Un génome : 400 sortes de cellules ! Comment ça marche ?

Notre organisme est constitué d’environ 400 types de cellules différentes et pourtant elles possèdent toute la même information génétique qui se trouve répartie dans les 23 chromosomes. Cette information codée dans l’ADN correspond à environ 50000 gènes codant pour 50000 protéines différentes couvrant une large panoplie de fonctions, que ce soient des enzymes, des protéines de structure ou de régulation. La classe la plus abondante de ces protéines est formée par les facteurs de transcription qui ont pour rôle de se fixer sur l’ADN et de contrôler sa transcription en ARN messager. L’ARN messager sert alors de guide à une machinerie enzymatique complexe, les ribosomes, qui est en charge de synthétiser les protéines. On peut faire une comparaison avec un télex, ça n’existe plus depuis le développement d’internet mais son fonctionnement aide à comprendre comment les choses se passent dans la cellule. On commençait à écrire un texte avec une machine à écrire, ce serait l’ARN polymérase (l’enzyme qui copie le code génétique de l’ADN pour le transformer en ARN) qui éditait une bande perforée, dans notre comparaison l’ARN dit messager, et celle-ci était ensuite introduite dans le télex qui la lisait et la traduisait en document, pour nous ici la protéine. Pour être complet dans cette comparaison, le rôle de l’ADN est matérialisé par l’opérateur qui possède l’information sur le texte qu’il compose sur le clavier de la machine à perforer la bande comme l’ADN possède les informations génétiques.

Pour que la même information génétique conduise à au moins 400 cellules de types différents dans l’organisme il faut donc qu’un mécanisme de régulation très précis fonctionne et module finement l’expression de ces quelques 50000 gènes et c’est le rôle de ces facteurs de transcription dont on a décrit environ 2500 variétés, soit 5 % de l’ensemble des gènes exprimés de tout l’ADN. C’est loin d’être négligeable et il faut tout cet attirail de clés et de serrures, en quelque sorte, pour qu’une cellule devienne un neurone, un globule blanc, une cellule cardiaque, un cône ou un bâtonnet de la rétine ou une cellule capable de produire un cheveu.

Depuis le début des années 2000 le Riken Institute à Yokohama, dans le sud de l’agglomération de Tokyo, s’est intéressé à l’expression des ARN qu’on appelle messagers (la bande perforée du télex) et le projet appelé FANTOM que cet institut a créé et mis en place englobe maintenant plus de 250 personnes réparties dans 114 laboratoires de 20 pays de par le monde.

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En appliquant une technique (CAP, voir la figure) mise au point au Riken Institute consistant à repérer l’ARN messager au début de sa synthèse et avec des machines automatiques de séquençage devenues au fil des années extrêmement performantes, précises et rapides, les résultats se sont accumulés et ont permis de se faire une bonne idée de la différenciation cellulaire. Pour bien comprendre comment les choses se passent, il faut garder en mémoire le schéma ci-dessous (Wikipedia) où figurent des portions de séquence de l’ADN particulières situées en amont du gène qui va être transcrit par l’ARN polymérase.

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Il y a les protomères reconnus par les facteurs de transcription et sur lesquels ces derniers se fixent et il y a aussi les séquences d’ADN dites activateurs (enhancers) sur lesquelles vont se fixer les protéines activatrices qui forment un complexe avec les facteurs de transcription pour décider au final si l’ARN polymérase peut fonctionner ou non, c’est-à-dire générer l’ARN messager qui conduira à la protéine correspondant au gène. Le projet FANTOM coordonné par le Riken Institute a répertorié pas moins de 180000 séquences de protomères et 44000 séquences d’activateurs. Ca fait beaucoup mais il faut tout cet attirail pour que la régulation de l’expression des gènes puisse conduire à la différenciation cellulaire telle qu’on peut l’observer.

On peut faire une estimation arithmétique rapide mais cependant éloignée de la réalité, chaque gène serait sous le contrôle de près de 4 protomères différents et les quelques 2500 facteurs de transcription, agissant chacun sur 20 gènes différents (50000/2500), permettraient donc une combinaison d’environ 500 possibilités, en gros le nombre de cellules différentes décrites : (2500×4)/20. Naturellement, c’est une estimation de mon cru en appliquant une statistique grossière qui ferait hurler d’horreur n’importe quel coauteur de cette étude mais ce qui n’est pas difficile à comprendre c’est que la moindre erreur et c’est la pagaille assurée, par exemple une cellule qui devient cancéreuse. Toute l’étude a d’ailleurs été réalisée initialement avec des cellules saines mais les cellules cancéreuses n’ont pas été non plus négligées.

