L’apparition de la vie sur Terre : l’autre hypothèse

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L’hypothèse évoquée dans un précédent billet appelée « panspermie » par les spécialistes exclut cependant qu’une forme de vie ait pu provenir d’une étoile éloignée du système solaire compte tenu des distances considérables séparant les étoiles les unes des autres dans cette région de la Galaxie où se trouve le Soleil. L’étoile Proxima Centauri se trouve à près de 42000 milliards de kilomètres du Soleil. La recherche très active de planètes dites « habitables » dans notre « région galactique » n’existe donc que pour satisfaire la curiosité des scientifiques et il est hautement improbable que l’humanité puisse établir, un jour, un contact avec d’autres créatures intelligentes extra-terrestres, ce qui ne signifie pas que la vie n’existe que sur la Terre.

L’autre hypothèse relative à l’apparition de la vie sur la Terre fait état d’un phénomène cataclysmique ayant eu lieu sur la Terre il y a 4,47 milliards d’années soit à peine plus de 60 millions d’années après que l’accrétion de divers débris ait eu pour résultat une boule de taille déjà confortable qui serait entrée en collision avec un objet de la taille de la Lune riche en fer et ayant créé par son impact la rotation de la Terre sur elle-même. Au sein de cette hypothèse il fallait qu’il existe déjà de l’eau sur la Terre car elle repose sur le fait que l’espèce de pluie de particules solides riches en fer qui dura peut-être des milliers d’années dissocia une partie de l’eau présente sur Terre pour former des dépôts bruns riches en oxydes de fer présents sur la presque totalité de la croute terrestre encore aujourd’hui. L’atmosphère devint alors réductrice au sens chimique du terme en raison de la présence d’hydrogène générée par la dissociation de l’eau par la pluie de particules de fer à haute température.

Selon ce scénario les conditions favorables à l’apparition de la vie auraient été réunies. De simples molécules organiques auraient conduit progressivement à des molécules plus complexes :

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L’idée que l’ARN fut la première structure chimique ayant favorisé la complexification de la chimie prébiotique provient de la découverte récente de propriétés catalytiques de certains petits ARNs. Dans la cellule vivante « moderne » l’ADN, les ARNs et les protéines jouent un rôle vital. L’ADN est le support de l’information, les ARNs transmettent cette information à la cellule et les protéines constituent la force de travail cellulaire. La production de chacun de ces trois éléments nécessite la participation des deux autres. Il paraît peu probable que ces trois éléments essentiels à la vie aient pu apparaître simultanément et il semble plausible que les candidats les plus anciens dans ce processus d’apparition de la vie soient les ARNs car ils peuvent à la fois stocker des informations et catalyser des réactions chimiques comme cela a d’ailleurs été découvert récemment dans les cellules modernes. À l’aide d’oxydes métalliques tels que le bore le formaldéhyde et le glycolaldéhyde se condensent pour former du ribose et les bases puriques et pyrimidiques se forment dans des conditions favorables comme les bords des sources d’eau chaude en présence de sels de nickel à partir de « prébiotiques » simples. On ne connaîtra jamais en détail la séquence d’apparition de ces diverses molécules organiques complexes : les protéines d’abord et les ARNs ensuite ou l’inverse.

Des observations récentes indiquent que les zones favorables à la formation de « soupe primordiale » étaient soumises à des cycles de pluies et de sécheresse et que l’activité volcanique probablement beaucoup plus intense qu’aujourd’hui répandait des quantités considérables d’oxydes de soufre qui combiné au formaldéhyde qui se forme spontanément à partir d’eau et de méthane sous rayonnement UV aurait conduit à des accumulations d’hydroxymethanesulfonate et dans des conditions hygrométriques favorables ce composé aurait alors permis l’apparition de glycolaldéhyde et aussi de glycéraldéhyde. Et pour les groupements phosphate ils étaient probablement aussi présents dans une Terre suffisamment refroidie pour que de l’eau liquide soit présente. Ce dernier point a été confirmé en analysant des inclusions de zircon dans les roches les plus anciennes de la planète situées dans les Jackson’s Hills en Australie (illustration).

