mâles munis d’un genre de pénis autorisant l’accouplement dans la reproduction sexuée. Tous les éléments étaient donc réunis pour enfin savoir qui du mâle ou de la femelle transmettait les informations épigénétiques. En utilisant un ver mutant incapable de produire l’enzyme nécessaire à la méthylation des histones et en le croisant avec un ver normal, il a été possible de suivre le devenir de la méthylation au cours de la descendance avec des marqueurs fluorescents. Les embryons issus des ovocytes mutants fertilisés avec du sperme normal possédaient six chromosomes méthylés provenant du sperme et six chromosomes non méthylés provenant de l’oeuf. Au cours du développement de l’embryon les cellules se divisent et copient les chromosomes (6 paires) et il se passe un phénomène de dilution des chromosomes marqués provenant du sperme si l’enzyme de méthylation est absent. Au stade 4 cellules la fluorescence du marqueur commence à diminuer et a complètement disparu au stade 24 cellules.

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En faisant l’opération inverse, c’est-à-dire en fertilisant des œufs normaux avec du sperme muté, on retrouvait bien encore une distribution de la fluorescence à 50/50 mais l’enzyme de méthylation apporté par l’oeuf normal a pris ensuite la relève et la fluorescence ne diminue plus après chaque division cellulaire car les chromosomes non méthylés restent non méthylés et finissent par être dilués par les chromosomes normaux. Il y a donc eu transmission de la modification épigénétique à la descendance par l’oeuf.

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Comme le PRC2 du nématode est quasiment identique à son homologue humain ces travaux ont ouvert la porte à l’étude de la transmission des caractères épigénétiques chez l’homme. Les travaux à venir ne manqueront pas de rebondissements puisqu’il y a des douzaines de mécanismes différents de répression des gènes. Si le nématode utilisé ne possède que 1000 cellules (959 pour l’hermaphrodite et 1031 pour le mâle) et exprime 20000 gènes différents et si l’ensemble de cette différenciation cellulaire a été étudiée dans le détail, la situation est infiniment plus complexe pour l’homme. Cependant ce travail a ouvert aussi une porte vers la compréhension de l’apparition de cancers issus d’un dérèglement de la répression des gènes qui constitue le cœur de l’épigénétique.

Sources : UC Santa Cruz Newscenter, Science ( DOI: 10.1126/science.1255023 ) et pour les curieux : http://en.wikipedia.org/wiki/Caenorhabditis_elegans . Je tiens à la disposition de mes lecteurs l’article paru dans Science et aimablement communiqué par le Professeur Susan Strome qui est vivement remerciée ici.

Ai-je l’âge de mes artères ?

On a coutume de dire qu’ « on a l’âge de ses artères ». C’est conclure un peu vite car l’extrait de naissance reste la meilleure preuve de notre âge. Et pourtant il n’en est rien dans notre corps et les biologistes et les généticiens s’accordent pour affirmer que notre âge biologique est bien corrélé avec la longueur de nos télomères. Mes lecteurs vont encore aller surfer sur d’autres sites puisque j’emploies des termes qu’ils ne comprennent pas et si je veux expliquer aussi clairement que possible ce qu’est un télomère, à coup sûr je serai amené à introduire d’autres termes plus compliqués et au final ce sera un abime d’incompréhension. Pour faire simple, les chromosomes sont porteurs des informations génétiques qui font que nous ne sommes pas des méduses ou des abeilles, il y en a 23 paires dont une paire dite chromosomes sexuels, soit un total de 46 dans chaque cellule. Et quand une cellule se divise, il faut tout de même qu’un certain ordre soit respecté pour ne pas créer une gigantesque pagaille et c’est pourquoi chaque chromosome est protégé à chacune de ses extrémités par un petit bout d’ADN spécial pour ne pas aller fusionner avec un autre chromosome, un peu comme les deux bouts de ficelle qui se trouvent aux extrémités d’un saucisson (voir l’illustration tirée de Wikipedia où les petits points blancs représentent les télomères repérés à l’aide de marqueurs fluorescents).