Le Docteur Alister Forrest, coordinateur scientifique du projet dit les choses ainsi et je n’ai fait que reprendre ses propos : « Les êtres humains sont des organismes multicellulaires complexes composées d’au moins 400 types cellulaires distincts. Cette belle diversité de types de cellules nous permet de voir, de penser, d’entendre, de se déplacer et de combattre les infections alors que tout cela est codé dans le même génome. La différence entre toutes les cellules provient des parties du génome qu’elles utilisent – par exemple, les cellules du cerveau utilisent des gènes différents de ceux des cellules du foie, et donc ils travaillent très différemment. Dans FANTOM5, on a pour la première fois systématiquement étudié exactement quels gènes sont utilisés dans presque tous les types de cellules à travers le corps humain, et les régions qui déterminent cette utilisation lorsque les gènes sont lus à partir du génome ».

Cette immense somme de travail a fait l’objet d’une salve d’articles publiés ce 27 mars 2014 qui décrivent en détail comment, entre autres exemples les mastocytes, des cellules de la lignées sanguine, se différencient en dehors de la moelle osseuse d’où elles proviennent pour remplir leurs fonctions protectrices une fois qu’elle ont ciblé l’organe vers lequel elles doivent intervenir et pourquoi elles sont différentes des globules blancs dits basophiles. Cette sorte d’exception était encore mystérieuse il y a à peine deux ans.

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L’illustration ci-dessus tirée de l’article de Nature (voir le lien et les notes en fin de billet) montre la complexité de ce mécanisme de régulation mais il est intéressant de noter, ce qui n’est pas apparent dans cette figure, que les gènes essentiels à la vie de la cellule, ce que les biologistes appellent les gènes « housekeeping », un terme pas très facile à traduire en français mais qui signifie que sans l’expression de ces gènes la cellule ne peut pas vivre, les promoteurs de ces gènes sont hautement conservés dans tous les types de cellules. Pour les autres gènes, les sites de début de transcription sont des entités composites dont la diversité est matérialisée par le diamètre des petites sphères dans l’illustration. Pas surprenant que les cellules du testicule qui doivent exprimer pratiquement tous les gènes pour produire les gamètes mâles disposent d’une panoplie étendue de promoteurs, pas surprenant non plus que les hépatocytes, les cellules du foie, qui sont multitâches, jouissent d’une plus grande flexibilité pour exprimer toutes sortes d’enzymes indispensables à leurs fonctions métaboliques ou de détoxification. Par contre les cellules épithéliales sont hautement spécialisées et la diversité des promoteurs est faible. Belle illustration de la complexité du vivant et la recherche en génétique réserve encore de nombreuses surprises en particulier en affinant les mécanismes d’apparition des cellules cancéreuses probablement grâce à ce type d’approche comme cela est suggéré dans l’illustration.

Sources : Riken Institute News et Nature (doi:10.1038/nature13182)

Illustrations : Wikipedia et Nature.

Note : l’illustration tirée de Nature (capture d’écran) a été insérée dans ce billet sans l’autorisation des éditeurs mais comme mon blog n’a pas de vocation commerciale, il n’y figure notamment aucune publicité, je suppose que ces éditeurs n’en seront pas offusqués. FANTOM5 est le cinquième rapport du projet Fonctional ANnoTation Of the Mammalian genome promu et dirigé par le Riken Institute. A noter qu’aucun laboratoire français n’a participé à cette étude multinationale extraordinairement innovante.

