L’apparition de la vie sur Terre : l’autre hypothèse

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L’hypothèse évoquée dans un précédent billet appelée « panspermie » par les spécialistes exclut cependant qu’une forme de vie ait pu provenir d’une étoile éloignée du système solaire compte tenu des distances considérables séparant les étoiles les unes des autres dans cette région de la Galaxie où se trouve le Soleil. L’étoile Proxima Centauri se trouve à près de 42000 milliards de kilomètres du Soleil. La recherche très active de planètes dites « habitables » dans notre « région galactique » n’existe donc que pour satisfaire la curiosité des scientifiques et il est hautement improbable que l’humanité puisse établir, un jour, un contact avec d’autres créatures intelligentes extra-terrestres, ce qui ne signifie pas que la vie n’existe que sur la Terre.

L’autre hypothèse relative à l’apparition de la vie sur la Terre fait état d’un phénomène cataclysmique ayant eu lieu sur la Terre il y a 4,47 milliards d’années soit à peine plus de 60 millions d’années après que l’accrétion de divers débris ait eu pour résultat une boule de taille déjà confortable qui serait entrée en collision avec un objet de la taille de la Lune riche en fer et ayant créé par son impact la rotation de la Terre sur elle-même. Au sein de cette hypothèse il fallait qu’il existe déjà de l’eau sur la Terre car elle repose sur le fait que l’espèce de pluie de particules solides riches en fer qui dura peut-être des milliers d’années dissocia une partie de l’eau présente sur Terre pour former des dépôts bruns riches en oxydes de fer présents sur la presque totalité de la croute terrestre encore aujourd’hui. L’atmosphère devint alors réductrice au sens chimique du terme en raison de la présence d’hydrogène générée par la dissociation de l’eau par la pluie de particules de fer à haute température.

Selon ce scénario les conditions favorables à l’apparition de la vie auraient été réunies. De simples molécules organiques auraient conduit progressivement à des molécules plus complexes :

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L’idée que l’ARN fut la première structure chimique ayant favorisé la complexification de la chimie prébiotique provient de la découverte récente de propriétés catalytiques de certains petits ARNs. Dans la cellule vivante « moderne » l’ADN, les ARNs et les protéines jouent un rôle vital. L’ADN est le support de l’information, les ARNs transmettent cette information à la cellule et les protéines constituent la force de travail cellulaire. La production de chacun de ces trois éléments nécessite la participation des deux autres. Il paraît peu probable que ces trois éléments essentiels à la vie aient pu apparaître simultanément et il semble plausible que les candidats les plus anciens dans ce processus d’apparition de la vie soient les ARNs car ils peuvent à la fois stocker des informations et catalyser des réactions chimiques comme cela a d’ailleurs été découvert récemment dans les cellules modernes. À l’aide d’oxydes métalliques tels que le bore le formaldéhyde et le glycolaldéhyde se condensent pour former du ribose et les bases puriques et pyrimidiques se forment dans des conditions favorables comme les bords des sources d’eau chaude en présence de sels de nickel à partir de « prébiotiques » simples. On ne connaîtra jamais en détail la séquence d’apparition de ces diverses molécules organiques complexes : les protéines d’abord et les ARNs ensuite ou l’inverse.

Des observations récentes indiquent que les zones favorables à la formation de « soupe primordiale » étaient soumises à des cycles de pluies et de sécheresse et que l’activité volcanique probablement beaucoup plus intense qu’aujourd’hui répandait des quantités considérables d’oxydes de soufre qui combiné au formaldéhyde qui se forme spontanément à partir d’eau et de méthane sous rayonnement UV aurait conduit à des accumulations d’hydroxymethanesulfonate et dans des conditions hygrométriques favorables ce composé aurait alors permis l’apparition de glycolaldéhyde et aussi de glycéraldéhyde. Et pour les groupements phosphate ils étaient probablement aussi présents dans une Terre suffisamment refroidie pour que de l’eau liquide soit présente. Ce dernier point a été confirmé en analysant des inclusions de zircon dans les roches les plus anciennes de la planète situées dans les Jackson’s Hills en Australie (illustration).