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Tous les éléments étant réunis pour que des petits ARNs apparaissent, bien entendu dans des conditions favorables, le processus s’est alors accéléré. Le comportement des micro brins d’ARN a été étudié ces dernières années et presque magiquement ces brins de quelques bases arrivent à fusionner spontanément pour former des brins plus longs. L’un des spécialistes de ce genre d’étude, le Docteur Niles Lehman de la Portland State University, a déclaré : « si vous me donnez un brin d’ARN de 8 bases je vous donnerai la vie ! » En effet la présence d’amino-acides formés spontanément en présence de décharges électriques, par exemple au cours d’un orage, peut alors conduire grâce aux propriétés catalytiques de ces brins d’ARNs à des enchainements d’amino-acides et donc la formation de peptides.

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La confirmation des propriétés catalytiques des ARNs a été indirectement confirmée en étudiant la présence d’un ARN particulier au sein de la structure extrêmement complexe des ribosomes, ces énormes machines à synthétiser des protéines. Cet ARN est remarquablement conservé depuis l’apparition des archéobactéries comme celles retrouvées dans les stromatolites (première illustration), les premières formes de vie terrestre. L’hypothèse de l’impact sur la Terre par un objet céleste de la taille de la Lune a aussi été confirmée par les géologues qui se sont toujours demandé pourquoi la présence de platine était anormalement élevée dans la croute terrestre alors que ce métal aurait normalement plongé dans les profondeurs du magma liquide de la Terre au tout début de sa formation en raison de sa densité. Cette anomalie peut parfaitement s’expliquer en prenant en considération un tel impact. La « finalisation » de la Terre est donc intimement liée à l’apparition de la vie : il y a 4,53 milliards d’année, date de naissance de la Terre, il y a 4,51 milliards d’années, date de naissance de la Lune et il y a 4,47 milliards d’années, date de l’impact qui provoqua ensuite l’apparition de la vie en favorisant un environnement atmosphérique réducteur (au sens chimique du terme) et enfin apparition des premières formes de vie à peine plus de 500 millions d’années plus tard.

Source et illustrations, doi : 10.1126/science.aaw6068

L’apparition de la vie sur Terre : La grande question

J’ai été vraiment impressionné par les divers voyages de sondes interplanétaires visant à explorer cet espace très restreint, somme toute, qui entoure le Soleil. Le petit instrument qui a atteint – quelle prouesse technologique car il fallait qu’il soit encore capable d’envoyer des signaux – les confins de ce que les astronomes appellent la ceinture de Kuiper, n’est en réalité qu’un épiphénomène. Bien au delà en effet existe, les astronomes le suspectent, une zone entourant le Soleil et se déplaçant avec lui dans l’espace intersidéral appelé le nuage de Oort où se trouveraient encore plus de cailloux que dans cette ceinture de Kuiper dans laquelle l’ancienne planète Pluton a été relégué au rang de simple gros astéroïde. Il y a eu aussi la sonde « Rozetta » qui n’a pas vraiment apporté de nouvelles informations. Tous ces objets gravitant autour du Soleil sont des cailloux agglomérés avec des poussières et parfois de l’eau et ils voguent dans l’espace entourant le Soleil depuis 4,568 milliards d’années, l’âge officiel du système solaire.

Comme les astronomes considèrent que l’âge de l’univers est de près de 14 milliards d’années que s’est-il donc passé à notre niveau régional, si on peut parler ainsi, durant les 9,5 milliards d’années précédant l’apparition du Soleil ?

Notre Soleil, notre astre de vie, est complètement isolé dans l’espace puisqu’il faut à la lumière émise par l’étoile la plus proche, Proxima Centauri, 4 ans pour nous atteindre, en d’autres termes le Soleil est totalement seul dans le vide galactique. Or il est entouré de cailloux de tailles diverses et de planètes dont la grande majorité est constituée de gaz, Jupiter, Uranus, Saturne et Neptune, les autres, insignifiantes de par leur taille étant de vulgaires petits agglomérats ronds – c’est le résultat de la loi de la gravitation – dont la Terre.

