Nouvelles du Japon : le Docteur Yoshinori Ohsumi nobélisé … enfin !

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Finalement, après trente années d’un travail minutieux et acharné, du grand art, de l’orfèvrerie, le Docteur Yoshinori Ohsumi a été reconnu par le Comité Nobel pour la qualité inégalée de ses travaux sur les lysosomes. J’étais encore étudiant en biologie puis en thèse quand les résultats de son laboratoire du Tokyo Tech bousculèrent les idées reçues sur le fonctionnement des cellules.

Imaginez une cellule vivante, de votre peau, de votre foie ou de vos intestins. Comparez-la à une ville de taille moyenne, disons cent mille habitants. Il lui faut de l’énergie : pour les cellules vivantes ce sont les mitochondries qui s’en chargent en « brûlant » toutes sortes de détritus mais aussi du sucre. Il faut aussi à la ville des égouts, une invention des Romains, et c’est le liquide interstitiel qui joue ce rôle, le grand collecteur d’égout étant la circulation sanguine. Quand les habitants de la ville doivent se débarrasser de ce qu’on appelle dans les communes de la France profonde et pas seulement en France, ça existe aussi dans bien des villes de par le monde, des « encombrants », il faut des équipements spéciaux pour traiter ces détritus d’un type spécial. La cellule vivante a mis au point un système très efficace de recyclage des déchets cellulaires, des protéines, des bouts de membranes, des morceaux d’ARN usagés, enfin, tout ce qu’on trouve dans une benne d’encombrants placée au coin de la rue de la ville. Il s’agit d’un mécanisme dit d’endocytose, des invaginations de membranes sub-cellulaires qui vont emprisonner ces déchets et les soumettre à une sorte de digestion, un peu comme les camions-poubelles enlèvent les ordures laissées le long de la rue pour éventuellement les recycler.

Comme une ville la cellule vivante doit donc faire du nettoyage périodiquement pour éviter de s’intoxiquer avec ses propres déchets et c’est ce qu’a étudié le Docteur Ohsumi durant toute sa carrière. Il n’y a en effet pas seulement les encombrants et les déchets normaux, dirons-nous, mais aussi des trucs toxiques comme les peroxydes, en particulier l’eau oxygénée, le pire des poisons pour la cellule vivante, qui apparaissent surtout quand la cellule commence à fatiguer, si elle manque d’énergie ou de carburant pour survivre. Les lysosomes sont là avec tous leurs enzymes « gloutons » (pour reprendre une expression de marketing des fabricants de lessive) pour faire le ménage. La majeure partie du recyclage des déchets par les lysosomes est brûlé par les mitochondries pour produire de l’énergie (sous forme d’ATP) un peu comme une centrale électrique qui brûle des ordures ménagères, il y en a plusieurs à Paris, et en quelque sorte la cellule vivante a inventé l’écologie et le « renouvelable » bien avant les partis et autres organisations qui se revendiquent de la préservation de l’environnement.

Quand j’étais assis sur les bancs de l’amphithéâtre de la faculté des sciences le professeur n’aurait certainement jamais osé utiliser la comparaison que je viens de mettre en prose mais je trouve cependant qu’elle permet de comprendre un peu ce qui se passe dans une cellule vivante.

Qu’il advienne un dysfonctionnement quelconque et tout se passera alors très mal, tout simplement la mort de la cellule ou pire encore sa transformation en une cellule cancéreuse au cas où l’un des outils de détoxification cellulaire soit défectueux à la suite d’une mutation fortuite … C’est aussi ce qu’a découvert le Docteur Ohsumi, mais c’est une autre histoire.

Illustration : Oshumi dans son laboratoire du Tokyo Tech

Le tréhalose, une nouvelle thérapeutique universelle ? Peut-être !

