La vie sur la Terre est apparue un demi-milliard d’années plus tôt qu’on ne le croyait

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Le scoop scientifique de cette fin d’année 2017 qui a fait la une de nombreux journaux a été l’affirmation, preuves à l’appui, que la vie sur Terre était déjà complexe et organisée il y a 3,5 milliards d’années et pour atteindre un tel degré de sophistication – certes il ne s’agissait que de bactéries – la vie existait déjà bien avant, au moins depuis 500 millions d’années. La saga scientifique qui a permis d’arriver à cette affirmation a commencé il y a plus d’une trentaine d’années quand des géologues prospecteurs de ressources naturelles pour les grandes compagnies minières se sont trouvés confrontés à un type de roches qu’ils n’avaient jamais vu auparavant quand ils se sont promené dans le Nord-Ouest de l’Australie dans la région du Pilbara, une étendue semi-désertique de la taille de la France qui renferme la plus grande réserve de minerai de fer du monde mais pas seulement car il y a aussi du lithium et plein d’autres bonnes choses. Ces géologues prospecteurs ont découvert un craton, une roche ressemblant à ce que l’on trouve aujourd’hui autour des concrétions hydrothermales dans le fond des océans qui a été analysée par la suite et datée d’environ 3,45 milliards d’années. Il s’agit donc de la formation géologique la plus ancienne connue sur la Terre.

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En observant soigneusement au microscope des échantillons de ces roches uniques au monde qui dormaient dans un laboratoire de l’Université du Wisconsin à Madison depuis 1982 quelque chose de totalement inhabituel attira l’attention de quelques scientifiques géophysiciens de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) : la présence de micro-filaments sombres noyés dans une matrice minérale très compacte. Sous la direction du Docteur William Schopf ils se mirent donc au travail pour en savoir plus.

La première hypothèse qui s’avéra par la suite la bonne fut qu’il s’agissait d’inclusions carbonées dans cette roche que les savants appellent une roche kérogène (du grec keros, κεροσ, qui signifie carbone ou charbon). Pour le prouver il fallut faire appel à une technique analytique dite SIMS ou spectrographie de masse d’ions secondaires consistant, brièvement, à bombarder la cible à analyser à l’aide d’un flux d’ions césium et ensuite accélérer les atomes détachés de l’échantillon pour en déterminer la distribution par rapport à leur masse. Comme il est possible de s’en rendre compte en examinant un cliché des échantillons de roche il a fallu isoler par sciage puis micro-polissage des éléments « sombres » de ces inclusions ressemblant sous un microscope à des petits filaments. La préparation des échantillons fut au coeur même de ce travail remarquable afin de lever toute ambiguité quand à l’origine et à la composition en carbone de ces derniers. Car c’est là que résidait la preuve ultime de l’existence de bactéries fossiles.

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Pour être certain que des inclusions « noires » dans une roche contiennent du carbone et sont le résultat d’une activité biologique, en l’occurence bactérienne, il n’y a qu’un moyen infaillible qui consiste à mesurer aussi précisément que possible la teneur en isotopes 12 et 13 de cet élément. Et seule la spectrographie de masse à haute sensibilité permet d’obtenir un tel résultat. Dans le cas des roches australiennes étudiées il y avait bien ces inclusions ressemblant à des enchainements de bactéries filamenteuses comme on en trouve aujourd’hui dans les dépôts autour des évents volcaniques sous-marins ou encore autour des sources chaudes du parc national de Yellowstone aux Etats-Unis mais un examen microscopique ne suffisait pas. Après avoir préparé plus d’une vingtaine d’échantillons microscopiques polis à la manière du plus expérimenté diamantaire ce fut le jack-pot scientifique. Onze échantillons conduisirent sans équivoque à l’origine bactérienne des inclusions carbonées. Et parmi celles-ci, en regard des « delta C 13 » ou « signatures isotopiques » obtenus il s’agissait de 5 populations de bactéries différentes, les unes photosynthétiques rudimentaires, les autres se « nourrissant » de méthane et enfin d’autres bactéries produisant elles-mêmes du méthane. Chacunes de ces « taxa » de bactéries qui existent toujours ont en effet des signatures isotopiques différentes en raison de leurs métabolismes qui ne sont pas les mêmes. Plus extraordinaire encore ces populations semblaient coexister ce qui tendrait à prouver que la vie est apparue sur la Terre bien avant ces 3,45 milliards d’années, l’âge de ce craton. Selon les auteurs de l’étude au moins 500 millions d’années ont été nécessaires pour atteindre un tel degré d’évolution.

Ces travaux ont naturellement fait l’objet de critiques parfois acerbes d’autres équipes de spécialistes, c’est de bonne guerre en science. Les uns déploraient la pauvreté du nombre d’échantillons, les autres incriminaient la préparation même de ces échantillons. La critique est facile surtout quand on n’a pas effectué un tel travail innovant soi-même.