D’où provient donc toute cette matière qui contient les 92 éléments du tableau périodique des éléments bien connu ? La seule explication qu’ont trouvé les astrophysiciens est que le Soleil est un reste de l’explosion d’une étoile plus grosse, ils disent « une nova », qui aurait eu lieu par le passé et en 9,5 milliards d’années précédant cette explosion il s’en est passé des choses ! Il est difficile d’imaginer que ces rochers trouvés dans la ceinture d’astéroïdes au delà de l’orbite de Mars et ceux de la ceinture de Kuiper proviennent directement de l’étoile, ancêtre du Soleil, qui explosa. N’importe quel enfant de dix ans pourrait imaginer que cette matière solide provient des restes de planètes rocheuses, on dit telluriques, et ressemblant par exemple à la Terre ou à Mars soufflées lors de cette explosion cataclysmique. Toute cette matière se serait alors en partie à nouveau agglomérée pour former de nouvelles planètes. Et si avant l’explosion de l’ancêtre du Soleil il y avait eu une planète habitable où la vie était apparue alors la vie sur Terre telle que nous la connaissons ne serait qu’un « reste » de cette vie qui aurait existé bien avant que le Soleil et son système planétaire ne se reforme.

Cette divagation toute personnelle exclut que l’Univers soit issu d’un « big-bang » primordial. Je ne crois pas trop à cette théorie depuis que j’ai questionné cet astrophysicien rencontré lors d’un colloque pluridisciplinaire dans la région lyonnaise il y a près de 50 ans. Quand je lui ai demandé où se trouvaient aujourd’hui les galaxies dont la lumière, pour nous parvenir a voyagé dans l’espace pendant 12 milliards d’années il n’a pas su me répondre. J’en avais conclu qu’il ne croyait pas lui-même à cette théorie du big-bang qui stipule que l’Univers est en expansion depuis un point « zéro ».

Cette étoile ancêtre du Soleil devait donc exister depuis longtemps pour qu’elle arrive en fin de vie et explose. Un jour aussi le Soleil arrivera en fin de vie et il se transformera en étoile sombre et froide, alors il contribuera à sa manière à la matière noire invisible qui constitue la majorité de la masse de l’Univers. Un beau sujet de réflexion même si j’ai écrit de grosses bêtises car je ne suis nullement un astrophysicien …

Suite dans un prochain billet où il sera question d’une autre hypothèse d’apparition de la vie sur la Terre.

La vie sur la Terre est apparue un demi-milliard d’années plus tôt qu’on ne le croyait

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Le scoop scientifique de cette fin d’année 2017 qui a fait la une de nombreux journaux a été l’affirmation, preuves à l’appui, que la vie sur Terre était déjà complexe et organisée il y a 3,5 milliards d’années et pour atteindre un tel degré de sophistication – certes il ne s’agissait que de bactéries – la vie existait déjà bien avant, au moins depuis 500 millions d’années. La saga scientifique qui a permis d’arriver à cette affirmation a commencé il y a plus d’une trentaine d’années quand des géologues prospecteurs de ressources naturelles pour les grandes compagnies minières se sont trouvés confrontés à un type de roches qu’ils n’avaient jamais vu auparavant quand ils se sont promené dans le Nord-Ouest de l’Australie dans la région du Pilbara, une étendue semi-désertique de la taille de la France qui renferme la plus grande réserve de minerai de fer du monde mais pas seulement car il y a aussi du lithium et plein d’autres bonnes choses. Ces géologues prospecteurs ont découvert un craton, une roche ressemblant à ce que l’on trouve aujourd’hui autour des concrétions hydrothermales dans le fond des océans qui a été analysée par la suite et datée d’environ 3,45 milliards d’années. Il s’agit donc de la formation géologique la plus ancienne connue sur la Terre.

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En observant soigneusement au microscope des échantillons de ces roches uniques au monde qui dormaient dans un laboratoire de l’Université du Wisconsin à Madison depuis 1982 quelque chose de totalement inhabituel attira l’attention de quelques scientifiques géophysiciens de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) : la présence de micro-filaments sombres noyés dans une matrice minérale très compacte. Sous la direction du Docteur William Schopf ils se mirent donc au travail pour en savoir plus.

La première hypothèse qui s’avéra par la suite la bonne fut qu’il s’agissait d’inclusions carbonées dans cette roche que les savants appellent une roche kérogène (du grec keros, κεροσ, qui signifie carbone ou charbon). Pour le prouver il fallut faire appel à une technique analytique dite SIMS ou spectrographie de masse d’ions secondaires consistant, brièvement, à bombarder la cible à analyser à l’aide d’un flux d’ions césium et ensuite accélérer les atomes détachés de l’échantillon pour en déterminer la distribution par rapport à leur masse. Comme il est possible de s’en rendre compte en examinant un cliché des échantillons de roche il a fallu isoler par sciage puis micro-polissage des éléments « sombres » de ces inclusions ressemblant sous un microscope à des petits filaments. La préparation des échantillons fut au coeur même de ce travail remarquable afin de lever toute ambiguité quand à l’origine et à la composition en carbone de ces derniers. Car c’est là que résidait la preuve ultime de l’existence de bactéries fossiles.

