La Chine et la Russie accélèrent leur « dédollarisation »

La Chine et la Russie s’orientent progressivement vers un arrangement pour atteindre une dédollarisation de leurs économies depuis que la crise financière mondiale de 2008 a révélé les risques d’une dépendance excessive à l’égard des États-Unis. Cependant, les sanctions économiques américaines contre Moscou et Pékin semblent avoir intensifié la recherche d’alternatives.

Miser sur Washington

L’architecture financière centrée sur l’Amérique est une immense source de pouvoir. La plupart des échanges internationaux sont effectués en dollars américains, le transfert des paiements passe par le système de transaction SWIFT* (voir notes en fin d’article) sur lequel le pays a une immense influence, tandis que le financement provient des banques d’investissement dirigées par les États-Unis, la dette est classée par les agences de notation américaines et même les principales cartes de crédit sont américaines. Ces instruments économiques de pouvoir permettent à Washington de gérer son empire – il peut gérer d’énormes déficits commerciaux, collecter des données sur ses adversaires, accorder un traitement favorable à ses alliés et écraser ses adversaires avec des sanctions.

L’architecture financière centrée sur les États-Unis n’est plus viable. La Maison Blanche a perdu le contrôle de son déséquilibre commercial négatif, la dette devient incontrôlable et l’inflation galopante détruit la monnaie. Pire encore, Washington utilise son architecture financière comme un outil de politique étrangère en imposant des sanctions à ses adversaires. La stratégie de sécurité américaine confirme que la Chine et la Russie sont les deux principaux États dans le collimateur de Washington, ce qui oblige Moscou et Pékin à établir une architecture financière alternative découplée des États-Unis.

Dédollarisation

La dédollarisation, la réduction de la dépendance au dollar américain comme monnaie de réserve et de transaction, est un défi immense car le rôle dominant du dollar américain définit le système financier international depuis plus de 75 ans. Le dollar a maintenu sa position forte pour trois raisons principales : la taille énorme de l’économie américaine, la préservation de la valeur du dollar en maintenant l’inflation à un niveau bas et le marché financier ouvert et liquide. Alors que l’économie américaine est en déclin relatif, l’inflation est incontrôlable et ses marchés financiers sont utilisés comme une arme – les fondements du rôle durable du dollar touchent rapidement à leur fin.

Un partenariat financier entre la Chine et la Russie, premier importateur mondial d’énergie et premier exportateur mondial d’énergie, est un instrument indispensable pour détrôner le pétrodollar. En 2015, environ 90 % des échanges entre la Russie et la Chine étaient réglés en dollars, et en 2020, les échanges libellés en dollars entre les deux géants eurasiens avaient presque diminué de moitié, avec seulement 46 % des échanges en dollars. La Russie a également ouvert la voie en réduisant la part du dollar américain dans ses réserves de change. Les mécanismes de dédollarisation du commerce sino-russe sont également utilisés pour mettre fin à l’utilisation du billet vert avec des tiers, des progrès étant observés dans des pays tels que l’Amérique latine, la Turquie, l’Iran, l’Inde, etc. Les États-Unis ont injecté des dollars. au monde entier pendant des décennies, et à un moment donné, la marée changera à mesure que la mer de dollars rentrera chez elle avec une valeur de plus en plus diminuée.

Opérations financières

Le système SWIFT pour les transactions financières entre les banques du monde entier était auparavant le seul système pour les paiements internationaux. Ce rôle central de SWIFT a commencé à s’éroder lorsque les États-Unis l’ont utilisé comme arme politique. Les Américains ont d’abord expulsé l’Iran et la Corée du Nord, et en 2014, Washington a commencé à menacer d’expulser également la Russie du système. Au cours des dernières semaines, la menace d’utiliser SWIFT comme arme contre la Russie s’est intensifiée.

La Chine a répondu en créant le CIPS** et la Russie a développé le SPFS***, les deux étant des alternatives à SWIFT. Même plusieurs autres pays européens se sont regroupés avec une alternative à SWIFT pour limiter la juridiction extraterritoriale de Washington et ainsi continuer à commercer avec l’Iran. Une nouvelle architecture financière sino-russe devrait intégrer le CIPS et le SPFS, et les rendre plus accessibles aux tiers. Si les États-Unis expulsaient la Russie, le découplage de SWIFT s’intensifierait encore.