Jet-lag

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Dans trois semaines je serai à Tokyo, je volerai d’ailleurs dans un Boeing 777 de Rome à Narita. J’aime bien cet avion, il est spacieux et assez silencieux, moins que l’Airbus A380, certes, mais c’est un bon avion, un peu comme l’A330. J’arriverai à Narita à dix heures et demi du matin et en incluant la récupération de ma valise, le passage par l’immigration, la douane, le train pour aller chez mon fils, la Keisei Line, un bout de Yamanote de Ueno à Kanda puis la Chuo Line, l’itinéraire le plus rapide et le plus économique, en gros une heure trente, j’arriverai à destination à deux heures de l’après-midi et je n’aurai pas du tout sommeil. Je boirai trois tasses de café, mon fils vient de s’acheter une super machine à café, pour m’aider à rester éveillé puisque ce sera en réalité pour mon organisme presque la fin de la nuit. Je ferait tout pour rester éveillé jusqu’à l’heure où j’irai accueillir mon fils à sa station de métro de retour de son bureau puis retrouver mes petits-enfants. Il sera alors neuf heures du matin ici à Tenerife et quelques heures plus tard je tenterai sans succès de trouver le sommeil à Tokyo. Bref, je souffrirai donc du décalage horaire et une petite poignée de pilules de mélatonine ne sera que médiocrement efficace pour retrouver ce sommeil normalement et il n’y a rien à faire sinon se persuader qu’il faut une journée pour rattraper une heure de décalage horaire et prendre son mal en patience.

Mais pourquoi l’organisme est-il aussi étroitement assujetti à l’alternance des jours et des nuits. L’homme maîtrise presque tout, sauf le climat la météo et la bêtise, mais le décalage horaire constitue toujours une énigme et ce problème ne concerne pas seulement les voyageurs mais aussi les travailleurs qui font équipe de nuit puis de jour en alternance, et il y en a beaucoup. Le rythme circadien est quasiment imprimé dans toutes les cellules de notre organisme et son mécanisme a été découvert avec la drosophile, la mouche du vinaigre, un animal de laboratoire familier des généticiens. Il est commandé par un gène appelé Per pour période. Chez la mouche du vinaigre le niveau de l’ARN messager correspondant au gène Per oscille avec une période de 24 heures pratiquement dans toutes les cellules. J’avais déjà décrit les mécanisme du jet-lag dans un billet de ce blog ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/08/31/le-jet-lag-quelle-misere-peut-etre-une-solution/ ) et la recherche continue dans ce domaine et apporte chaque jour de nouvelles pistes qui permettent d’entrevoir un espoir pour se « recaler » rapidement. Et le jet-lag concerne des centaines de millions de voyageurs dans le monde. Un traitement efficace serait le bien venu.

Tout provient du noyau suprachiasmatique dont je parlais dans ce billet et je n’y reviendrai pas. L’horloge biologique rassemble de multiples composants, près d’une centaine, qui ont été identifiés chez la souris par analyse automatique des ARN messagers et qui s’expriment avec une période de 24 heures en fonction de la lumière. L’un de ces ARNs code pour un enzyme particulier qui a pour rôle de fixer un groupement phosphate sur d’autres protéines qui ont également un rôle enzymatique et qui déclanche en quelque sorte le chronomètre biologique qui va décompter les heures jusqu’à la dernière et le cycle recommence sous l’impulsion du noyau suprachiasmatique sensible aux alternances jour-nuit. Cet enzyme qui fait partie de la classe des kinases, les kinases tranfèrent un phosphate sur d’autres protéines ou des métabolites comme le glucose par exemple, est appelé la CK1epsilon – les biologistes et les chimistes aiment bien l’alphabet grec comme les mathématiciens – et n’avait pas vraiment de rôle connu. Pour lui attribuer un rôle comme d’ailleurs au produit de n’importe quel gène, on soumet des souris à un traitement qui induit des mutations. Ce traitement n’est pas spécifique mais avec un peu de patience on finit par trouver une souris mutante sur le gène auquel on s’intéresse. Si le gène n’est plus du tout exprimé on dit qu’il est « knock out » et on le vérifie a posteriori par analyse des ARN messagers avec une machine automatique. Ces souris n’exprimant plus le gène codant pour la CK1epsilon s’adaptent très rapidement aux changements de rythmes circadiens sans être stressées. Dans l’animalerie d’un laboratoire, c’est très facile d’induire un jet-lag aux souris, il suffit de régler la minuterie de l’éclairage, pas besoin de prendre un long courrier. De plus ces souris ne souffraient pas du tout des nombreux troubles métaboliques induits par la modification de l’alternance jour-nuit.