Bref, l’âge de la vie sur Terre a été reculé d’un demi-milliard d’années et ces roches uniques au monde se sont très probablement formées dans des environnement aqueux chauds, des milieux propices à l’apparition de la vie (voir un précédent billet sur ce blog) et nous descendons tous de ces organismes bactériens primitifs …

Source : PNAS, doi : 10.1073/pnas.1718063115 aimablement communiqué par le Docteur William Schopf qui est vivement remercié ici.

Revoir aussi sur ce blog : https://jacqueshenry.wordpress.com/2017/11/23/lapparition-de-la-vie-sur-terre-une-etape-decisive-franchie/

Et aussi : https://en.wikipedia.org/wiki/Δ13C Illustration en tête de billet : jasperite de la région de Pilbara (Wikipedia)

Sans CO2, pas de vie et pas d’oxygène !

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Selon les études relatives aux roches sédimentaires anciennes que l’on a coutume d’appeler roches mères ou schistes, on a pu déterminer l’apparition de la vie sous forme d’archéobactéries photosynthétiques il y a de ça 3,8 milliards d’années, l’âge de la Terre étant évaluée à 4,6 milliards d’années. Il a fallu ensuite plus d’un milliard d’années pour qu’une forme de vie organisée apparaisse et encore 500 millions d’années supplémentaires pour assister à l’explosion de formes de vie variées et de plus en plus complexes à la fin de cette longue période appelée Protérozoïque qui précède si l’on peut dire les temps modernes de la vie que les géologues appellent le Phanérozoïque. C’est un peu ésotérique mais il faut remonter loin dans le temps pour comprendre comment la vie est apparue sur Terre. Un excellent article de Wikipedia présente ces différentes périodes de l’histoire terrestre, voir l’illustration ci-dessous (voir le lien en fin de billet).

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Nous vivons toujours dans la période définie comme étant le Phanérozoïque qui débute par le Cambrien, une relativement courte période d’environ 200 millions d’années durant laquelle un foisonnement incroyable de formes de vie apparaît comme en attestent les fossiles retrouvés dans les schistes qui se sont formé à cette époque. Ce que l’on sait avec un peu de certitude c’est que les formes très primitives de vie comme les archéobactéries ont conduit à l’apparition d’espèces unicellulaires plus complexes (eucaryotes) à un moment crucial de l’évolution de l’atmosphère terrestre, l’apparition de quantités suffisantes d’oxygène pour favoriser cette diversification. Dans notre esprit, qui dit vie sous-entend oxygène. Or l’atmosphère terrestre pendant près de trois milliards d’années était constitué d’azote, de vapeur d’eau et … de gaz carbonique, beaucoup de gaz carbonique, énormément de gaz carbonique ! Il est donc compréhensible que les premières formes vivantes se soient adaptées pour utiliser le rayonnement solaire et puiser dans ce qui pouvait leur servir en quelque sorte de nourriture, ce gaz carbonique très abondant, peut-être entre 13 et 20 % de la totalité de l’atmosphère, on n’en sait pas trop sur ce sujet. Toujours est-il que l’évolution de la vie sur Terre n’a eu de cesse de transformer ce gaz carbonique en immobilisant le carbone et en produisant de plus en plus d’oxygène, oxygène qui a favorisé l’émergence de formes de vie de plus en plus complexes. Cette immobilisation initiale qui a duré deux milliards d’années est aujourd’hui exploitée pour produire des hydrocarbures de schistes. Il faut rappeler ici qu’à cette époque très lointaine les végétaux n’existaient pas et que par conséquent l’immobilisation du CO2 par ces végétaux aériens était également inexistante.

Comment être certain que les choses se sont bien passé ainsi, c’était un peu l’inconnu jusqu’à une étude réalisée par des géologues qui vient de paraître dans le dernier numéro de Science. Pour se faire une idée précise de la composition de l’atmosphère terrestre en ces temps reculés la seule solution résidait dans l’étude des états d’oxydation du chrome dans ces roches mères mais des roches suffisamment vieilles pour pouvoir retracer l’évolution même approximative de l’évolution de la teneur en oxygène atmosphérique. Les trois principaux isotopes du chrome sont le Cr-52, le Cr-53 et le Cr-50 qui se répartissent de la manière suivante : 83,7 , 9,5 et 4,3 % dans la croute terrestre. Le Chrome-50 est radioactif avec une demi-vie extrêmement longue ( 1 milliard de milliards d’années) et se désintègre en Titane-50 stable. C’est en étudiant très finement les quantités respectives de ces trois isotopes du chrome dans les schistes anciens qu’on a pu se faire une idée du pouvoir oxydatif de l’atmosphère terrestre. Les schistes se sont en effet formé à la suite d’érosions des reliefs et tout phénomène d’oxydation a entrainé une séparation des isotopes du chrome en fonction de leur masse résultant en un variation infime mais détectable en chrome-53 par rapport à ce qui est observé dans la moyenne des roches ignées de la croute terrestre. Enfin le rapport entre chrome et titane dans ces mêmes sédiments procure une indication supplémentaire de l’état d’oxydation du chrome durant ces épisodes de lessivage des roches originelles de la croute terrestre, celles qu’on appelle roches ignées issues de l’intérieur de la Terre ou des collisions par des astéroïdes lors de la formation de la Terre.