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On s’est aperçu que plus on vieillissait (nos cellules ou en tous les cas celles qui se multiplient comme les cellules du foie, du sang ou des muscles) plus la longueur de ces télomères diminuait. Mesurer la longueur des télomères revient donc à déterminer l’âge cellulaire : plus ils sont courts plus on est « vieux ». Mais c’est vite dit puisque certaines cellules cancéreuses immortelles ont pourtant des télomères courts par comparaison avec des cellules normales et elles devraient mourir plutôt que se multiplier indéfiniment. Elles ont trouvé un moyen de protection contre la mort en exprimant une activité enzymatique qui régénère en permanence ces restes étriqués de télomères pour justement vivre plus longtemps. Mais les biologistes ne sont pas tout à fait satisfaits de cette méthode de calcul de l’âge cellulaire et le sont de moins en moins depuis la découverte de l’épigénétique dont j’ai parlé dans certains billets de mon blog ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/07/06/epigenetique-un-degre-de-complexite-cerebrale-supplementaire/ ) qui est une modification a posteriori des parties non codantes de l’ADN afin de modifier l’expression des gènes. L’épigénétique consiste en l’addition d’un groupement méthyle sur une cytidine de l’ADN précédant immédiatement une guanine et ce processus va modifier la reconnaissance de l’ADN par le promoteur du gène suivant cette séquence non codante. Même en essayant de faire simple tout paraît finalement compliqué ! Prenons un exemple, une fermeture Eclair dont l’une des dents est faussée ou manquante. Lorsqu’on voudra la fermer, la glissière va s’arrêter sur la dent faussée, elle pourra continuer si la dent est manquante, mais alors la fermeture Eclair risque de s’ouvrir toute seule. L’épigénétique, c’est exactement le même processus. La fermeture Eclair symbolise l’ADN et une dent faussée ou manquante une des bases de l’ADN, en l’occurrence une cytidine, méthylée. Le promoteur, la glissière dans cette comparaison, s’arrête et empêche l’expression du gène, l’ADN ne peut pas être transcrit en ARN messager qui devait coder pour la synthèse d’une protéine. Le fonctionnement de la cellule s’en trouve alors modifié. Ce processus de méthylation s’accumule au cours du temps grâce à un équipement particulier de la cellule appelé système de maintenance épigénétique qui contrôle en fait le degré de méthylation de l’ADN, ni trop ni trop peu en quelque sorte. Le Docteur Steve Horvath de la UCLA School of Medicine s’est intéressé de très près à ces méthylations de l’ADN en compilant 8000 échantillons provenant de 82 sources de séquences d’ADN méthylé concernant 51 tissus sains et en parallèle 6000 échantillons de cancers depuis 32 sources disparates correspondant à 20 types de cancers différents. Un travail de bénédictin en d’autres temps mais réalisé avec un ordinateur suffisamment puissant qui a permis d’établir une corrélation entre « l’âge des cellules » et le degré de méthylation de l’ADN en se focalisant sur 353 sites CpG différents de méthylation. Et les résultats sont sans appel à quelques détails près. Pour les cellules embryonnaires le degré de méthylation est proche de zéro comme dans le cas des cellules souches dites pluripotentes avec lesquelles on arrive maintenant à reconstituer un organe. Par contre, et c’est un résultat plutôt surprenant et contre intuitif, certaines cellules cancéreuses sont plus « vieilles » que le reste de l’organisme jusqu’à en moyenne 36 ans théoriques de plus. Par exemple dans les cancers du sein les mutations affectant les récepteurs des hormones stéroïdes augmentent considérablement l’âge apparent du tissu en termes de méthylations de l’ADN. Ce résultat qui se retrouve également pour d’autres types de cancers n’est pas corrélé avec les mutations somatiques qu’on accuserait donc à tort d’être la cause de certains cancers. Pour cet auteur, l’équilibre fragile entre déficit et surcroit de méthylations peut être considéré comme l’une des principales causes de l’apparition de cancers avec l’âge notamment le cancer colorectal, le glioblastome et la leucémie myéloïde aiguë car dans ces derniers cas l’hyper-méthylation de l’ADN peut être maintenant considérée comme un marqueur moléculaire. En conclusion, outre l’horloge des télomères, il faut maintenant considérer l’horloge des méthylations de l’ADN. Il est très probable que ces résultats feront l’objet d’application dans de nombreux domaines de la biologie et de la médecine, en particulier une avancée dans l’étude des causes des cancers mais aussi dans la clarification des processus complexes du vieillissement en tentant de comprendre pourquoi, par exemple, les cellules cardiaques « vieillissent » plus lentement que celles des artères, d’où la question : Ai-je l’âge de mes artères ou celui de mon cœur ?

