L’effondrement annoncé de la Chine

OPINION. Il y a vingt ans était publié le livre prophétique de Gordon Chang prédisant la fin du communisme chinois. Pékin en a fait un sujet de plaisanterie. Les nuages, pourtant, s’amoncellent. Article de Frédéric Koller paru sur le quotidien Le Temps (Genève) le 23 octobre 2021

Il y a vingt ans paraissait « The Coming Collapse of China »de Gordon Chang. Cet « effondrement imminent de la Chine » devait se produire dans les cinq à dix ans. Dix ans plus tard, constatant que la Chine était toujours debout, l’auteur repoussait sa prédiction à 2012. La dernière fois qu’il s’est aventuré à pronostiquer une révolution en Chine c’était en 2016. Depuis, il reste persuadé que le temps lui donnera raison. Mais il se garde de fixer une nouvelle date.

Le pouvoir chinois a d’abord ignoré la prophétie, puis il a ironisé sur la date limite du livre, pour ensuite s’en emparer afin de discréditer les critiques du régime. Parler des échecs du parti vous valait l’étiquette infamante de « Gordon Chang ». De sujet de raillerie, le titre du livre a finalement été renvoyé à l’expéditeur, ou plutôt à son pays d’adoption. Pékin s’est mis à évoquer « The coming collapse of american democracy ».

Le point de bascule

Lorsqu’il paraît au tournant du siècle, le livre marque les esprits. Gordon Chang n’était pas le seul à prédire la chute du Parti communiste. Ses origines sino-américaines et sa longue expérience en Chine pour des cabinets de consultant juridique américains l’assurent d’un statut particulier. Il connaît son sujet et maîtrise les deux cultures. A l’époque, on parle déjà des « mauvaises dettes » des grandes banques chinoises. Le système financier était soi-disant au bord du gouffre. L’analyse de Gordon Chang se focalise toutefois sur un régime politique inapte à s’adapter aux lois du marché et à lutter contre la corruption: le pouvoir communiste est condamné à échouer dans sa tentative de modernisation.

Cette lecture est alors dominante hors de Chine. Peu après la sortie du livre, pourtant, Pékin accède à l’OMC. Et il va se produire une transformation que peu d’observateurs osaient envisager. L’ouverture au commerce international dynamise l’économie sans faire trembler le régime. Le développement du pays repose sur deux piliers : les investissements étrangers accompagnés de transferts technologiques et l’immobilier, moteur de la consommation intérieure. Les exportations sont la principale source de croissance. La construction emploie des dizaines de millions d’ouvriers et fournit des logements décents.

Depuis un quart de siècle, la bulle immobilière chinoise menace d’éclater. Depuis un quart de siècle, la croissance soutenue de la Chine a permis d’absorber les défaillances de ce marché (surendettement, mauvaise allocation des ressources, corruption, destruction de l’environnement). La grande question est celle du point de bascule. A partir de quel seuil le tassement de la croissance risque-t-il de mettre tout l’édifice en péril ? Et c’est là qu’interviennent la crise du covid (la mise à l’arrêt du commerce) et la chute d’Evergrande, l’un des plus grands groupes immobiliers du pays.

Le premier qui chutera

Le système financier chinois est en mesure d’encaisser l’onde de choc d’une faillite d’Evergrande. Mais Pékin ne peut pas se permettre le risque d’une panique sociale provoquée par la perte de leurs économies de millions de propriétaires. Evergrande sera démantelé, comme les actifs pourris des grandes banques à la fin des années 1990. On n’assiste donc – pas encore ? – à une crise comparable à celle des subprimes. Mais l’endettement du pays, notamment de ses collectivités locales, menace sa stabilité.

C’est cette fragilité du marché immobilier chinois, couplée au vent de démondialisation en cours – et donc d’un recul des exportations – qui redonne de la voix, outre-Atlantique, aux fidèles de Gordon Chang. En Chine, à l’inverse, on voit une accumulation de signes de la faillite de la démocratie américaine. La dictature de Pékin et la démocratie de Washington pourraient coexister encore longtemps. Rien n’est écrit. Le premier de ces deux régimes qui s’effondrera, pourtant, entraînera dans ses décombres une transformation systémique du monde.

