Alors que le système hospitalier français est en décrépitude pour diverses raisons, et je n’en citerai que deux, d’une part avec l’invasion d’un secteur administratif qui contrôle la gestion de la tarification à l’acte et alourdit considérablement l’emploi du temps du personnel strictement hospitalier. Dans un hôpital de taille normale un secrétariat d’une vingtaine de personnes suffit pour une gestion optimale de deux cent lits et mille personnels. Le système administratif mis en place par le Ministère a créé une sorte de monstre : pour ce même hôpital il y a maintenant 300 parasites qu’il faut rémunérer au même titre que le personnel médical. L’informatisation de l’ensemble des fonctions administratives devrait au contraire autoriser la réduction du nombre de personnels administratifs. La deuxième raison est le niveau salarial de misère de la majorité des personnels médicaux, depuis les aide-soignants et les infirmiers jusqu’aux médecins spécialisés. Par voie de conséquence il y a de moins en moins de candidats aux professions médicales, le numerus clausus de la formation de médecins ayant provoqué une désertification progressive de cette profession.
L’apparition de tout un éventail de nouvelles technologies de diagnostic et de traitement oblige parfois les hôpitaux à se spécialiser et l’un des exemples illustrant les contraintes nouvelles apparues avec ces nouvelles technologies est la médecine dite “nucléaire”. Qu’est-ce que la médecine nucléaire ? Dans un sens global il l’agit d’utiliser un radio-isotope artificiel utilisable pour le diagnostic et pour certains traitements. L’exemple du technétium-99 résume la problématique rencontrée en médecine nucléaire car c’est le produit radioactif le plus utilisé en médecine nucléaire. Un revue des autres radio-isotopes sera exposé dans la seconde partie de ce billet. Le technétium-99 est utilisé comme outil de diagnostic chez 20 millions de personnes dans le monde chaque année. Il permet de réaliser des diagnostics par imagerie gamma du cerveau, de la thyroïde, des poumons, du foie, de la vessie, des reins ou du squelette pour la détection et la localisation de tumeurs ou des problèmes circulatoires. La production de ce radio-isotope est problématique en raison de sa durée de demi-vie et des techniques d’extraction utilisées. Le technétium-99 est produit dans les réacteurs nucléaires de recherche à partir du molybdène-99, un produit de fission de l’uranium-235. Il est nécessaire d’utiliser de l’uranium enrichi en isotope 235 pour obtenir cet isotope du molybdène. Le noyau de ce molybdène se réarrange spontanément pour former le technétium-99. La demi-vie du Mo-99 est de 66 heures et celle du Tc-99 est de 6 heures. Avant d’utiliser le Tc-99 pour injection intra-veineuse en vue d’un diagnostic il faut le séparer du Mo-99, le radio-isotope parent, et cette opération est effectuée à l’hôpital par une chromatographie sur échangeur d’ions. L’hôpital doit être spécialement équipé car le Mo-99 comme le Tc-99 sont des émetteurs de rayons gamma. Il existe à Saclay deux réacteurs de recherche, Osiris et Orphée, susceptibles de produire du Mo-99. Cependant sur le même site du CEA à Saclay (Commissariat à l’Energie Atomique) il existe aussi l’accélérateur linéaire de particules, le LAL, et le synchro-cyclotron SOLEIL. On en vient donc à la deuxième méthode d’obtention du Mo-99 mais surtout de Tc-99. Ce dernier apparaît en bombardant avec des neutrons émis tangentiellement par le cyclotron, appelés improprement “radiation de synchrotron” avec également des rayons X, une cible de Mo-100 ultrapure. Le molybdène-100, faiblement radioactif, représente près de 10 % du molybdène naturel et doit être séparé jusqu’à un degré de pureté poussé pour obtenir le Tc-99 sans production parasite de technétium-99 “g” qui se transforme rapidement en ruthénium et empoisonne la cible de Mo-100. Un réglage fin de l’énergie des neutrons utilisés est donc nécessaire.