Banques de développement

Le FMI, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement, dirigés par les États-Unis, sont des instruments renommés de la politique économique américaine. Le lancement de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) dirigée par la Chine en 2015 est devenu un tournant dans l’architecture financière mondiale, alors que tous les principaux alliés des États-Unis (à l’exception du Japon) se sont engagés au mépris des avertissements américains. La nouvelle banque de développement, anciennement appelée banque de développement des BRICS, était une étape supplémentaire vers le découplage des banques de développement dirigées par les États-Unis. La Banque eurasienne de développement et la future Banque de développement SCO**** sont davantage des clous dans le cercueil des banques de développement contrôlées par les États-Unis.

Effets de synergie

La Chine et la Russie ont également développé leurs propres agences de notation et remplacé la position dominante de Visa et Mastercard dans leurs pays respectifs. Cette nouvelle architecture financière est complétée par un partenariat énergétique et un partenariat technologique, car ni la Chine ni la Russie ne veulent dépendre des industries de haute technologie américaines alors qu’elles entrent dans la quatrième révolution industrielle. En outre, la Chine et la Russie cherchent à éviter les couloirs de transport dominés par les États-Unis. La Chine a investi des milliards de dollars dans son initiative « la Ceinture et la Route » pour de nouveaux corridors terrestres et maritimes, tandis que la Russie a avancé un programme similaire mais plus modeste qui comprend le développement de l’Arctique en tant que route maritime en partenariat avec la Chine. Le financement et la gestion de ces programmes de haute technologie et corridors de transport auront des effets de synergie positifs pour la poursuite du développement d’une nouvelle architecture financière internationale.

Les États-Unis peuvent utiliser davantage de sanctions pour s’opposer au développement d’une architecture financière internationale multipolaire, bien que la coercition économique continue ne fera qu’augmenter la demande de découplage avec l’Amérique. La première règle des sanctions est que lorsqu’elles perdurent, les cibles des sanctions apprendront à vivre sans la puissance belligérante. Ce qui a commencé comme un effort pour affaiblir et isoler les adversaires de Washington finit par isoler les États-Unis.

Article de Glenn Diesen, Professeur à l’Université de la Norvège-Sud-Est

Notes. SWIFT : Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, comprend plus de 3000 employés et utilise un système informatique en perpétuelle amélioration pour être capable de gérer plus de 40 millions de transactions financières chaque jour entre environ 11000 établissements financiers et bancaires. Cette entreprise est étroitement contrôlée par les Etats-Unis. CIPS : Cross-Border Inter-Bank Payments System est un organisme de gestion de transactions bancaires situé à Shanghaï censé gérer les transactions libellées en yuans. Malgré sa création en 2015 cet organisme n’a pas encore atteint sa maturité. SPFS, littéralement Système pour le Transfert de Messages Financiers, créé par la Banque Centrale de Russie gère les transactions de plus de 400 « clients » dans le monde. Ces deux systèmes utilisent la même syntaxe que SWIFT. SCO : Shanghai Cooperation Organisation, pendant de la Banque Mondiale, couvre les 3 cinquièmes de la zone asiatique et 40 % de la population mondiale. Il faut enfin rappeler qu’il existe des accords de « swap » entre la Chine et le Japon ainsi qu’entre la Corée et la Chine.

10 réflexions au sujet de « La Chine et la Russie accélèrent leur « dédollarisation » »

  1. Pour comprendre l’avancée de la Chine en matière de prospérité collective, voici un comparatif entre le métro d’une des villes les plus modestes de Chine (« Guanshanhu ») et le métro de New York City, station « Chambers Street » à Manhattan : choc garanti !

  2. Pour comprendre comment la Chine a sorti de la misère 800 millions de personnes en moins de 40 ans, il faut avoir en tête qu’en Chine, contrairement à ce que l’on pourrait croire, tout va très vite et le ressort de ce dynamisme est centré sur la collaboration et la confiance. C’est du moins l’analyse de Pascal Coppens qui connaît la Chine comme sa poche et qui nous explique tout cela en détail ici : https://www.youtube.com/watch?v=MxnzE8gVY7s