Il fallait trouver naturellement des échantillons suffisamment anciens pour pouvoir mener à bien une telle étude et il ne reste pas beaucoup d’endroits sur la Terre où trouver des roches très anciennes compte tenu de la dérive incessante des continents durant ces période aussi longues. Par chance il existe encore de très vieux schistes en Chine, la formation Chuanlinggou (1,7 milliard d’années, voir l’illustration), la formation Freedom aux USA (1,65 milliard), la formation Sherwin en Australie (1,45 Md) et la formation Aok (Wynniatt) au Canada vieille de 900 millions d’années. Les éléments de comparaison ont été faciles à trouver comme par exemple ce qui se passe dans le delta de l’Amazone aujourd’hui avec une teneur en oxygène de 20 % dans l’atmosphère ou ce qui se passait pour l’oxydation du chrome dans des roches riches en fer datant de 100 millions d’années.

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Que s’est-il passé ? L’enrichissement en chrome-53 dans les sédiments (schistes ou encore roches mères) vieux d’environ 750 millions d’années coïncide avec l’avènement du Cambrien et l’apparition de formes de vie différenciées et complexes dont la bilatéralité illustrée par ce fossile de trilobite :

La teneur en oxygène a progressivement augmenté au cours du Protérozoïque pour résulter en une explosion de vie au Cambrien comme le relatent les fossiles correspondants. Les périodes géologiques subséquentes ont fait le reste, en particulier durant le Carbonifère qui a fini de piéger le CO2 atmosphérique pour atteindre la composition de l’atmosphère actuel avec seulement des traces de ce CO2. Les massifs montagneux calcaires sont le résultat de ce long travail des êtres vivants utilisant le CO2 pour vivre !

Que conclure de cette étude et je subodore que mes lecteurs savent déjà où je veux en venir. D’ailleurs il faut avoir l’esprit un peu tordu pour passer des heures à comprendre un article scientifique complexe comme celui-ci et oser le mettre dans un blog. La réponse est toute simple : si les 13 à 20 % de CO2 que contenait l’atmosphère il y a encore un milliard et demi d’années avaient présenté un effet de serre, les océans où tout se passait alors avec les archéobactéries photosynthétiques (cyanobactéries) auraient été en ébullition permanente et aucune forme de vie n’aurait pu durablement s’établir. Ces travaux contredisent donc, certes indirectement, la thèse supposant que le CO2 ait un quelconque effet de serre.

Bien au contraire, le CO2 fut essentiel à l’apparition de la vie et de l’oxygène résultant de son immobilisation par photosynthèse sous forme de carbonates grâce au rayonnement solaire ce qui permit l’émergence de formes de vie plus complexes, dont les végétaux toujours photosynthétiques, mais aussi et surtout les formes vivantes bilatérales (trilobite, illustration ci-dessus) puis les vertébrés ne pouvant survivre sans oxygène.

Ces travaux réalisés par une vaste collaboration internationale pilotée par l’Université de Californie à Riverside et le Caltech peuvent être résumés dans la figure synthétique ci-dessous tirée de l’article paru dans Science le 31 octobre ( DOI: 10.1126/science.1258410 ) que je tiens à la disposition de mes lecteurs.

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Explications de l’illustration. La partie supérieure décrit l’apparition des formes de vie avec l’explosion du Cambrien (LOEM : microfossiles édiacariens ornementés (600 millions d’années), VSM : microfossiles en forme de vases). La zone verticale en grisé situe l’explosion du Cambrien. La partie inférieure indique les résultats relatifs à la répartition du chrome-53 dans les schistes riches en fer : cercles rouges pour le précambrien, carrés blancs pour le Phanérozoïque, et cercles bleus pour les boues et schistes. L’insert décrit la répartition du rapport chrome/titane dans les schistes pauvres en oxygène où mid-Prot correspond à la période médiane du Protérozoïque, Phan au Phanérozoïque et Wynniatt le schiste daté de 800 à 750 millions d’années coïncidant avec l’explosion du Cambrien. La zone horizontale en grisé est la teneur relative en Cr-53 dans les roches ignées issues du magma. Il faut noter les trois périodes de glaciation presque totale de la planète dont il est avancé qu’elles auraient pour la première (glaciation Huronienne) favorisé l’apparition des eucaryotes et donc l’augmentation du taux d’oxygène atmosphérique et pour les deux suivantes (Sturtian et Marinoan) contribué à l’explosion du monde vivant complexe au Cambrien. Comme la disposition des terres émergées n’est pas connue avec précision au cours de ces périodes de glaciation intense il y a tout lieu de penser que les continents n’ont pas tous été recouverts de glace et qu’ainsi la vie a pu poursuivre son évolution …

Source : Science : DOI: 10.1126/science.1258410

http://en.wikipedia.org/wiki/Geologic_time_scale#Terminology