Nouvelles du jour d’ici et d’ailleurs (suite)

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais)

Cette citation de Rabelais rapproche trois mots : la science, la conscience et l’âme. Faisons abstraction de l’âme qui est un concept et non une réalité puisqu’il n’existe aucune évidence scientifique de l’existence de l’âme. Je n’en dirai pas plus pour ne pas perturber mes lecteurs. Je n’en retiendrai qu’une pensée de Marc-Aurèle à ce sujet : si les âmes de tous nos prédécesseurs les êtres humains flottaient dans l’air ce serait irrespirable. La science est définie par l’étude et l’explication pragmatique de phénomènes observables par des techniques appropriées faisant appel le plus souvent à un outil universel que sont les mathématiques. Tous les phénomènes physiques, chimiques et plus récemment biologiques font appel aux mathématiques pour être expliqués en respectant une logique induite par les mathématiques.

L’intelligence est un terme ambigu que l’on a tendance aujourd’hui, dans la langue française à confondre avec le mot anglais « intelligence » qui signifie renseignement, information, données numériques, sonores ou visuelles.

Le traitement de ces données à haute vitesse par des machines de calcul appelées ordinateur est par voie de conséquence appelée abusivement intelligence artificielle. La conscience est le propre de l’homme et elle est une conséquence de la complexité du cortex frontal du cerveau dont l’évolution nous a doté, ce que Socrate appelait la « voix intérieure ». Elle est unique à l’homme parce qu’il n’existe pas d’ordinateurs capables d’être conscients et qu’aucun animal, aussi évolué soit-il dans l’évolution, n’en est doté. 

C’est la conception de Philippe Guillemant à propos de l’intelligence artificielle. Quand on entend « intelligence artificielle » on croit que les algorithmes et les programmes introduits dans un ordinateur peuvent être conscients et donc changer la direction de leur analyse après en avoir analysé les résultats. C’est en réalité une illusion créée par la vitesse d’exécution des calculs que traite l’ordinateur. L’information quantique pourra-t-elle arriver à un tel résultat par un traitement d’états superposés simultanément. On bute alors sur la modulation de l’information quantique, en d’autres termes l’ordinateur n’est pas doté de conscience il est impossible de résoudre ce problème. Alors le mystère inexplicable pour l’instant est l’origine de la conscience. Pour Guillemant la conscience n’est pas le produit du cerveau. J’émets quelques doutes car je suis un parfait béotien dans ce domaine. Mais alors d’où provient la conscience si elle n’est pas ce pouvoir qui nous est donné par la complexité de notre cerveau. Cette complexité du cerveau fait appel à la mémoire puisqu’on ne peut pas avoir de conscience si on n’a pas ou on a perdu la mémoire. Les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, j’ai rencontré une de mes cousines dans un état avancé de cette maladie, n’ont plus de mémoire et n’ont plus aucune conscience, leur cerveau ne remplit plus que des fonctions végétatives. Même si ma conclusion est hâtive elle relie donc la conscience à la mémoire. Certes les animaux comme les chevaux disposent d’une mémoire des lieux et des sons mais sont-ils conscients dans le sens de Socrate ? Comme j’éprouve les plus grandes difficultés à imaginer l’existence d’une intervention divine dans le comportement de l’homme, ce que le concept de l’âme indique, alors je me contente donc de considérer encore une fois que la conscience est l’admirable fruit de la complexité du cerveau. 

À écouter absolument pour comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle et le fonctionnement du cerveau : https://www.youtube.com/watch?v=zkM9A1S3Vlw&ab_channel=Anti%7Cth%C3%A8se

Il y a 60 ans, la double hélice d’ADN

Il y a un peu plus de 30 ans, j’allais souvent déjeuner d’un sandwich au bout de l’esplanade centrale du Salk Institute où je rejoignais Francis Crick pour bavarder à bâtons rompus de toutes sortes de sujets en regardant les parapentistes faire des figures osées au dessus de la falaise de Black Beach avec l’immensité bleue intense de l’Océan Pacifique comme toile de fond ajoutant au contraste de la pierraille dénudée qui séparait l’Institut du bord de la falaise. C’était au dessus de La Jolla, à Torrey Pines Road, dans le temple de la biologie. Je n’éprouvais aucun effort pour suivre les propos de Francis puisqu’il s’exprimait dans un français d’une qualité que beaucoup d’entre nous ne maîtrisent pas. Son épouse Odile, née de mère française et de père anglais, lui avait transmis le goût de la langue de Montesquieu et de Proust et c’est dans cette langue qu’il semblait préférer à l’anglais qu’il me racontait quel était le but réel de son travail au Salk Institute. Francis s’était reconverti tardivement vers les neurosciences mais pas avec une approche chimique ou biochimique comme celle développée dans le laboratoire où je travaillais, dans une toute autre appréhension des mécanismes intimes de l’activité cérébrale. L’Institut était l’un des tous premiers sites privés à s’être équipé d’un réseau intranet, en d’autres termes un internet à l’usage de l’ensemble des laboratoires avec des ordinateurs qui pourraient se trouver dans des musées aujourd’hui mais qui rendaient déjà de nombreux services en particulier la transmission d’informations quotidiennes entre chacune des équipes travaillant par exemple sur des sujets apparentés. Et c’est avec cet exemple que Francis Crick réfléchissait au fonctionnement du cerveau en le considérant comme un ensemble de terminaux ou de régions reliés les uns aux autres par des neurones spécialisés avec une circulation incessante des informations. Les idées de Francis Crick étaient d’avant-garde car le concept qu’il m’exposait alors que nous terminions notre sandwich n’en était qu’à l’état d’hypothèse encore invérifiable et elles furent largement démontrées quelques années plus tard avec l’avènement de l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique nucléaire qui a permis de progresser de manière tout aussi fulgurante dans la connaissance du fonctionnement du cerveau, la dernière frontière de la biologie, comme la biologie moderne est entièrement issue des travaux de Francis Crick et James Watson sur la structure en double hélice de l’ADN qui furent publiés il y a exactement soixante ans.

Jamais qui que ce fut, y compris Crick et Watson en 1953, auraient pu prédire les usages et les applications de leur découverte que l’épouse de Francis illustra dans l’article fondateur de la biologie moderne paru dans le journal Nature : http://www.nature.com/nature/dna50/watsoncrick.pdf .

Francis Crick aurait pu recevoir aussi le prix Nobel pour l’impulsion nouvelle qu’il donna aux neurosciences en tentant d’expliquer les mécanismes de la conscience. Ses réflexions – Francis Crick travaillait 20 heures par jour, ponctuant ses longues heures de travail par quatre siestes d’une heure – le conduisirent tout naturellement, et nous en parlions souvent ensemble, à remettre en question l’existence de l’âme supposée siéger dans le cerveau et par conséquent l’existence d’un quelconque dieu. Pour lui, le vivant était une résultante de mécanismes complexes strictement chimiques et le cerveau un super ordinateur et uniquement cela. C’est peut-être à cette époque et au cours de nos conversations presque quotidiennes que je devins tout aussi agnostique que Francis Crick.

« Les biologistes doivent toujours avoir en tête que ce qu’ils observent n’a pas été créé, mais a évolué » ou encore : « Si on veut comprendre une fonction (biologique) il faut étudier la structure » .(citations de Francis Crick).