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Et nous humains, nous ne sommes pas préparés à ces brusques changements d’alternance jour-nuit qui peuvent de surcroit être délétères pour la santé comme par exemple en favorisant des inflammations chroniques ou pire l’apparition de diabète et encore une perturbation du système immunitaire. L’illustration tirée d’une figure de l’article des PNAS (voir le lien) montre la complexité des effets en cascade du dérèglement des rythmes circadiens sur l’ensemble de l’organisme et on comprend aisément que les perturbations de l’alternance jour-nuit ont de multiples effets.

Il reste encore à trouver une molécule chimique qui inhibe l’activité de la CK1epsilon et de manière spécifique, ce qui est un vrai challenge, pour espérer trouver la pilule miracle que pourront prendre tous ceux qui sont soumis à des horaires jour-nuit et les millions de voyageurs au long cours. Ce n’est pas pour demain et je me prépare psychologiquement à souffrir bientôt du jet-lag.

 Source : University of Manchester, University of Surrey et PNAS ( http://www.pnas.org/content/111/6/E682.full.pdf+html ), crédit photo Fotolia

Ce qui fait que nous sommes « nous » (et personne d’autre)

Une plongée profonde dans les mystères de l’ADN est maintenant possible grâce aux performances en incessante amélioration des machines qui arrivent à déterminer la séquence totale de ce support de l’hérédité qu’est l’ADN à partir de la moitié d’une dent ou de l’os de la dernière phalange du petit doigt et en des temps records. C’est ce qui a été rendu possible dans le laboratoire du Professeur Svante Pääbo, le spécialiste mondial de l’élucidation de l’ADN préhistorique au Max Planck Institute de Leipzig. Cette phalange d’une petite fille datant d’environ 41000 ans a été découverte dans une grotte située au cœur des montagnes de l’Altaï appelée la grotte de Denisova, du nom d’un ermite prénommé Denis qui aurait séjourné isolé dans cet endroit et où, faut-il le préciser la température ne dépasse jamais zéro degrés même par une belle journée ensoleillée au milieu de l’été sibérien. Mais ce que cet ermite ignorait c’est que bien avant lui ses ancêtres avaient également élu domicile au même endroit, notre proches parents il y a quelques dix mille ans, mais aussi des Néandertaliens et ces ancêtres très différents de nous et des nos cousins néandertaliens maintenant appelés les Dénisoviens.

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Ce que l’on sait de ces cousins éloignés, pas grand chose sinon qu’ils vivaient probablement en groupes isolés et qu’ils ont disparu de l’Asie après avoir émigré dans ces contrées éloignées probablement avant les hommes de Néanderthal mais qu’ils ont rencontré ces derniers ainsi que des hommes « plus modernes » car il semble qu’il y ait eu des métissages, histoires de cul obligent (cf La Guerre du Feu, roman de J.H. Rosny paru en 1911 qui fit l’objet d’un film fameux). Ce que les analyses de l’ADN de cette enfant à partir d’une phalange du petit doigt et d’un autre représentant de cette peuplade à partir d’une dent mais ne datant pas tout à fait de la même période d’occupation de la grotte révèlent c’est que les Dénisoviens divergèrent des Néandertaliens il y aurait environ 650000 ans et ces deux sous-groupes d’humains auraient divergé des ancêtres des Africains modernes, nous y compris, il y aurait 800000 ans, tout le temps donc pour que l’ADN évolue en profondeur comme on peut maintenant le découvrir avec ces nouvelles machines ultra-performantes qui arrivent à reconstituer l’ensemble du génome à partir des petits morceaux issus de la lente dégradation de cette énorme molécule. On navigue dans une échelle de temps difficile à appréhender, un peu comme les distances entre les galaxies … Six cent cinquante mille ans, c’est difficile à imaginer à l’échelle d’une vie humaine, même si l’espérance de vie augmente de quelques jours chaque année avec les progrès de la médecine, mais la conclusion de ce billet aurait tendance à infirmer ce dernier point.