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Pour être certain que des inclusions « noires » dans une roche contiennent du carbone et sont le résultat d’une activité biologique, en l’occurence bactérienne, il n’y a qu’un moyen infaillible qui consiste à mesurer aussi précisément que possible la teneur en isotopes 12 et 13 de cet élément. Et seule la spectrographie de masse à haute sensibilité permet d’obtenir un tel résultat. Dans le cas des roches australiennes étudiées il y avait bien ces inclusions ressemblant à des enchainements de bactéries filamenteuses comme on en trouve aujourd’hui dans les dépôts autour des évents volcaniques sous-marins ou encore autour des sources chaudes du parc national de Yellowstone aux Etats-Unis mais un examen microscopique ne suffisait pas. Après avoir préparé plus d’une vingtaine d’échantillons microscopiques polis à la manière du plus expérimenté diamantaire ce fut le jack-pot scientifique. Onze échantillons conduisirent sans équivoque à l’origine bactérienne des inclusions carbonées. Et parmi celles-ci, en regard des « delta C 13 » ou « signatures isotopiques » obtenus il s’agissait de 5 populations de bactéries différentes, les unes photosynthétiques rudimentaires, les autres se « nourrissant » de méthane et enfin d’autres bactéries produisant elles-mêmes du méthane. Chacunes de ces « taxa » de bactéries qui existent toujours ont en effet des signatures isotopiques différentes en raison de leurs métabolismes qui ne sont pas les mêmes. Plus extraordinaire encore ces populations semblaient coexister ce qui tendrait à prouver que la vie est apparue sur la Terre bien avant ces 3,45 milliards d’années, l’âge de ce craton. Selon les auteurs de l’étude au moins 500 millions d’années ont été nécessaires pour atteindre un tel degré d’évolution.

Ces travaux ont naturellement fait l’objet de critiques parfois acerbes d’autres équipes de spécialistes, c’est de bonne guerre en science. Les uns déploraient la pauvreté du nombre d’échantillons, les autres incriminaient la préparation même de ces échantillons. La critique est facile surtout quand on n’a pas effectué un tel travail innovant soi-même.

Bref, l’âge de la vie sur Terre a été reculé d’un demi-milliard d’années et ces roches uniques au monde se sont très probablement formées dans des environnement aqueux chauds, des milieux propices à l’apparition de la vie (voir un précédent billet sur ce blog) et nous descendons tous de ces organismes bactériens primitifs …

Source : PNAS, doi : 10.1073/pnas.1718063115 aimablement communiqué par le Docteur William Schopf qui est vivement remercié ici.

Revoir aussi sur ce blog : https://jacqueshenry.wordpress.com/2017/11/23/lapparition-de-la-vie-sur-terre-une-etape-decisive-franchie/

Et aussi : https://en.wikipedia.org/wiki/Δ13C Illustration en tête de billet : jasperite de la région de Pilbara (Wikipedia)

L’apparition de la vie sur Terre : une étape décisive franchie

Croire béatement en une intervention divine expliquant l’origine de la vie sur la Terre est une illusion et une attitude totalement anti-scientifique. Il y a des millions de milliards d’étoiles dans « notre » galaxie et il est tout aussi illusoire de considérer que la vie sur la Terre est un fait unique dans l’Univers. Tout l’univers est constitué des mêmes éléments chimiques que ceux retrouvés sur la Terre et il n’y a aucune raison pour que nous vivions sur une planète plus favorisée qu’une autre pour que les conditions favorisant l’apparition de la vie y aient été plus propices. Il y a eu la théorie de la génération spontanée démontée admirablement par Pasteur sur laquelle des générations de penseurs et de théologiens se sont raccrochés pour conforter leurs thèses relatives à une origine divine de la vie. Le vaste domaine de la chimie prébiotique va peut-être dans quelques années mettre aussi à mal cette idée insupportable pour un scientifique d’une origine divine de la vie.