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Tous les éléments étant réunis pour que des petits ARNs apparaissent, bien entendu dans des conditions favorables, le processus s’est alors accéléré. Le comportement des micro brins d’ARN a été étudié ces dernières années et presque magiquement ces brins de quelques bases arrivent à fusionner spontanément pour former des brins plus longs. L’un des spécialistes de ce genre d’étude, le Docteur Niles Lehman de la Portland State University, a déclaré : « si vous me donnez un brin d’ARN de 8 bases je vous donnerai la vie ! » En effet la présence d’amino-acides formés spontanément en présence de décharges électriques, par exemple au cours d’un orage, peut alors conduire grâce aux propriétés catalytiques de ces brins d’ARNs à des enchainements d’amino-acides et donc la formation de peptides.

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La confirmation des propriétés catalytiques des ARNs a été indirectement confirmée en étudiant la présence d’un ARN particulier au sein de la structure extrêmement complexe des ribosomes, ces énormes machines à synthétiser des protéines. Cet ARN est remarquablement conservé depuis l’apparition des archéobactéries comme celles retrouvées dans les stromatolites (première illustration), les premières formes de vie terrestre. L’hypothèse de l’impact sur la Terre par un objet céleste de la taille de la Lune a aussi été confirmée par les géologues qui se sont toujours demandé pourquoi la présence de platine était anormalement élevée dans la croute terrestre alors que ce métal aurait normalement plongé dans les profondeurs du magma liquide de la Terre au tout début de sa formation en raison de sa densité. Cette anomalie peut parfaitement s’expliquer en prenant en considération un tel impact. La « finalisation » de la Terre est donc intimement liée à l’apparition de la vie : il y a 4,53 milliards d’année, date de naissance de la Terre, il y a 4,51 milliards d’années, date de naissance de la Lune et il y a 4,47 milliards d’années, date de l’impact qui provoqua ensuite l’apparition de la vie en favorisant un environnement atmosphérique réducteur (au sens chimique du terme) et enfin apparition des premières formes de vie à peine plus de 500 millions d’années plus tard.

Source et illustrations, doi : 10.1126/science.aaw6068

L’apparition de la vie sur Terre : une étape décisive franchie

Croire béatement en une intervention divine expliquant l’origine de la vie sur la Terre est une illusion et une attitude totalement anti-scientifique. Il y a des millions de milliards d’étoiles dans « notre » galaxie et il est tout aussi illusoire de considérer que la vie sur la Terre est un fait unique dans l’Univers. Tout l’univers est constitué des mêmes éléments chimiques que ceux retrouvés sur la Terre et il n’y a aucune raison pour que nous vivions sur une planète plus favorisée qu’une autre pour que les conditions favorisant l’apparition de la vie y aient été plus propices. Il y a eu la théorie de la génération spontanée démontée admirablement par Pasteur sur laquelle des générations de penseurs et de théologiens se sont raccrochés pour conforter leurs thèses relatives à une origine divine de la vie. Le vaste domaine de la chimie prébiotique va peut-être dans quelques années mettre aussi à mal cette idée insupportable pour un scientifique d’une origine divine de la vie.

La chimie prébiotique, c’est-à-dire pour simplifier l’étude de l’hypothèse de l’apparition de la vie dans les conditions qui prévalaient sur la Terre il y a 3 à 4 milliards d’années, reste toujours un domaine qui préoccupe les scientifiques. En effet arriver à expliquer par quel processus la vie est apparue sur la Terre mérite l’attention des chimistes, des biochimistes et des biophysiciens mais aussi des géologues et de leurs collègues géophysiciens. Pour imaginer une approche expérimentale à ce problème qui apporterait bien des réponses aux questions existentielles que l’on peut se poser il faut d’abord considérer quelle était la composition de l’atmosphère terrestre en ces temps reculés avant l’apparition de la vie. L’une des premières approches choisies fut la fameuse expérience de Stanley Miller (illustration, Wikipedia) réalisée en 1952. Elle consista à soumettre un mélange d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène à des décharges électriques et d’observer ce qui se passait au bout d’un certain nombre de jours, de semaines ou de mois. Les moyens d’investigation analytique étaient à l’époque rudimentaires et les petits tubes scellés laissés par Miller furent analysés à nouveau par un de ses étudiants après sa mort en 2007. Il apparut que la reconstitution de cette « soupe primordiale » propice à l’apparition de la vie comme l’avait imaginée Charles Darwin sous forme d’un marais chaud avait été un franc succès.

