Bientôt un pancréas à la demande ?

L’impression 3D dont je parlais il y a quelques jours va révolutionner une multitude de secteurs industriels et l’un des derniers en date est la construction. Aussi inimaginable qu’il puisse paraître un prototype d’impression 3D est maintenant capable de construire une maison en 24 heures. En lieu et place des bobines de fil de plastique de toutes les couleurs, il y a un réservoir de béton liquide qui alimente la tête d’impression. Ce procédé n’est pas encore tout à fait au point mais il le sera assurément dans quelques mois avec la formulation de béton fibré tout aussi résistant que le béton armé avec des retardateurs de prise ou au contraire des accélérateurs injectés au niveau de la tête d’impression. Bref, dans ce domaine nouveau et révolutionnaire, tout est imaginable et il n’y a qu’à rêver quelques minutes pour créer une start-up dans ce domaine.

Avec la technologie de l’impression 3D on va pouvoir reconstituer des organes à partir de cellules redirigées phénotypiquement pour être des cellules d’épithélium artériel ou de peau ou encore des cellules beta du pancréas, celles-là même qui sécrètent de l’insuline et pourquoi pas imaginer la reconstitution d’un pancréas entier, d’un poumon ou à la limite d’un cœur. Car l’alliance de l’impression 3D et de la culture de cellules peut potentiellement repousser les limites de ce que l’on était encore incapable d’imaginer il y a à peine trois ans.

Chaque jour des publications scientifiques relatent des avancées insoupçonnées dans le domaine particulier de la redirection des fonctionnalités des cellules en culture. On ne parle même plus de cellules souches ou embryonnaires (ça offusquait certains « experts » en éthique) puisqu’on peut rajeunir des cellules de peau et les rediriger pour régénérer des neurones ou des cellules cardiaques ou encore ces cellules beta du pancréas ultra-spécialisées pour produire de l’insuline mais pas n’importe comment, en fonctionnant selon la teneur en glucose dans le sang. Le souci avec les cellules beta était jusqu’à il y a encore quelques semaines l’extrême difficulté à les multiplier in vitro. Il était quasiment impossible de maintenir en vie ces cellules et surtout de les voir se multiplier dans une boite de culture au laboratoire. Il n’y a pas de problèmes de ce genre avec des fibroblastes de peau et c’est facile à comprendre puisque notre peau se régénère en permanence d’où l’aisance particulière avec laquelle on peut mettre ces cellules en culture qui s’organisent spontanément pour finalement reformer de la peau en quelques jours.

En utilisant un cocktail complexe d’hormones et de facteurs de croissance adéquats une équipe de biologistes du Gladstone Institute, affilié à UCSF (University of California San Francisco), est arrivée à reprogrammer ces cellules banales que sont les fibroblastes pour qu’elles redeviennent des cellules embryonnaires puis avec un cocktail différent rediriger ces cellules vers le type endodermique pour qu’elles répondent au signal induit par le glucose et qu’elles sécrètent finalement de l’insuline. Et après de multiples tentatives c’est finalement ce que ces biologistes ont obtenu, des cellules beta en partant de vulgaires cellules de peau. Ces nouvelles cellules ont été appelé PPLC, acronyme de Pancreatic Progenitor-Like Cell.

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Pour bien comprendre la démarche assez extraordinaire de cette approche il faut ici rappeler comment fonctionne le pancréas et comment il se forme au cours de la vie embryonnaire (voir l’illustration) puisque ces PPLC sont en quelque sorte les cellules qui formeraient le pancréas au cours du développement de l’embryon. Le pancréas provient d’une différenciation de l’endoderme en deux directions pour finalement arriver à un organe possédant deux fonctions très différentes. La première de ces fonctions dite exocrine est la production d’une panoplie d’enzymes impliqués dans la digestion qui sont, dirions-nous, injectés dans l’intestin au même niveau que la bile provenant du foie et qui n’est en fait qu’un puissant détergent. L’autre fonction du pancréas est dite endocrine et consiste à libérer dans le sang une série d’hormones essentielles pour l’homéostase générale de l’organisme. Ces deux fonctions du pancréas font que cet organe qui est plutôt une glande qu’un organe à proprement parler est aussi essentiel pour notre survie. Pour que tout se passe aussi harmonieusement que possible, c’est-à-dire pour la bonne santé du bonhomme, les cellules endocrines sont elles-mêmes organisées en îlots (Langerhans) pour que la régulation de leurs fonctions variées et parfois antagonistes puisse être optimale dans la mesure où les diverses cellules de ces îlots, pour utiliser une expression anthropomorphique, ne se marchent pas sur les pieds les unes les autres. Ces îlots de Langerhans sont d’une extrême complexité car on y trouve des cellules alpha qui produisent du glucagon, des cellules beta qui produisent de l’insuline et pour compliquer le tableau d’autres types de cellules produisant d’autres hormones peptidiques comme de la somatostatine ou de la ghreline, bref un truc très compliqué.