  3. Pas facile (ou trop facile) de comparer la Chine et les US. on pourrait d’ailleurs faire pareil avec la France.
    le métro, dans un cas il est tout neuf, dans l’autre il a 100 ans, comparons des stations neuves avec d’autres stations neuves.. mais la propreté, l’entretien ?
    si mes souvenirs sont bons, la Chine est un régime plutôt dur, une vraie dictature en fait. avec des histoires de facturation de la cartouche à la famille. alors je pose la question, qu’arriverait il à un taggeur de metro en Chine ????? à mon avis on ne sait pas parce que personne n’a osé tester.
    et pour l’entretien, pas facile d’arrêter le métro pour refaire les peintures, le sol, etc etc (on a pareil à Paris, imaginez fermer la ligne 4 ou la 13) sans réaction. je pense qu’en Chine ce sera plus facile le moment venu. parce que personne ne râlera. on dira au pékin 🙂 de se démm… et avec le sourire SVP.
    bon, ok, à New York ils sont allé loin dans le laisser aller et le non entretien.
    Ah, on me glisse à l’oreille que le métro de Moscou est vieux et très propre et en bon état, je vous laisse conclure.
    quant à la sortie de la misère grâce à la confiance, pourquoi pas, entre eux alors parce qu’avec le reste du monde c’est plus nuancé.

    • Moscou, 13 millions d’habitants et un métro relativement ancien (première station inaugurée en 1935) et important (236 stations et plus de 6 millions de personnes transportées par jour). Réalisation typiquement soviétique (beaucoup d’espace, oeuvres d’art à la gloire de la révolution ouvrière, construit pour durer, etc…) et malgré son grand âge, c’est super propre :

    • Métro parisien : avec ses 304 stations et malgré son grand âge (1900 pour la première station), le métro de Paris est infiniment moins beau que celui de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, mais infiniment plus propre que celui de NYC …évidemment les stations des quartiers huppés et notamment celle du Louvre sont très belles. La comparaison de grandes agglomérations sur la base du métro est je pense pertinente, un peu comme si on compare des restaurants en regardant la propreté des toilettes et des cuisines. 🙂
      Qu’on se le dise, les Russes et les Chinois sont en avance sur nous dans de nombreux domaines, et les sous-estimer revient à se tirer une balle dans le pied.

      • entierement d’accord, et la maniere de construire facilite ou non la maintenance. a Paris tout est carrelé, ça facilite le nettoyage et c’est plus robuste que la peinture. apparemment à New York ce n’est pas le cas.
        mais j’y vois aussi (beaucoup) des causes liées aux moeurs.
        que risque un taggeurs dans les metros chinois ou russes par rapport aux metros de New York ou de paris ? (mme question pour tout l’espace public ou privé).
        sans que ce soit une balle (dans le pied ou ailleurs) je ne chercherai pas à tester.
        par analogie, Singapour est remarquablement propre et les sanctions implacables même pour un simple mégot.
        on y arrive, le bâton reste une motivation.
        d’où ma question à partir de quand une démocratie libérale doit elle montrer les dents?

      • Tagger, cracher par terre, écraser son mégot ou jeter son chewing-gum par terre est typique des pratiques de certains pays dont la France où le comportement des individus pose problème. En Suisse ou en Allemagne, jeter un mégot par terre est sanctionné d’une amende salée. Mais aussi à Paris (environ 70 €), à Obernai (Alsace) c’est 1000 €, Genève (185 €) et Singapour qui détient le record (12800 €) ! Oui, en Chine, un taggeur risque une amende salée, en accord avec le non-respect de l’une ou plusieurs des 12 valeurs socialistes fondamentales (prospérité, démocratie, civisme, harmonie, liberté, égalité, justice, légalité, patriotisme, professionnalisme, honnêteté, bienveillance). En Russie, pas sûr que la police s’emmerde à arrêter un taggeur, un rappel à l’ordre sera fait sauf si les tags font l’apologie du nazisme qui est un sujet très sensible (la grande guerre patriotique là-bas est célébrée tous les mois de mai et les gens ont tous en mémoire les 28 millions de morts russes pour défaire le IIIème Reich et sauver la démocratie en Europe). 🙂

      • @ flying dutchman :
        Et pourtant cracher par terre est (était ?) une pratique très très courante en Chine.
        Rien qu’encore en 2015 dans l’aéroport de Shanghai (pas vraiment le trou du c*** du monde), j’ai vu des voyageurs chinois, certes pas les plus jeunes cracher… dans les crachoirs disposés par terre tous les 10 mètres).
        Vous me direz qu’au moins il y avait des crachoirs à disposition !
        Et pour l’anecdote, si Singapour est devenue la ville-cité la plus propre du monde, malgré une population à 75% chinoise, c’est bien en réaction aux habitudes chinoises de cracher partout et par terre, de la part du dictateur chinois (tiens tiens) qui dirigeait Singapour à l’époque.