 

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Si vous ne connaissez pas le shiitake, rassurez-vous vous allez en entendre parler. Ce champignon très populaire en Chine mais aussi et surtout au Japon dont les vertus médicinales sont connues depuis des temps immémoriaux fait l’objet de toutes les attentions scientifiques depuis quelques mois. On vient d’identifier quels en sont les bienfaits sur la santé. Outre le fait que le shiitake ( Lentinula edodes ) présente la propriété comme beaucoup d’autres champignons de produire de la vitamine D2 lorsqu’il est exposé au soleil il contient – et c’est là sa particularité – un sucre appelé tréhalose. Le tréhalose, pour remettre les esprits en place, est un disaccharide composé de deux molécules de glucose contrairement au saccharose, le vulgaire sucre de table, de canne ou de betterave, qui est composé d’une molécule de glucose et d’une molécule de fructose. Le tréhalose présente l’immense avantage de contrer l’accumulation dans le foie du fructose qui ne va servir ultérieurement et par un processus métabolique fatal qu’à produire des graisses. C’est la raison pour laquelle les sirops de sucre enrichis en fructose et préparés à partir du maïs sont une aberration alimentaire et ils devraient être interdits.

En lisant deux articles scientifiques parus dans la presse spécialisée, je me suis rendu à l’évidence que le shiitake était riche en tréhalose mais que les levures de bière avec lesquelles je me traite depuis plusieurs années étaient également très riches en ce disaccharide ignoré du grand public pour plus très longtemps. D’abord il y a eu cet article paru dans The Journal of Biological Chemistry en 2006 (voir le DOI) qui montrait clairement que le tréhalose a le pouvoir de détoxifier les cellules dans la mesure où il facilite le recyclage des sous-produits toxiques apparus lors de la mort de ces cellules. Cette propriété, certes observée avec des cellules en culture, constitue un espoir dans le traitement ou la prévention de maladie dégénératives comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson mais également, comme l’a montré le deuxième article paru récemment dans Science Signaling (voir le DOI) dans la « détoxification » du foie.

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Avec l’alimentation « moderne » et industrielle à laquelle nous ne pouvons plus échapper, notre foie est soumis à rude épreuve. Le foie doit traiter rapidement tous les additifs alimentaires qui sont devenus une norme permettant aux grandes surfaces de pouvoir offrir des mets attrayants aux consommateurs sans que ces derniers soient indisposés et que de surcroit ces préparations présentent des qualités gustatives indéniables sinon personne ne les consommerait, suivez mon regard : il s’agit de préparations surchargées en fructose, en sel et en acides gras partiellement hydrogénés, un cocktail particulièrement toxique. Le foie finit par ne plus pouvoir gérer la situation et il devient « obèse » avant même que la personne ne s’en rende compte. C’est le symptôme du « foie gras » ou en termes médicaux une stéatose. Ce n’est pas une pathologie à prendre à la légère car elle conduit à de graves troubles, dont le diabète de type 2 et une perturbation profonde du métabolisme du cholestérol, pouvant être mortels.

Ce qui se passe avec le foie est presque exemplaire. Cet organe, soumis en permanence à toutes sortes de stress, a la faculté de se régénérer rapidement et c’est sa contribution essentielle à la survie d’un individu. Avec des souris modèles génétiquement modifiées pour développer une stéatose, l’ingestion d’assez fortes quantités de tréhalose a permis de détoxifier rapidement leur foie en réalisant en quelque sorte un retour à la normale en deux à trois semaines. Le tréhalose a freiné l’entrée du glucose et du fructose disponibles. Le glucose est normalement utilisé comme source d’énergie par les cellules hépatiques, mais pas seulement car le foie (comme les muscles) a aussi pour mission de stocker ce glucose sous forme d’un polymère qu’on appelle le glycogène, la grande découverte de Claude Bernard pour la petite histoire. Bref, le tréhalose ralentit l’entrée du glucose dans les cellules hépatiques et accélère par voie de conséquence la mort de celles de ces cellules qui sont déjà mal en point. Et pour les cellules encore en bonne santé, ces dernière sont obligées de puiser dans leurs réserves énergétiques pour continuer à vivre. Elles brûlent leur « carburant fossile », en d’autres termes les graisses qu’elles ont accumulé. Le résultat de ce processus est un nettoyage spectaculaire du foie et une restauration de toutes ses fonctions.