10 réflexions au sujet de « L’effondrement annoncé de la Chine »

  1. La suprématie militaire des USA s’effondre or cette suprématie est la clé de voute du système US.
    comme l’écrit Brzezinski dans les années 80 :
    Comme dans le cas des empires du passé. l’exercice de la puissance « impériale» américaine dérive dans une large mesure d’ une organisation supérieure, de la capacité à mobiliser sans délais d’importantes ressources économiques et technologiques à des fins militaires, de la séduction, floue mais importante, qu’exerce le mode de vie américain, ainsi que du dynamisme reconnu des élites politiques et économiques du pays et de leur compétitivité.
    Tout ce qui est décrit là s’effondre et la guerre civile menace à l’intérieur. Je pense que les jours des USA en tant que super puissance sont comptés.

    • A l’appui de votre analyse, voici le commentaire du Général Delawarde (sur son dernier point de situation du Covid au niveau mondial du 31 octobre 2021) en ce qui concerne l’OTAN et les USA, je cite : « Onze pays de l’OTAN, dont les puissances majeures, se situent dans les 19 premières places de ce triste classement mondial (sur la mortalité et la contagiosité du Covid) ; les autres pays membres de l’OTAN ne sont d’ailleurs pas très loin : Grande fragilité des populations âgées et en surpoids ? Faillite des systèmes de santé ? Ou incompétence des gouvernances ? Quelles que soient les réponses à ces questions, elles n’augurent rien de bon en cas de conflit majeur impliquant tout ou partie de l’OTAN … contre un adversaire potentiel eurasiatique (Chine, Russie, Iran). En raison des conséquences de l’affaiblissement économique de l’Occident et des bascules de puissance en cours de réalisation, l’OTAN devra revoir sa politique d’ingérence tous azimuts et ses ambitions à la baisse. Les retraits occidentaux d’Afghanistan et du Mali en ont été les premiers signes tangibles. Il y en aura d’autres. »
      Ref : https://reseauinternational.net/covid-19-point-de-situation-du-samedi-30-octobre-2021-0h00-gmt/

      • @Paul-Emic : c’est exactement la réflexion que je me suis faite à sa lecture. On se rend ainsi compte que la façon de gérer la France et donc l’UE a énormément de points communs avec la philosophie de gestion des Etats-Unis d’Amérique. Les résultats sont dramatiques, surtout pour les populations les plus fragiles des pays occidentaux concernés. Par contre, pour les milliardaires de la High-Tech comme Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, ou Tim Cook, « tout va très bien madame la Marquise ». Idem pour l’industrie du luxe représentée par notre indéboulonnable Bernard Arnault.
        Pendant ce temps-là, de jeunes britanniques très rigolos qui ont des rudiments en mandarin découvrent la ville de Pékin (« Beijin ») et sont surpris par la propreté, la beauté et le calme qui règne dans cette capitale décrite les médias occidentaux, notamment la BBC, comme sale, bruyante et misérable : https://www.youtube.com/watch?v=51vQQu2SOBc
        Comme quoi, il faut se méfier du « China Bashing », la Chine communiste miséreuse des années 60 et 70 que les générations précédentes ont connue, c’est de l’histoire ancienne. Peyrefitte avait raison, « quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Pour le moment, ce ne sont que les USA qui tremblent et qui via l’AUKUS et Taẅan essaient d’entrer en conflit armé ouvert avec les Chinois. La réponse de la Chine : « Nous possédons les armes hypersoniques développés par la Russie, et nous avons les moyens de nous défendre ». Le Pentagone est en train de revoir sa copie qui consistait en une méthode bourrin : envoyer des ICBM nucléaires sur la Chine façon Hiroshima et Nagasaki. Xi Jinping a refusé d’aller serrer la main de Biden au G20 de Rome et a prévenu que son pays est en train de se préparer à la guerre au cas où les hostilités déclenchées par les USA atteignent des niveaux critiques.