La chimie prébiotique, c’est-à-dire pour simplifier l’étude de l’hypothèse de l’apparition de la vie dans les conditions qui prévalaient sur la Terre il y a 3 à 4 milliards d’années, reste toujours un domaine qui préoccupe les scientifiques. En effet arriver à expliquer par quel processus la vie est apparue sur la Terre mérite l’attention des chimistes, des biochimistes et des biophysiciens mais aussi des géologues et de leurs collègues géophysiciens. Pour imaginer une approche expérimentale à ce problème qui apporterait bien des réponses aux questions existentielles que l’on peut se poser il faut d’abord considérer quelle était la composition de l’atmosphère terrestre en ces temps reculés avant l’apparition de la vie. L’une des premières approches choisies fut la fameuse expérience de Stanley Miller (illustration, Wikipedia) réalisée en 1952. Elle consista à soumettre un mélange d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène à des décharges électriques et d’observer ce qui se passait au bout d’un certain nombre de jours, de semaines ou de mois. Les moyens d’investigation analytique étaient à l’époque rudimentaires et les petits tubes scellés laissés par Miller furent analysés à nouveau par un de ses étudiants après sa mort en 2007. Il apparut que la reconstitution de cette « soupe primordiale » propice à l’apparition de la vie comme l’avait imaginée Charles Darwin sous forme d’un marais chaud avait été un franc succès.

Aujourd’hui encore, en particulier à l’institut de recherche Scripps de La Jolla près de San Diego, tenter d’expliquer l’apparition de la vie reste la préoccupation majeure d’une équipe de chimistes qui ont en quelque sorte repris les expériences de Miller en les étendant à d’autres conditions comme par exemple la présence de sels minéraux, d’acide cyanhydrique et quelques autres éléments pouvant entrer dans la composition de l’atmosphère primitive de la Terre, composés qui sont présents dans l’univers. Il restait cependant un très gros problème à résoudre. Compte tenu du fait que tous les êtres vivants, depuis les bactéries jusqu’aux vertébrés en passant par le phytoplancton, nécessitent la présence de phosphore sous forme de phosphate, comment un tel éléments chimique a-t-il bien pu apparaître dans des composés relativement simples qui ont pu éventuellement évoluer vers des structures complexes résultant de processus d’auto-assemblage ? Dans de nombreuses voies de synthèse biologique le phosphate est d’une importance incontournable et il en est de même pour l’énergie des cellules vivantes avec notamment l’ATP (adénosine triphosphate) et la phosphocréatine dans les cellules musculaires. Ce dernier composé d’une extrême importance biologique contient d’ailleurs une liaison phosphore-azote. Ajouter du phosphate et une pincée de métaux comme du zinc ou encore du fer dans la reconstitution de la « soupe primordiale » ne permet pas de voir apparaître au cours du temps, parfois des semaines dans une épaisse solution dans l’eau de ces ingrédients, un quelconque métabolite phosphaté ou, comme disent les spécialistes, phosphorylé.

C’est après un long cheminement que l’équipe du Docteur Ramanarayanan Krishnamurty de l’Institut Scripps a enfin découvert le chainon manquant qui permet d’obtenir toutes sortes de molécules biologiques d’importance contenant dans leur structure un groupement phosphate. Il s’agit d’un composé pouvant apparaître lorsque du cyclotriphosphate, appelé aussi métatriphosphate, se trouve en présence d’ammoniaque dans un milieu aqueux et ce n’est pas fortuit car dans certains environnements géologiques particuliers comme les sources chaudes d’origine volcanique la présence d’un tel processus chimique a été démontrée. Ce « chainon manquant » est le diamidophosphate (DAP, illustration Scripps).

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Sachant maintenant avec certitude que l’expérience de Miller reprise et améliorée par la suite dans plusieurs laboratoires de recherche prébiotique permet l’apparition de la plupart des molécules d’importance biologique comme des sucres, des acides gras, pratiquement tous les amino-acides ainsi que les bases puriques et pyrimidiques qu’on retrouve dans l’ADN et l’ARN, du DAP a été mis en présence de tous ces métabolites. Avec une surprise indicible l’équipe de Ram Krishnamurty a constaté par analyse fine l’apparition de petits peptides, de brins d’acides nucléiques ou encore de phospholipides. Ces derniers, constituants fondamentaux des membranes cellulaires, forment spontanément des vésicules au cours de cette « incubation » parfois longue des ingrédients de la « soupe primordiale » comme s’il s’agissait de proto-cellules vivantes :