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Source : http://genomebiology.com/2013/14/10/R115, illustration de Steve Horvath

Epigénétique : un degré de complexité cérébrale supplémentaire

J’ai déjà parlé dans mon blog de l’épigénétique, une modification de segments de l’ADN qui contrôlent l’expression des gènes par méthylation spécifique sur des cytosines se trouvant le plus communément près d’une guanine (site CpG), la cytosine et la guanine avec l’adénine et la thymine formant les quatre « lettres » de l’alphabet génétique. Les gènes eux-mêmes contiennent l’information codée pour être transcrits en ARN messagers puis traduits en protéines enzymatiques. Si une méthylation intervient au niveau d’un gène, celui-ci ne peut plus, à l’évidence, conduire à la synthèse d’une protéine fonctionnelle puisqu’il ne sera pas « lu » correctement. La méthylation de l’ADN intervient donc au niveau de la régulation de la transcription des gènes comme un interrupteur avec un rhéostat allume, met en veilleuse ou éteint une lampe. Dans les cellules humaines embryonnaires ou cellules souches et les cellules pluripotentes induites, il existe d’autres sites de méthylation sur des cytosines non suivies d’une guanine, on parle alors de méthylation non-CpG. Normalement, quand les cellules se différencient, ces méthylation non-CpG disparaissent sans qu’on ne connaisse encore la raison exacte mais c’est ce qui a été observé. Dans l’ADN des cellules humaines plus de 80 % des cytosines des segments régulateurs de l’ADN sont méthylées à des fins régulatrices et c’est facile à comprendre juste en prenant un exemple : une cellule de muscle ne va pas se mettre à produire de l’insuline, c’est réservé à certaines cellules du pancréas, le gène de production de l’insuline est éteint, ni du cholestérol, c’est le rôle des hépatocytes (cellules du foie) etc… Dans le cerveau, ça ne se passe pas tout à fait comme lors de la différenciation cellulaire et c’est assez surprenant puisqu’on sait que le cerveau produit très peu de nouveaux neurones (voir un précédent billet sur la datation au C14 des neurones ayant montré que l’apparition de nouveaux neurones se montait à environ 1400 par jour : https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/06/10/retombees-nucleaires/ ) mais l’organisation du cerveau s’effectue avant 5 ans. Et c’est en étudiant la méthylation dans le lobe frontal du cerveau humain que des équipes de scientifiques du Salk Institute à La Jolla en Californie ont montré.

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Non seulement il y a une méthylation très active au cours du développement du cerveau au niveau des sites CpG mais également au niveau de sites non-CpG surtout pendant l’enfance et jusqu’à l’adolescence (voir la figure montrant le rapport de méthylation entre sites non-CpG et sites CpG) et cette méthylation est persistante et devient la forme prédominante de méthylation. C’est en séquençant l’ensemble des génomes des neurones et des cellules gliales que cette découverte a pu être faite.