Se goinfrer de tréhalose n’est pas vraiment la solution car nous disposons dans notre intestin de bactéries qui coupent la molécule de tréhalose en deux glucoses. Comment alors pouvoir bénéficier de l’effet mirifique de ce disaccharide qui semble magique ? Les recherches futures déboucheront peut-être sur une molécule qui mime le tréhalose en bloquant en partie l’entrée du glucose dans les hépatocytes mais à l’évidence sans provoquer la mort de cet organe essentiel ni des autres cellules d’autres organes comme le cerveau. Pour l’instant mangez des shiitake sous toutes les formes ne nuira pas à votre santé, administrez-vous des levures fraiches tous les jours comme je le fais moi-même, un traitement qui revient à 10 centimes d’euros par jour, ce n’est pas mal non plus, et enfin abstenez vous de consommer des plats cuisinés industriels, y compris des confiseries, qui contiennent des huiles végétales hydrogénées et des quantités astronomiques de fructose, des ingrédients qui accélèrent la sénescence des cellules et non pas seulement celles du foie mais également de tout l’organisme, y compris les neurones …

JBC DOI : 10.1074/jbc.M609532200 , Science Signaling : 10.1126/scisignal.aac5472

Un nouvel antibiotique universel ?

Comme la plupart des êtres vivants, y compris nous-mêmes, les bactéries génèrent des déchets toxiques dont elles doivent se débarrasser par des moyens parfois sophistiqués. Or les bactéries ne disposent pas de beaucoup d’outils pour « faire le ménage » chez elles surtout quand ces éléments indésirables sont des protéines. Dans notre tube digestif, les protéines que nous avons ingéré sont toutes dégradées par des enzymes extrêmement efficaces comme la pepsine qui est sécrétée par l’estomac puis la trypsine dans l’intestin. En à peine quelques heures il ne reste plus rien ou presque qui puisse ressembler de près ou de loin à des protéines. Mais les bactéries n’ont pas d’estomac ni de pancréas et elles ont inventé un système qui coupe les protéines dont elles doivent se débarrasser pour survivre en petits morceaux qui sont ensuite excrétés. Il s’agit de systèmes enzymatiques ingénieux appelés endopeptidases (ClpP pour caseino lytic peptidase) tellement efficaces qu’ils coûtent cher en énergie sous forme d’ATP à la cellule bactérienne. Mais quand il s’agit de survie, tous les moyens sont bons y compris les plus coûteux.

En ces temps de recherche intense pour trouver de nouveaux antibiotiques pourquoi ne pas s’intéresser justement à ce système d’auto-purification des bactéries et de mettre au point des inhibiteurs pour ce système enzymatique qui tueront à coup sûr ces bactéries … C’est ce qu’ont fait des biologistes de la Brown University. Ayant une idée des sites de coupure de ces enzymes ClpP car ils dégradent la caséine en petits fragments plus facilement assimilables, une recherche orientée vers la mise au point de leurres a finalement abouti à une totale inhibition des ClpP bactériennes en synthétisant des petits peptides dans lesquels ont été introduites des contraintes de conformation par substitution de quelques acides aminés. La « contrainte » introduite par ces modifications mineures a été suivie à l’aide d’une technique consistant à mesurer l’échange entre les atomes d’hydrogène avec des atomes de deutérium présents dans le milieu. Normalement cet échange arrive à un certain équilibre mais quand une contrainte diminue la mobilité de l’hydrogène par exemple d’un acide aminé, cet échange est ralenti voire totalement impossible. Les analogues des sites de clivage des ClpP ont été choisis en fonction de la contrainte introduite et comme on pouvait s’y attendre, tout de même après une longue démarche expérimentale et intellectuelle, les analogues les plus rigides sont les plus actifs et tuent les bactéries avec une rare efficacité.

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Ces antibiotiques d’un genre nouveau appelés acyldepsipeptides (ADEP, voir l’illustration, crédit Brown University) se sont révélés extrêmement actifs contre les S. Aureus, E. faecalis et S. pneumoniae dans des proportions inattendues, plus de 1000 fois plus efficaces que le plus efficace des antibiotiques disponibles sur le marché pour ces différents germes pathogènes. Pour le moment les tests débutent seulement sur des souris mais il existe un réel espoir de mise au point de nouveaux antibiotiques agissant d’une manière totalement innovante sur probablement tous les germes pathogènes, y compris celui de la tuberculose car le mécanisme de détoxification avec les ClpP semble universellement répandu dans le monde bactérien.

Source : Brown University News