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Avec cette ébauche de vivant le temps a ensuite fait son travail et il y a peut-être trois milliards d’années, alors que la Terre était soumise à une intense activité volcanique et encore bombardée par des météorites, évènements favorisants l’apparition de ces constituants de la vie et du DAP qui pouvait se former dans un tel environnement et en présence d’eau, les premières cellules vivantes primitives se sont organisées et ont lentement évolué pour devenir celles que nous connaissons aujourd’hui. Comme tous les constituants du « vivant » se retrouvent dans l’Univers et par conséquent également sur la Terre et n’importe quelle autre planète gravitant autour de n’importe quelle étoile, la vie est très probablement apparue avec ces mêmes « briques » biologiques qui apparaissent lorsque ces conditions « primordiales » sont réunies. Contrairement à ce qu’affirmait Aristote le facteur temps a joué un rôle incontournable et ce temps a réconcilié en quelque sorte les deux facteurs nécessaires à l’apparition de la vie si chers à Jacques Monod, le hasard et la nécessité. Pour paraphraser Monod, le hasard a fait apparaître les éléments constitutifs du vivant qui se sont organisés avec le temps d’une façon telle qu’elle semble une nécessité pour l’apparition de la vie.

Sources : Scripps News Release du 6 novembre 2017 et aussi : Nature (doi : 10.1038/nchem.2878), article aimablement communiqué par le Docteur Ram Krishnamurty qui est très vivement remercié ici. Illustrations : Scripps Institute et Wikipedia

Sommes-nous tous des extraterrestres ? Peut-être …

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Il s’agit d’une réflexion vers laquelle je suis souvent revenu personnellement depuis ces longues conversation inoubliables avec Francis Crick (Prix Nobel de Médecine 1962) qui pensait que la panspermie (voir note en fin de billet) devait être une hypothèse à ne pas écarter dans le cadre d’une approche globale de la biologie avec pour principale préoccupation l’explication de l’apparition de la vie. En effet, si on observe non pas l’Univers mais simplement notre petite planète bleue, la seule explication plausible à la présence d’éléments chimiques « lourds » comme le silicium ou encore le fer et jusqu’à l’uranium sur la Terre est que le système solaire est le résultat de l’explosion d’une super-nova c’est-à-dire une étoile qui existait avant le Soleil et dont ce dernier n’est qu’un vestige entouré de matière disparate constituée de quelques concrétions significatives comme les planètes et d’une nuée de « poussières » constituant la ceinture de Kuiper et le nuage de Oort qui s’étend jusqu’à presque la moitié de la distance séparant le Soleil de son plus proche voisin, Alpha du Centaure.

Puisque l’Univers date de 13 milliards d’années selon la théorie du Big-Bang et que le système solaire ne date « que » de 5 milliards d’années environ, en 8 milliards d’années il a pu se passer bien des choses autour de l’étoile qui finit par exploser en emportant tout sur le passage de l’onde de choc provoquée par cette explosion et en donnant naissance au système solaire. En écrivant ce texte, je suis assis sur un balcon orienté plein sud et je vois Sirius, la deuxième étoile la plus proche du Soleil après Alpha du Centaure, s’élever lentement à l’est. Entre ces trois étoiles, le vide, rien que le vide et un intense trafic de particules venues de nulle part et allant également nulle part.

Rien ne permet d’exclure que l’étoile qui donna naissance au système solaire en explosant n’ait pas aussi été entourée d’une ou plusieurs planètes favorables à l’apparition de la vie, en 8 milliards d’années il s’est en effet passé beaucoup de choses, je le répète, et comme la vie telle que nous la connaissons sur notre planète Terre repose sur un pilier incontournable, à notre échelle et selon nos observations, la présence d’acides nucléique, ADN ou ARN, le support génétique de la vie, comment ne pas exclure sinon prouver que l’ADN de formes de vie précédant la vie sur la Terre depuis plusieurs milliards d’années ait pu être capable d’ensemencer notre planète pour qu’une nouvelle vie y apparaisse ? Parce qu’après tout quand cette étoile explosa et volatilisa ses planètes éventuellement porteuses de vie, rien ne prouve que des fragments de ces dernières n’aient pas été soufflés par l’explosion en emportant avec eux des traces de vie.