En comparant les génomes des hommes modernes, vous et moi, des Néandertaliens et des Dénisoviens, on est entré dans un tout autre domaine de découvertes, en quelque sorte une réponse partielle à la question qui pourrait être posée en ces termes : « qu’est-ce qui fait que nous sommes « Nous » ? ». Vaste problème que la génétique sera peut-être à même de répondre un jour prochain, et quand je dis un jour prochain c’est parce que les prémices des éléments de réponse sont presque sous nos yeux.

L’ADN humain, j’en ai parlé dans de nombreux billets de mon blog, est essentiellement constitué de séquences inutiles, les anglo-saxons appellent ça du « junk », un mot intraduisible en bon français qui pourrait signifier détritus, le mot le plus approprié que j’ai trouvé. Mais beaucoup de ces portions d’ADN sont en réalité des réminiscences d’informations génétiques provenant de virus, plus précisément de rétrovirus. Tout le monde connait le virus du SIDA, c’est un rétrovirus, c’est-à-dire un virus dont l’information génétique est supportée par de l’ARN et non de l’ADN. La distinction entre ARN et ADN réside dans la nature du sucre qui lie chaque motif contenant une base, un ribose ou un désoxyribose et l’ARN n’a pas la capacité de s’enrouler en double hélice comme l’ADN, mais ce détail ne fait pas partie de mon propos. Les rétrovirus ont la capacité de copier leur ARN en ADN (en double hélice) et de l’incorporer au matériel génétique de l’hôte car ils codent pour une machinerie enzymatique capable de réaliser ce subterfuge complètement démoniaque. Et ça fait des centaines de milliers d’années que ça se passe comme ça et qu’on subit en quelque sorte ce genre de violation de notre patrimoine génétique intime sans le savoir. De plus ce ne sont pas des virus vraiment gentils, la plupart sont liés à des formes de cancer et à bien d’autres maladies contre lesquelles on est totalement impuissant comme des réactions auto-immunes dont on a toutes les peines du monde (médical) à expliciter les causes. On porte donc dans nos gènes des séquences génétiques qui sont des déchets dangereux (junk en anglais) pouvant être la source de toutes sortes de pathologies le plus souvent mortelles.

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Des biologistes des Universités de Plymouth et d’Oxford ont comparé l’ADN des hommes modernes, vous et moi, avec ceux des Néandertaliens et des Dénisoviens et ils sont arrivé à la conclusion incroyable que nous trainons, comme un boulet à la cheville, des dizaines de séquences virales différentes dans nos gènes et que ça ne date pas d’hier mais d’il y a plus de 500000 mille ans ! De plus cette saloperie (junk en anglais, c’est une autre traduction compatible mais il y en a bien d’autres) représente 8 % de notre génome, vraiment de quoi avoir peur, surtout quand on sait maintenant que des stimuli extérieurs peuvent réveiller à tout moment ces virus. Le Docteur Gkikas Magiorkinis, de l’Université d’Oxford en parle en ces termes : « Dans certaines circonstances, deux virus (endogènes) peuvent se combiner pour faire apparaître une maladie. On a observé cela chez des animaux quand une bactérie active leur expression conduisant à l’apparition de cancers ». Fort heureusement pour nous, en 500000 ans ces séquences virales, qui se sont incorporé à notre ADN et qu’on a retrouvé dans l’acide nucléique de la phalange de la petite fille de la grotte des montagnes de l’AltaÏ, ont subi la même « pression de sélection » que tout le reste de notre patrimoine génétique et un grand nombre de ces virus ont été inactivés mais il n’en demeure pas moins que nous portons en nous les causes de notre mort, en particulier à la suite de cancers.

Nos cousins néandertaliens et dénisoviens nous ont laissé un héritage et nous devons faire avec, on se le coltine depuis des centaines de milliers d’années et il est difficile d’entrevoir dans ces conditions une quelconque approche thérapeutique efficace, nous sommes les propres porteurs de nos maux, ce qui fait peut-être en définitive que nous sommes « nous » et pas un (une) autre.

Source : University of Oxford ( http://www.ox.ac.uk/media/news_stories/2013/131119.html ) , Wikipedia et National Geographic pour l’illustration.