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Joseph Ecker, en chemise blanche à droite sur la photo au milieu de l’esplanade centrale du Salk Institute et leader de ces travaux l’explique ainsi :  « Ceci montre que la période durant laquelle les circuits neuronaux atteignent leur maturité est accompagnée d’un processus parallèle de reconfiguration à grande échelle de l’épi-génome neuronal ». Cette étude aux résultats tout à fait inattendus constitue donc une piste prometteuse pour tenter d’élucider si l’épigénétique neuronale peut être liée à des désordres psychiatriques (schizophrénie, dépression, désordres bipolaires…) mais pour l’instant ces résultats donnent une nouvelle image de l’extrême complexité du cerveau humain et de son processus de maturation. L’un des co-auteurs de l’étude le dit en ces termes : « Peut-être qu’il n’est pas si surprenant que cette complexité s’étende également au niveau de l’épi-génome. Ces méthylations d’un genre unique qui émergent au cours des phases critiques du développement du cerveau suggèrent la présence de processus de régulation jusque là ignorés qui peuvent être crucialement impliqués dans les fonctions normales du cerveau et aussi de ses désordres ». Les évidences s’accumulent pour reconnaître que certains désordres psychiques et certaines maladies psychiatriques sont liées à l’épigénétique (voir mon billet sur les jumeaux homozygotes : https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/06/02/les-jumeaux-homozygotes-et-lepigenetique/ ) et c’est ce que fait remarquer Terrence Sejnowski, en veste noire sur la photo, titulaire de la chaire Francis Crick du Salk Institute : « Nous avons trouvé que les processus de méthylation, en particulier nonCpG, sont très actifs durant le développement du cerveau au cours de l’enfance et de l’adolescence et cela change notre manière d’appréhender la fonction cérébrale ». De toute évidence, la moindre altération peut conduire à des tableaux pathologiques plus tard dans la vie. On comprend mieux dès lors la dangerosité de l’exposition du fœtus puis de l’enfant à des produits chimiques dont l’influence sur l’épigénétique a été récemment confirmée (voir : https://jacqueshenry.wordpress.com/2012/09/28/dioxine-et-autres-produits-chimiques-vers-un-abatardissement-de-lhumanite/) sur le développement cérébral et non pas seulement sur les cellules germinales si on rapproche le fait que la méthylation non-CpG est prépondérante chez les cellules germinales et aussi, comme le montre cette dernière étude, chez les neurones et les cellules gliales.

Source et illustrations : The Salk Institute for Biological Studies, La Jolla,CA. Note: le Salk Institute est un site architectural très visité ( http://www.salk.edu/about/architecture.html ). En arrière plan l’Océan Pacifique.