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Comme si c’était un miracle, ces PPLC obtenues dans les laboratoires du Gladstone Institute arrivent à tout faire en fin de re-différenciation, de l’insuline, du glucagon et les autres hormones, en reconstituant les fonctions endocrines du pancréas. Une véritable prouesse expérimentale ! Dans une boite de Petri c’était déjà un succès de voir que ces cellules en culture produisaient de l’insuline comme le remarqua Ke Li, post-doc ayant participé à cette étude (voir photo) mais l’étape suivante a consisté à transplanter ces mêmes cellules dans des souris génétiquement modifiées pour être diabétiques (type I) car étant incapables de sécréter de l’insuline. Comme cela est résumé dans l’illustration (tirée de Cell Stem Cell) la principale fonction de sécrétion de l’insuline est restaurée chez ces souris modèles.

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Ces résultats impressionnants sont un espoir pour traiter les diabétiques de type I qui doivent s’injecter de l’insuline tous les jours ou disposer de pompes à insuline pour tout simplement survivre. En « jouant » avec divers facteurs de croissance et autres hormones, il est possible de recréer des cellules ultra-spécialisées à partir de vulgaires cellules de peau sans courir de risques de rejets puisque ces cellules peuvent provenir du malade comme cela est déjà le cas pour régénérer une cornée à partir de cellules épithéliales de la bouche.

Et si avec ce type de technologie on allie l’impression 3D, alors les champs d’applications thérapeutiques deviendront à n’en pas douter immenses.

 

Source et photo : Gladstone Institutes, embryogenèse du pancréas, Wikipedia (puisqu’il vaut mieux citer ses sources pour ne pas être poursuivi par la police totalitaire française)

 

 

 

 

La betatrophine, un espoir pour traiter le diabète ?

Plus de 370 millions de personnes souffrent de diabète dans le monde et ce n’est qu’une estimation peut-être optimiste et la grande majorité des diabétiques souffrent de diabète de type 2, une forme insidieuse d’hyperglycémie souvent liée au surpoids et à l’obésité (75 % des cas de diabète de type 2) mais la caractéristique principale du diabète de type 2 est qu’il semble insensible à l’insuline, en d’autres termes les cellules du pancréas (cellules beta) dédiées à la sécrétion d’insuline quand le taux de sucre sanguin augmente n’arrivent plus à remplir leur rôle correctement d’où un manque de régulation du stockage du sucre sous forme de glycogène dans le foie. Or des taux de sucre circulant élevés sont dommageables pour de nombreux organes dont les reins, le cœur, les yeux et le cerveau. L’administration d’insuline pour pallier à cette dérégulation de la fonction des cellules beta du pancréas serait une forme de traitement mais l’insuline doit être injectée par voie sous-cutanée, or sa demi-vie dans le sang n’est que de quelques minutes et ce problème peut être en partie contourné par l’utilisation de pompes à insuline. Bref, c’est compliqué, coûteux et astreignant. Les alternatives médicamenteuses ne sont pas non plus satisfaisantes car les effets secondaires sont parfois pires que les bénéfices observés.

Une équipe de chercheurs de l’Université d’Harvard vient de montrer qu’en fait c’est le foie où a lieu le stockage du sucre et la régulation de la synthèse des acides gras à partir du sucre (glucose) qui commande la multiplication des cellules beta du pancréas en sécrétant une hormone polypeptidique (comme l’insuline qui est aussi un polypeptide). Cette nouvelle hormone a immédiatement été appelée betatrophine et son effet est spectaculaire sur la multiplication de ces cellules pancréatiques spécialisées chez des souris modifiées génétiquement pour surproduire ce peptide. De plus ces cellules nouvellement apparues fonctionnent normalement et produisent de l’insuline en répondant normalement au signal du glucose circulant. Il s’agit d’un grand espoir dans le traitement du diabète si une forme injectable de cette nouvelle hormone qui est aussi présente chez l’homme s’avère fonctionner de manière analogue.

Mais que les diabétiques ne se réjouissent pas trop vite car un tel traitement demandera une longue étude avant d’être disponible sur le marché.

 

Source : http://www.cell.com/abstract/S0092-8674(13)00449-2