 

 

A la mémoire de Frederick Sanger

A la mémoire de Frederick Sanger

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Frederick Sanger restera dans ma mémoire puisque les techniques que l’on utilisait encore dans les années 70 étaient toutes dérivées directement de ses travaux, on utilisait encore dans certains cas un réactif appelé « le réactif de Sanger » ainsi que la visualisation bidimensionnelle des petits peptides et des aminoacides constituant une protéine que l’on révélait sur un papier avec un autre réactif mis au point dans le laboratoire de chimie des protéines de l’Université de Cambridge où Sanger travailla de nombreuses années, la ninhydrine, qui avait pour inconvénient de colorer violemment en violet les doigts. Il s’agissait d’une chromatographie descendante sur papier suivie d’une électrophorèse à haut voltage. Le seul fait d’évoquer le nom de Sanger me rappèle curieusement les odeurs prégnantes du mélange de pyridine et d’acide acétique que l’on utilisait pour l’électrophorèse dans un grand bac rempli d’une huile appelée Varsol. C’est aussi dans le laboratoire de Sanger que celui qui serait mon mentor à UCLA fit ses premières armes et collabora étroitement avec lui dans la détermination des pont disulfure de l’insuline (voir la figure tirée de Wikipedia ci-après, les ponts disulfure entre les cystéines sont indiqués en rouge). Les travaux de Sanger sur la séquence d’aminoacides de l’insuline conduisit Francis Crick à formuler l’hypothèse d’une relation directe entre la structure primaire (la séquence d’aminoacides) des protéines et le concept de gènes codant pour ces protéines dont l’information était contenue dans l’enchainement des bases de l’ADN, les premiers résultats de Sanger sur l’insuline remontant au début des années 50 et c’est au cours de cette même décennie que Francis Crick, également à Cambridge, élucida avec James Watson la structure de l’ADN par cristallographie alors que Sanger travaillait déjà sur la séquence des bases constituant les ARN de transfert et les ARN ribosomaux.

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Sanger est le seul chimiste a avoir été récompensé deux fois par le Comité Nobel, une première fois pour la détermination de la structure complète de l’insuline en 1958 et une deuxième fois pour ses travaux sur la détermination de la structure des acides ribonucléiques, en 1980. Sanger faisait partie de ces chimistes fourmillant d’idées pour arriver à résoudre des problèmes complexes avec, pourrait-on dire aujourd’hui, les moyens du bord car la chimie des protéines et des acides nucléiques est aujourd’hui confiée à des machines automatiques mais ces équipements aux performances extrêmement puissantes font toujours appel aux principes découverts et mis au point par ces grandes figures de la chimie et de la biologie qui foisonnaient dès la fin de la deuxième guerre mondiale dans les grandes universités anglo-saxonnes dont en particulier Cambridge qui est toujours un haut lieu de la biologie.

C’est dire que la nouvelle de la mort de Sanger la nuit dernière à l’âge de 95 ans m’a interpellé dans mes souvenirs de chimiste des protéines.