Aujourd’hui encore, en particulier à l’institut de recherche Scripps de La Jolla près de San Diego, tenter d’expliquer l’apparition de la vie reste la préoccupation majeure d’une équipe de chimistes qui ont en quelque sorte repris les expériences de Miller en les étendant à d’autres conditions comme par exemple la présence de sels minéraux, d’acide cyanhydrique et quelques autres éléments pouvant entrer dans la composition de l’atmosphère primitive de la Terre, composés qui sont présents dans l’univers. Il restait cependant un très gros problème à résoudre. Compte tenu du fait que tous les êtres vivants, depuis les bactéries jusqu’aux vertébrés en passant par le phytoplancton, nécessitent la présence de phosphore sous forme de phosphate, comment un tel éléments chimique a-t-il bien pu apparaître dans des composés relativement simples qui ont pu éventuellement évoluer vers des structures complexes résultant de processus d’auto-assemblage ? Dans de nombreuses voies de synthèse biologique le phosphate est d’une importance incontournable et il en est de même pour l’énergie des cellules vivantes avec notamment l’ATP (adénosine triphosphate) et la phosphocréatine dans les cellules musculaires. Ce dernier composé d’une extrême importance biologique contient d’ailleurs une liaison phosphore-azote. Ajouter du phosphate et une pincée de métaux comme du zinc ou encore du fer dans la reconstitution de la « soupe primordiale » ne permet pas de voir apparaître au cours du temps, parfois des semaines dans une épaisse solution dans l’eau de ces ingrédients, un quelconque métabolite phosphaté ou, comme disent les spécialistes, phosphorylé.

C’est après un long cheminement que l’équipe du Docteur Ramanarayanan Krishnamurty de l’Institut Scripps a enfin découvert le chainon manquant qui permet d’obtenir toutes sortes de molécules biologiques d’importance contenant dans leur structure un groupement phosphate. Il s’agit d’un composé pouvant apparaître lorsque du cyclotriphosphate, appelé aussi métatriphosphate, se trouve en présence d’ammoniaque dans un milieu aqueux et ce n’est pas fortuit car dans certains environnements géologiques particuliers comme les sources chaudes d’origine volcanique la présence d’un tel processus chimique a été démontrée. Ce « chainon manquant » est le diamidophosphate (DAP, illustration Scripps).

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Sachant maintenant avec certitude que l’expérience de Miller reprise et améliorée par la suite dans plusieurs laboratoires de recherche prébiotique permet l’apparition de la plupart des molécules d’importance biologique comme des sucres, des acides gras, pratiquement tous les amino-acides ainsi que les bases puriques et pyrimidiques qu’on retrouve dans l’ADN et l’ARN, du DAP a été mis en présence de tous ces métabolites. Avec une surprise indicible l’équipe de Ram Krishnamurty a constaté par analyse fine l’apparition de petits peptides, de brins d’acides nucléiques ou encore de phospholipides. Ces derniers, constituants fondamentaux des membranes cellulaires, forment spontanément des vésicules au cours de cette « incubation » parfois longue des ingrédients de la « soupe primordiale » comme s’il s’agissait de proto-cellules vivantes :

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Avec cette ébauche de vivant le temps a ensuite fait son travail et il y a peut-être trois milliards d’années, alors que la Terre était soumise à une intense activité volcanique et encore bombardée par des météorites, évènements favorisants l’apparition de ces constituants de la vie et du DAP qui pouvait se former dans un tel environnement et en présence d’eau, les premières cellules vivantes primitives se sont organisées et ont lentement évolué pour devenir celles que nous connaissons aujourd’hui. Comme tous les constituants du « vivant » se retrouvent dans l’Univers et par conséquent également sur la Terre et n’importe quelle autre planète gravitant autour de n’importe quelle étoile, la vie est très probablement apparue avec ces mêmes « briques » biologiques qui apparaissent lorsque ces conditions « primordiales » sont réunies. Contrairement à ce qu’affirmait Aristote le facteur temps a joué un rôle incontournable et ce temps a réconcilié en quelque sorte les deux facteurs nécessaires à l’apparition de la vie si chers à Jacques Monod, le hasard et la nécessité. Pour paraphraser Monod, le hasard a fait apparaître les éléments constitutifs du vivant qui se sont organisés avec le temps d’une façon telle qu’elle semble une nécessité pour l’apparition de la vie.

Sources : Scripps News Release du 6 novembre 2017 et aussi : Nature (doi : 10.1038/nchem.2878), article aimablement communiqué par le Docteur Ram Krishnamurty qui est très vivement remercié ici. Illustrations : Scripps Institute et Wikipedia