Carl Sagan (illustration Wikipedia), fameux astrobiologiste et auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique, avait coutume de dire que nous sommes tous constitués de poussière d’étoiles, et c’est vrai. L’astronome Jennifer Johnson de l’Université de l’Ohio a coloré le tableau périodique des éléments en fonction de l’origine de chacun d’entre eux et je me suis amusé à digresser sur cette belle illustration dont on apprend beaucoup. Notre corps est composé de 7 octillions d’atomes (nombre qui s’écrit avec un 7 suivi de 27 zéros) que ce soit l’azote et le phosphore de notre ADN, le calcium de nos os et de nos dents ou encore le fer de notre sang … Tous proviennent de l’explosion d’étoiles massives ou naines mis à part l’hydrogène (et l’hélium) qui préexistaient dans l’univers depuis le « big-bang » datant conventionnellement de 13,8 milliards d’années. Comme notre étoile, le Soleil, ne date « que » d’environ 5 milliards d’années, il s’en est passé des choses en 8,8 milliards d’années et tous les éléments chimiques plus lourds que l’hélium proviennent d’explosions d’une (ou plusieurs) étoiles ayant précédé la naissance de notre Soleil et de son système de planètes.
Dans ce tableau périodique aux couleurs de l’arc-en-ciel ou presque on retrouve les éléments les plus courants constitutifs de la matière vivante dans la deuxième ligne après l’hydrogène lui-même l’élément le plus abondant dans notre corps : carbone, azote et oxygène (C, N et O). Dans la troisième ligne figurent deux métaux essentiels à la vie, le sodium et le magnésium (Na et Mg) puis le silicium le phosphore, le soufre et le chlore (N° 14, 15, 16 et 17), des éléments essentiels à la vie mis à part le silicium (voir notes) et tous issus de l’explosion d’une étoile massive. Dans la quatrième ligne, les deux premiers éléments sont encore très important pour la vie, le potassium et le calcium (K et Ca). Viennent ensuite une série de métaux dits de transition dont certains jouent un rôle incontournable dans certaines activités métaboliques : le chrome (Cr, trivalent) complexé à certains facteurs à activité insulinique, puis le fer, le cobalt, le nickel, le cuivre et le zinc, tous cofacteurs d’enzymes ou de pigments. Le fer est un élément structural de l’hémoglobine, le cobalt fait partie intégrante de la vitamine B12 et le cuivre et le zinc sont impliqués dans de nombreuses voies métaboliques importantes. Le rôle biologique du brome (Br) n’est pas prouvé chez les mammifères. Dans la cinquième ligne du tableau périodique la situation est plus claire puisque deux éléments seulement se retrouvent dans notre corps, le molybdène (Mo) et l’iode (I). Le molybdène est essentiel pour certaines activités enzymatiques de détoxification et l’iode se retrouve exclusivement lié aux hormones thyroïdiennes T3 et T4.
En résumé notre corps a besoin pour vivre de 20 éléments, tous formés au cours de l’explosion d’une étoile massive ou d’une étoile dite naine blanche mis à part l’hydrogène, la mère de tous les autres éléments chimiques. Le système solaire est issu de l’explosion d’une étoile massive et tous les éléments constitutifs de la croute terrestre sont issus de cette étoile et nous-mêmes sommes finalement de la poussière d’étoile.
Surgit alors une question à laquelle il est impossible d’apporter une réponse dans l’état actuel de nos connaissances mais qui préoccupa Carl Sagan : cette étoile massive ancêtre de notre Soleil était-elle entourée d’une ou plusieurs planètes sur lesquelles apparut une forme de vie durant les quelques 8 milliards d’années précédant son explosion puisqu’on a retrouvé des molécules chimiques relativement compliquées sur des comètes ? La vie n’est-elle pas l’aboutissement d’un processus naturel quand les conditions favorables à son apparition sont réunies comme sur notre Terre ? Nous ne pouvons pas affirmer que seule notre Terre est favorable à la vie dans l’Univers.
Source : sciencealert.com
Notes. Les éléments en grisé, technetium et promethium, sont instables et n’existent pas dans la croute terrestre. Le promethium fait partie de la famille dite des « terres rares » et a été prédit comme devant exister selon le tableau périodique des éléments. L’isotope 99 du technetium est par contre produit industriellement par bombardement neutronique d’uranium 235 hautement enrichi (donc de qualité militaire) car il est utilisé dans le monde entier pour divers radiodiagnostics médicaux. C’est la raison pour laquelle cette production est étroitement contrôlée. J’ai écrit quelques billets sur les problèmes d’approvisionnement en Tc-99 sur ce blog.
La liste ci-dessus a été établie de mémoire et si je me suis un peu attardé sur le cas du molybdène c’est tout simplement parce qu’il m’est arrivé au cours de ma carrière de biologiste de m’intéresser un temps à un enzyme, la xanthine oxydase, nécessitant un atome de molybdène pour être fonctionnel. Quant au silicium, le métal le plus abondant dans la croute terrestre, il semble jouer un rôle limité dans les propriétés structurales du collagène et de l’élastine, des protéines constitutives de l’ensemble de l’organisme dont en particulier les vaisseaux sanguins ou encore la peau. L’aluminium, l’autre métal le plus abondant dans la croute terrestre, n’a paradoxalement aucun rôle biologique.
Mes lecteurs croiront que j’ai oublié le fluor et si je ne l’ai pas mentionné c’est tout simplement parce que cet élément n’a aucune activité biologique connue. L’effet supposé bénéfique du fluor sur les caries dentaires n’est qu’un artefact largement exploité par les fabricants de dentifrices. Il n’y a pas de fluor dans la dentine ni dans l’émail dentaire. Le seul effet du fluor pourrait être une conséquence de son activité inhibitrice sur les phosphatases, des enzymes pouvant être excrétés par les bactéries des plaques dentaires et attaquant éventuellement l’émail. Je sens que ma remarque risque de soulever une polémique mais j’en assume l’entière responsabilité …
Enfin il était opportun de rappeler cette citation prémonitoire de Carl Sagan datant de 1995 tirée de son livre Demon-Haunted World : Science as a Candle in the Dark traduit par mes soins le mieux possible :
» La science est beaucoup plus qu’un corpus de connaissances. C’est une façon de penser. J’ai comme une vision du monde dans lequel vivront mes enfants et petits-enfants où l’Amérique sera une économie de services et d’information, quand la quasi-totalité des industries manufacturières aura émigré vers d’autres pays, quand des outils technologiques impressionnants seront entre les mains d’un très petit nombre, alors plus personne représentant l’intérêt public ne pourra prendre conscience de ce problème. Les gens auront perdu la possibilité d’organiser leur propre vie ou de remettre en question le rôle des responsables [politiques]. En nous raccrochant à nos boules de cristal et en consultant nerveusement nos horoscopes, notre sens critique aura décliné, nous serons devenus incapables de faire la distinction entre ce qui est bon et ce qui est vrai, alors nous glisserons presque sans nous en rendre compte dans la superstition et l’obscurantisme« .
Le texte anglais est ici : Science is more than a body of knowledge; it is a way of thinking. I have a foreboding of an America in my children’s or grandchildren’s time — when the United States is a service and information economy; when nearly all the key manufacturing industries have slipped away to other countries; when awesome technological powers are in the hands of a very few, and no one representing the public interest can even grasp the issues; when the people have lost the ability to set their own agendas or knowledgeably question those in authority; when, clutching our crystals and nervously consulting our horoscopes, our critical faculties in decline, unable to distinguish between what feels good and what’s true, we slide, almost without noticing, back into superstition and darkness.