Crédit photo: Associated Press 

Du nouveau sur le mécanisme de la lactation

La biologie de la lactation humaine est restée le parent pauvre de la recherche médicale car il est impensable de réaliser une biopsie de la glande mammaire d’une femme allaitant son enfant. Le développement récent des techniques de séquençage automatique de l’ARN a été mis à profit avec le lait maternel. Tout le travail que je voudrais exposer aussi clairement que possible à mes quelques lecteurs assidus et qui vient de paraître dans la revue peer-to-peer en open access PlosOne (excusez les anglicismes) sur le lait maternel et le volume et la durée de la lactation est basé sur le fait que dans le lait maternel des globules lipidiques sont sécrétés par les cellules épithéliales de la glande mammaire et qu’ils contiennent des ARN, des restes des « transcripts » capturés lors de la sécrétion et que ces ARN décrivent très précisément ce que l’on appèle maintenant communément dans le monde de la biologie le « transcriptome », c’est-à-dire l’ensemble des gènes exprimés, ici, au cours de la lactation, que ce soient des transcripts très abondants ou au contraire présents à l’état de traces. Que mes lecteurs ne s’y méprennent pas, je n’ai pas trouvé de traduction satisfaisante du mot anglais « transcript », il s’agit d’ARN issus de la transcription de l’ADN en ARN par l’ARN-polymérase et leur analyse fine donne donc une image également fine de l’état fonctionnel de la cellule, en l’occurrence de la glande mammaire. On parle alors de signatures transcriptionnelles. Cette technologie récente de séquençage automatique des ARN a permis d’expliquer l’évolution de l’état de la glande mammaire depuis le colostrum jusqu’au lait mature et également, comme on le verra, quelles sont les causes d’une production défectueuse de lait chez certaines femmes. L’étude s’est focalisé sur le lait appelé colostrum, peu de temps après la délivrance et très riche en sodium, le lait de la période dite intermédiaire où la balance entre sodium et potassium se rétablit et enfin le lait mature ou lait « normal » tel qu’il restera durant toute la lactation. Après isolement des globules lipidiques et préparation adéquate des ARN présents dans ces globules pour séquençage, même pas un tiers d’entre eux s’est révélé apte à être séquencé avec succès, mais la machine automatique a tout de même pu identifier 14629 gènes exprimés durant la période « colostrum, 14529 gènes durant la période de transition et 13745 gènes ultérieurement, c’est dire la puissance d’analyse moderne des laboratoires de génétique et de biologie. Sans vouloir faire un catalogue, dans le lait mature, une vingtaine de gènes sont sur-exprimés et parmi eux, comme on peut s’y attendre, ceux de la caséine, lactalbumine, lacto-transférine, ferritine, lyzozyme, thymosine, lipase, etc … Dans le lait de la période de transition de quelques jours suivant le colostrum, le profil est différent puisqu’on retrouve aussi des ARN codant pour des protéines ribosomales (les ribosomes sont les machines à traduire les ARN en protéines) et ce n’est pas surprenant puisque la glande mammaire est en pleine structuration. Enfin, dans le colostrum on trouve les transcripts de l’interféron, de micro-globulines et de bien d’autres protéines mais la lactalbumine et la caséine n’arrivent qu’en huitième et neuvième position par ordre d’abondance contrairement au lait mature où ces deux composants sont les plus abondants. Dans le lait mature, les trois principales protéines produites sont la beta-caséine, l’alpha-lactalbumine et la lactoferrine. Les trois figures tirées de l’article sont une illustration de la diversité de l’activité de la glande mammaire et de son évolution au cours du stade de maturation du lait, dans l’ordre : colostrum, transition, lait mature.

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journal.pone.0067531.g001

Ce que cette étude extrêmement détaillée a aussi montré est l’effet de l’insuline sur la lactation. Comme on le suspectait déjà l’insuline a de profonds effets sur la synthèse des protéines au cours de la lactation en agissant sur toute une série de récepteurs qui modulent l’expression des gènes et donc les activités enzymatiques de synthèse associées. C’est ce qui a été confirmé au cours de cette étude. Mais mieux encore, il est bien connu des mères allaitantes que les seins s’engorgent littéralement durant les 4 ou 5 jours suivant la naissance et qu’ensuite un équilibre est atteint et qui dépend largement de la tétée. Ce phénomène est complètement dépendant d’un processus complexe de régulation effectué par l’insuline. Les curieux peuvent aller se plonger dans cet article ( http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0067531 ) car cela en vaut la peine, mais attention au mal de tête ! Un récepteur particulier de l’insuline appelé PTPRF (ça ressemble au sigle d’un parti politique du genre « Parti Totalitaire Populaire de la Réforme de la France », mais on peut en imaginer d’autres) en réalité il s’agit du « Protein Tyrosine Phosphatase, Receptor type F » qui diminue l’action de l’insuline en modifiant d’autres récepteurs de l’insuline par suppression du phosphate lié à une tyrosine de ces derniers, d’où ce nom compliqué. Ce que cette étude a finalement découvert, c’est que l’insuline via ce PTPRF, en effectuant le même type d’étude chez des femmes allaitantes mais dont la production de lait déclinait pour des raisons inconnues jusqu’alors, était que l’expression du gène du PTPRF chez les femmes présentant une résistance à l’insuline dont l’effet le plus connu est le diabète de type II est beaucoup plus élevée que chez celles capables d’une lactation normale. En d’autres termes la résistance à l’insuline se répercute directement sur le fonctionnement de la glande mammaire par l’intermédiaire d’une régulation complexe très bien démontrée par cette étude.

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Ces travaux ont été effectué au Cincinnati Children’s Hospital Medical Center et publiés dans PlosOne (voir le lien) d’où proviennent les illustrations.