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Cette hypothèse de la panspermie n’est pas du tout invraisemblable. Cependant l’ADN n’est pas une molécule très résistante aux conditions extrêmes de températures et de radiations mais on peut imaginer que la vie sur Terre ait « réapparu » en un peu plus d’un milliard d’années à partir de fragments d’ADN ayant échappé à l’anéantissement et se retrouvant sur la Terre dans la « bouillie primordiale » (expérience de Miller-Urey, 1952) pour catalyser une nouvelle apparition de la vie. L’une des missions de la sonde Rosetta n’est-elle pas de tenter de retrouver des molécules chimiques complexes dont la structure ne peut pas être expliquée autrement que comme les restes de formes de vie. Par exemple on trouve dans le pétrole des hydrocarbures cycliques complexes qui proviennent des pigments impliqués dans la photosynthèse. L’ensemencement de la Terre par de l’ADN aurait donc pu subvenir par les retombées de fragments solides après que notre planète se fut suffisamment refroidie pour devenir compatible avec la vie, soit un bon milliard d’années après la constitution du système solaire sur les restes de l’explosion de la supernova ancestrale. Encore fallait-il que cet ADN ait résisté à ces évènements extrêmes …

C’est de manière tout à fait inattendue qu’une équipe de chercheurs de l’Université de Zürich, en collaboration avec diverses équipes universitaires allemandes a apporté une petite vraisemblance à la panspermie dont était adepte Francis Crick et dont je viens de décrire le processus qui est d’ailleurs valable aussi pour la planète Mars. Il s’est agi de profiter de fusées-sondes encore utilisées pour de nombreuses études de la haute atmosphère jusqu’à des altitudes de 250 kilomètres. Lors de l’ascension et de la retombée vers le sol, le bouclier protégeant les instruments de mesure embarqués s’échauffe par friction avec les gaz constituant l’atmosphère, un genre de simulation de l’entrée dans les hautes couches de l’atmosphère des météorites, à la seule différence près que la vitesse d’entrée des météorites est de l’ordre de 20 km par seconde alors qu’une fusée sonde atteint au mieux une vitesse de l’ordre de 1 km par seconde mais l’expérience de résistance de l’ADN dans ces conditions valait tout de même le coup d’être tentée. À divers endroits de l’ogive de protection de la fusée de l’ADN a été badigeonné et après récupération de la fusée, cet ADN a été soigneusement prélevé et analysé. Il s’agissait d’un petit morceau d’ADN circulaire appelé dans le jargon scientifique un plasmide codant pour deux informations facilement détectables expérimentalement, une résistance à la kanamycine, un antibiotique communément trouvé dans le sol, donc en fait le gène de l’enzyme capable de détruire la kanamycine, et le gène d’une protéine fluorescente. Le plasmide présentant la propriété de pouvoir pénétrer à l’intérieur d’une cellule vivante, le test d’intégrité de l’ADN après sa promenade dans les hautes couches de l’atmosphère et son retour vers le sol fut donc facilement obtenu.

Cette expérience assez simple décrite dans PlosOne en libre accès ( DOI: 10.1371/journal.pone.0112979 ) a montré que l’ADN était remarquablement résistant alors que, dans des conditions similaires, des bactéries sous forme de spores ne résistaient pas à un tel traitement. L’endroit le plus propice pour retrouver jusqu’à 60 % d’ADN fonctionnel était l’anfractuosité des boulons reliant l’ogive de protection au corps de la fusée. Quand on a vu l’aspect de la comète Churyumov-Gerasimenko révélée par la sonde Rosetta, on peut sans hésitation imaginer que de l’ADN provenant de formes vivantes (hypothétiques) ayant existé avant l’explosion de la supernova qui donna naissance au Soleil ait pu subsister dans un recoin de cette comète depuis plus de 5 milliards d’années …

Finalement nous sommes peut-être tous des descendants d’ extraterrestres n’en déplaise aux créationistes.

Note : La panspermie est une hypothèse proposant que des formes de vie microscopiques peuvent survivre à l’intérieur de débris éjectés dans l’espace après un événement cataclysmique. Lorsque ces débris retombent sur une planète hospitalière alors la vie réapparaît avec le processus d’évolution qui lui est associé (Wikipedia).