Les jumeaux homozygotes et l’épigénétique

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Avant d’entrer dans les détails je me dois de faire quelques petits rappels aussi simples que possible pour ceux qui auraient la flemme d’aller chercher sur internet ce que signifie homozygote et épigénétique. Les jumeaux homozygotes sont issus du même œuf qui pour une raison inconnue se clone lui-même au cours des toutes premières divisions suivant la fécondation de l’ovule pour former deux œufs identiques. Rien à voir avec les faux jumeaux qui sont le fruit d’une double ovulation, chacun des ovules étant fécondé par un spermatozoïde différent. J’ai déjà disserté de la différence entre spermatozoïdes dans un même éjaculat ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2012/08/25/cest-grace-aux-testicules-et-leurs-erreurs-de-copie-quon-est-different-des-singes/ ) et donc les jumeaux hétérozygotes sont différents l’un de l’autre. Les jumeaux homozygotes ont toujours fasciné les humains à tel point que certaines peuplades tuent l’un des deux, ne pouvant pas admettre qu’il puisse exister deux copies du même individu ou parfois les abandonnent à leur triste sort de nouveaux-nés. Ils ont aussi fasciné les scientifiques pour d’autres raisons. Puisque deux individus sont identiques génétiquement pourquoi présentent-ils néanmoins des différences variées visibles comme la taille, l’endurance physique ou le son de la voix, ou invisibles comme la résistance à certaines maladies ou au contraire la susceptibilité à d’autres affections, et enfin des comportements différents, affectifs, mentaux, sexuels, que sais-je encore. Si l’on part du principe que l’identité génétique doit avoir pour corollaire une identité totale physique, métabolique et mentale, l’étude conduite par le Professeur Tim Spector du King’s College à Londres réalisée et toujours en cours sur plus de 11000 paires de jumeaux homozygotes de tous ages a montré qu’en réalité les jumeaux homozygotes n’étaient pas totalement identiques en ce qui concerne l’expression des gènes. A ce point de mon récit, je dois faire un aparté pour expliquer pourquoi l’expression des gènes, donc non pas le patrimoine génétique puisqu’il est strictement identique chez les deux jumeaux, diffère d’un jumeau à l’autre en défiant le bon sens commun. L’ADN, le support de l’hérédité contenu dans les chromosomes est constitué d’un enchainement de trois milliards de lettres communément désignées A, T, G et C. Environ trente mille zones dites codantes correspondent à des gènes qui sont exprimés en protéines de tailles et fonctions variées. L’expression de chaque gène est associée à ce que l’on appelle un promoteur, un peu comme une ampoule électrique est commandée par un interrupteur. Pour le moment rien de très nouveau, mais là où les choses deviennent passionnantes c’est que l’expression d’un gène peut être altérée voire totalement supprimée par un processus acquis que l’on appelle épigénétique et qui est en réalité une modification de l’une des quatre lettres A, T, G ou C (pour adénine, thymine, guanine et cytidine) et c’est seulement la cytidine d’une région particulière du promoteur qui se trouve modifiée par un mécanisme appelé méthylation dont on sait maintenant grâce à de nombreuses études convergentes qu’il résulte largement de conditions environnementales comme la nourriture qu’on ingère, les maladies qu’on subit, la vieillesse, les produits chimiques qui flottent invisibles autour de nous, la fumée de cigarette pour ne pas la nommer, les médicaments pris souvent à tort, les rayons X et j’en passe. Pas étonnant que les jumeaux homozygotes deviennent « à la longue » différents puisqu’ils n’expriment plus à l’identique l’ensemble de leurs gènes. Pour bien vérifier ce fait, l’équipe de Spector a entièrement séquencé le génome de 3500 des 11000 jumeaux homozygotes qu’il a étudié en cherchant les différences de méthylation. Et les résultats sont allé de surprise en surprise. D’abord, par exemple, il n’existe pas « un gène de l’homosexualité » mais peut-être des centaines, il n’y a pas non plus « un gène » de l’ostéoporose mais également plusieurs centaines, et ainsi de suite. Un autre exemple encore plus anecdotique, les jumeaux ont moins de 25 % de chance de vivre à peu près aussi longtemps, à peu près voulant dire que si l’un des jumeaux atteint l’age de 80 ans, l’autre à 25 % de chance de lui survivre quelques années de plus ou d’avoir atteint cet age respectable. Si l’un des jumeaux souffre de polyarthrite, l’autre n’a que 15 % de chance de souffrir de la même maladie. Il en est de même pour les douleurs lombaires, le diabète, le cancer du sein ou l’obésité (il n’y a pas de gène de l’obésité, cette étude l’a montré) toutes les différences résident dans des différences de méthylation et donc d’expression des gènes (l’interrupteur électrique qui fonctionne une fois sur deux ou plus du tout) donc dans l’épigénétique ou en d’autres termes les caractères acquis qui sont d’ailleurs transmissibles sur plusieurs générations quand les cellules germinales ont elles-mêmes subi des méthylations. Grace à cette étude sur les jumeaux, Tim Spector a pu identifier 400 nouveaux gènes impliqués dans 30 maladies différentes dont l’ostéoporose, la polyarthrite, la susceptibilité au mélanome, l’espérance de vie ou encore la calvitie !

Source: King’s College (www.kcl.ac.uk) via The Guardian, crédit photo: site de Tim Spector (http://www.tim-spector.co.uk), deux paires de jumelles présentant le dernier ouvrage de Tim Spector.