      • @ Flying Dutchman, les USA ont probablement dépassé leur apogée. On s’en rend compte si on observe leurs campagnes militaires depuis la seconde guerre mondiale
        II WW : victoire
        Corée ex aequo
        Cuba victoire en demi-teinte
        Vietnam échec
        Grenade : victoire
        Otages Téhéran échec
        Ex Yougoslavie victoire (aux dépens de ses alliés européens)
        Afghanistan : échec
        Irak victoire en demi teinte
        Syrie : échec
        Ukraine …

  2. En effet, cela fait au moins 10 ans (depuis 2008 en gros) que la presse française et occidentale en général décrit la Chine comme un tigre de papier, et spécule sur son effondrement. Des auteurs pro-chinois comme Bruno GUIGUE pronostiquent le contraire en se basant sur sa réussite sociale (la politique du PCC, le parti communiste chinois, a sorti de la misère plus de 800 millions d’habitants de ce pays qui a aujourd’hui la plus grande économie mondiale…la comparaison par rapport aux USA se faisant sur la base des dettes de l’état chinois qui sont infiniment moindres que celles des Etats-Unis). On est ainsi passé d’un pays qui a copié les technologies de l’occident et a sous-traité sa fabrication (grâce d’abord au patronat américain trop heureux de réduire ses coûts et maximiser à peu de frais ses profits à court-terme et ensuite au CCC : le fameux « Chinese Certificate of Conformity » qui oblige le client à céder légalement tout son « know-how » par écrit) à un pays qui maintenant innove, a crée une classe moyenne aisée qui consomme de plus en plus de produits fabriqués localement et qui de plus est instruite.
    D’un autre côté, beaucoup d’auteurs et de journalistes ont sauté à pieds joints sur l’affaire « Evergrande » pour affirmer qu’enfin, la Chine est morte, kaputt, dead, laminée et enterrée. Pour rappel, Evergrande est ce conglomérat chinois de l’immobilier qui a fait des dettes stratosphériques en utilisant une technique financière qui ronge l’occident : le LBO (« leverage by out » : on achète une boîte et on rembourse les échéances du crédit sur sa trésorerie : OK si les conditions de marché permettent un besoin en fonds de roulement négatif, mortel dès que le BFR devient positif). L’Etat chinois a bien entendu mis la main au portefeuille pour sauver ce groupe, et dans le même temps, reprend en main toutes ces grosses boîtes de façon musclée (Cf Alibaba et son patron Jack Ma qui a disparu pendant quelques semaines avant revenir faire des excuses publiques sur son style de management jugé trop américaniste par le pouvoir central). La lutte contre la corruption de l’administration qui est endémique en Chine est en train d’être menée au pas de charge pour récupérer l’argent qui manque à l’état pour tenir son cap. Bilan des courses : la situation économique et sociale de la Chine n’est pas si mauvaise, et la façon dont ils ont géré la crise du Covid montre qu’ils savent prendre des décisions très rapidement. Les sanctions américaines contre les secteurs stratégiques chinois ont mis en évidence si on prend l’exemple de Huawei que la Chine sait rebondir rapidement, en cas de problèmes majeurs.
    Personnellement, je pense qu’il faut se méfier du « China Bashing » promu par les médias, l’OTAN et les Etats-Unis, que la Chine a encore de beaux jours devant elle et qu’on devrait arrêter de la sous-estimer en analysant finement ses réussites et ses échecs. Charles Gave conseille d’investir en Chine, et François Godement de l’Institut Montaigne, un expert néolibéral très au fait de l’Asie, propose une analyse de la Chine différente de ce qu’on a l’habitude de lire dans la presse (la bulle immobilière se dégonfle, mais les nouveaux marchés compensent les chocs liés à l’habitation et au Covid) : https://www.institutmontaigne.org/blog/la-nouvelle-economie-politique-de-xi-jinping-deuxieme-partie-les-risques
    Il faut aussi rajouter à l’équation de savoir comment la Chine va évoluer le fait que la Russie et la Chine ont noué une alliance très forte. Le fait que Poutine et Xi ne se soient pas déplacés au sommet du G20 à Rome est très significatif de ce point de vue.

      • Excellente remarque en effet. Comme la Corée et le Japon la Chine détient des réserves de change considérables et un montant astronomique de T-bonds américains. Les Chinois financent leurs investissements à l’étranger avec des dollars (comme le Japon) et ils ont le pouvoir de mettre l’économie américaine dans une situation délicate s’ils vendent des T-bonds US sur le marché secondaire, pas massivement mais à petite dose. Mécaniquement des taux monteront et ce sera la catastrophe pour les pays occidentaux dont européens car ils sont tous liés à l’économie américaine. Les T-bonds américains qui ont inondé le monde entier sont aussi liquides que le dollar lui-même et c’est ce qui va précipiter la ruine des USA. Je ne suis pas du tout économiste mais apparemment cet état de fait échappe à des analystes comme Paul Jorion ou même Charles Gave, des personnalités pour lesquelles j’ai beaucoup de respect.

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