  4. Pour en revenir au contenu du billet de Jacques Henry qui est très pertinent, le modèle de développement international des USA est basé sur l’hégémonie, c’est-à-dire un système gagnant-perdant qui recourt à une colonisation rampante qui ne dit pas son nom. C’est juste un constat et les exemples abondent (les bases américaines un peu partout dans le monde via l’OTAN, le Japon et l’UE sont des colonies américaines de fait, etc..). La façade est très belle car l’impérialisme américain se présente paré des plus belles vertus en prétendant sauver le monde et instaurer la démocratie et la liberté. L’envers du décor fait froid dans le dos, et une simple citation suffit pour fixer les idées : « Une enquête de l’Institut Watson de l’Université de Brown sur les guerres extra-territoriales américaines – baptisées de différents noms (contre le trafic de drogue, le terrorisme, le crime organisé, le Plan Colombie, l’Initiative Mérida) calcule les coûts à 8000 milliards de dollars et près de 900 000 morts civils sous les bombes et les balles américaines rien qu’en Afghanistan, Irak et Syrie… au nom de cette démocratie made in USA ». Thierry Meyssan a analysé en profondeur les raisons historiques et culturelles pour lesquelles les USA se comportent de la sorte et Jacques Henry en a déjà touché quelques mots ici dans des billets antérieurs. Les armes qui sont utilisées depuis 5 décennies par les USA dans cette volonté de mettre le monde à sa botte sont le dollar dont l’indexation sur l’or a été supprimée par Nixon après la guerre du Vietnam et l’extraterritorialité du droit américain, ce qui en soit est la preuve incontestable de la volonté hégémonique des USA qui a été exacerbée par la chute du mur de Berlin (plus d’URSS, plus de concurrent à mettre en face, monopole mondial de la violence pseudo-légitime pour les US). Le Patriot Act a renforcé cette hégémonie en 2001 : il permet dans les faits d’emprisonner n’importe qui sans qu’il n’y ait besoin de motif et pour une durée pouvant aller jusqu’à 15 ans (sauf à plaider coupable et à payer une caution qui peut dépasser le million de dollars US : Cf l’affaire Frédéric Pierucci, VP d’ALSTOM). Les USA sont une pseudo-démocratie totalitaire : Parti Républicain = Parti Démocrate, donc un seul parti qui une fois au pouvoir exécute strictement la même politique, le président US est un fantoche comparé à ceux de la Russie et de la Chine qui ont les pleins pouvoirs, les élections sont systématiquement truandées, le suffrage indirect à deux tours privilégie les magouilles des « grands électeurs », la corruption est endémique dans les deux partis en présence : les Bleus et les Rouges.
    En face, en Russie et en Chine, on a à faire à une autre culture hybride qui est la synthèse du capitalisme industriel traditionnel contrôlé par l’Etat, et un socialisme de type asiatique (le groupe est supérieur à l’individu qui est contrôlé de façon étroite par un pouvoir central très puissant, ce qui n’empêche évidemment pas la corruption). Les relations entre Chine, la Russie et l’extérieur ne sont pas basées sur une monnaie ou sur un rapport de force, mais sur un deal gagnant-gagnant, ce qui fait que ces deux puissances sont très appréciées des pays en voie de développement (Afrique, Amérique du Sud). La Russie et la Chine n’ont jamais été impliquées dans des conflits destructeurs en Afrique et au Moyen-Orient. Ces deux pays sont en train de s’unir pour contrôler l’industrie et l’énergie mondiale. Il est urgent pour l’UE de consolider ses relations d’affaires avec ce nouveau bloc qui est devenu le centre de gravité d’économie mondiale. L’histoire du gaz en UE nous montre que la Commission Européenne est le jouet de Washington qui force les européens à se tirer un missile dans le pied. Parlant de pied, les USA ont déjà un pied dans la tombe et le savent quand on regarde la débandade en Afghanistan et le niveau incroyable de sans-abris dans ce pays. Dmitry Orlov vient d’ailleurs de sortir un billet dans lequel il prédit une guerre civile chez l’Oncle Sam (https://lesakerfrancophone.fr/2022-lannee-ou-les-etats-unis-atteignent-le-point-de-non-retour-de-leur-phase-deffondrement). Les manigances de l’OTAN à l’égard de la Russie par Ukraine interposée commencent à irriter Moscou qui a tapé du poing sur la table et des négociations vont avoir lieu dans les jours qui viennent où l’on va observer qui a vraiment le pouvoir au niveau international. Intéressant . A suivre donc 🙂

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