Le nouvel hôpital en construction sur le plateau de Saclay disposera donc sur le site d’une source d’approvisionnement en Tc-99 et c’est l’une des importantes raisons pour lesquelles le site de Saclay a été choisi. Outre le Tc-99 les infrastructures existantes du CEA sont à même de produire une série d’autres radio-isotopes utilisés tant pour le diagnostic que pour le traitement de cancers. La liste non exhaustive de ces radio-isotopes est la suivante et mes lecteurs comprendront l’importance méconnue de la médecine nucléaire. L’usage externe de rayons gamma dont la source la plus fréquente est du cobalt-60 et éventuellement du césium-135 est communément utilisée pour traiter certaines tumeurs et pour obtenir une aplasie médullaire avant une greffe de moelle et dans ce dernier cas l’irradiation peut être massive et à des doses proches de la dose mortelle. Enfin toujours dans le but de traiter certaines tumeurs localisées, l’implantation temporaire d’isotope radioactifs sous forme de filaments (cobalt-60, iridium-192, palladium-103) pendant quelques minutes ou quelques heures est pratiquée directement au niveau de la tumeur. Dans le cas de la thyroïde l’iode se fixe préférentiellement sur cette glande et les tumeurs sont traitées par injection d’iode-131 sous forme de iodure. Le strontium-89, le samarium-153 et plus récemment le rhénium-186 sont utilisés pour réduire les douleurs provoquées par les tumeurs osseuses lorsque ces douleurs ne peuvent plus être atténuées par les dérivés morphiniques. Enfin récemment l’utilisation d’anticorps monoclonaux marqués avec du bismuth-213 ou du plombe-212 ont été utilisés expérimentalement pour tenter de traiter les métastases multiples d’une tumeur cancéreuse utilisée auparavant pour obtenir ces anticorps monoclonaux. Ce type d’approche encore au stade expérimental est utilisé dans le cas de certaines leucémies et des mélanomes. Il s’agit alors de mettre en œuvre le rayonnement alpha émis par ces radio-isotopes. Le gadolinium-157 est enfin utilisé comme émetteur de neutrons en combinaison avec du bore injecté par voie intraveineuse qui capte les neutrons après fixation préférentielle du gadolinium radioactif dans le tissu cancéreux. À ne pas confondre avec le gadolinium stable utilisé comme agent contrastant dans l’imagerie par résonance magnétique nucléaire, le terme nucléaire ne mettant pas en œuvre de radioactivité. Tous ces traitements utilisent des doses variables allant de 20 à 60 grays à l’exclusion des traitements faisant appel à l’iode-131 pour traiter les tumeurs cancéreuses de la thyroïde car dans ce dernier cas les doses utilisées étant (rayons gamma) massives pouvant atteindre 1,2 gigaBecquerels. Les locaux hospitaliers doivent être spécialement conçus pour que le personnel ne soit pas irradié par le rayonnement gamma alors que ce radio-isotope émet également des électrons très énergétiques (rayonnement beta moins). Compte tenu de la période de demi-vie de l’iode-131 de 6 jours le patient reste confiné jusqu’à ne plus émettre que 1,2 Gbq ou 0,07 mSV/heure à une distance de 1 mètres. Certaines approches de radiothérapie spécifiques sont en cours de développement et utilisent du phosphore-32 pour le traitement de la polycythémie, une maladie rare caractérisée par une production anarchique d’hématies. D’autres approches sont en cours d’étude et elles utilisent toutes de radio-isotopes à courte durée de vie comme par exemple l’actinium-225, émetteur de rayons alpha avec une demi-vie de 10 jours et obtenu par désintégration du thorium-225 lui-même issu de l’uranium-233.
Tous ces radio-isotopes sont produits dans des réacteurs d’étude et leur purification et leur formulation se trouvent donc en amont de la médecine nucléaire. On comprend dès lors l’importance de la place que la radioactivité a pris dans le domaine médical, un aspect trop souvent oublié par le grand public malgré le fait qu’un jour ou l’autre il puisse, en tant que patient, être confronté à un traitement spécifique dans un service hospitalier de médecine nucléaire. La médecine nucléaire sauve des vies, faut-il le rappeler.
Les autres utilisations de la radioactivité sont courantes et industrielles dans le domaine de la stérilisation à l’aide de rayons gamma dont la source universelle est le cobalt-60. Dans le domaine de l’imagerie médicale par émission de positrons le désoxyglucose marqué avec du fluor-18 est l’une des approches les plus courantes. Le fluor-18 est un émetteur de rayons beta plus, c’est-à-dire de noyaux d’hydrogène. La rencontre avec un électron provoque leur annihilation avec émission de deux photons gamma qui sont alors détectés par des caméras permettant d’obtenir une image tridimensionnelle. Cette technique est utilisée pour étudier les fonctions du cerveau et également pour détecter et localiser certaines tumeurs cancéreuses. Le fluor-18 est produit à cet effet en soumettant de l’eau enrichie en oxygène-18 à un flux de protons de haute énergie à l’aide d’un accélérateur linéaire de particules, il en existe un sur le plateau de Saclay, et la proximité du site de production de ce radio-isotope est critique puisque la période de demi-vie du fluor-18 n’est que de une heure quarante minutes. L’eau ainsi soumise à ce flux de protons (H+) se transforme en avide fluorhydrique directement utilisée pour synthétiser le fluoro-désoxyglucose.
Enfin, pour conclure ce billet, les radio-isotopes sont d’un usage courant dans la recherche biologique. J’ai moi-même utilisé au cours de ma carrière du tritium, du carbone-14, du phosphore-32, du fer-59 et de l’iode-125. Pour l’anecdote je me suis trouvé contaminé involontairement avec ce dernier radio-isotope (demi-vie 60 jours) à deux reprises en l’utilisant pour effectuer des radio-immuno-essais. Le technicien qui contrôlait le personnel de l’institut de recherche situé en Californie du Sud m’a préconisé une cure d’ormeaux puisqu’il savait que mon technicien passait beaucoup plus de son temps qu’au laboratoire à s’occuper de son élevage d’abalones dans la baie de La Jolla ! Source partielle World Nuclear Association et Wikipedia en anglais.
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Aucune medecine ne sauve de vie..elles ne font que prolonger dans de plus ou moins bonne condition
Oui car à un certain âge l’espérance de vie devient nulle. Dépendant je peux citer un exemple dans ma famille : l’un de ses membres a souffert d’un cancer de la langue. Normalement les chances de survie pour un tel cancer sont inférieures à 5 %. Cette personne a survécu au prix d’horribles souffrance et de séquelles provoquées par l’implantation d’aiguilles d’iridium radioactif directement dans la tumeur car les radiations gamma ont endommagé irréversiblement le maxillaire inférieur. Aujourd’hui, après plus de 20, survit très bien. J’aimerais bien connaître le nombre de personnes a priori condamnées qui ont été sauvées à la suite de radiothérapies.
La médecine n’est pas encore une science exacte, on sait encore trop peu de choses sur le corps humain et sa complexité inouïe. Cela dit, la médecine moderne depuis Pasteur a réussi à sauver des milliards de vies.