Lorsque Emmanuel Todd publia en 1976 son premier ouvrage « La Chute Finale », un essai de prospective relatif à la chute du bloc soviétique, il s’appuya sur les données démographiques dont il disposait à l’époque. Ces données faisaient état d’une hausse de la mortalité infantile et d’une décroissance de l’espérance de vie. En 2002 Todd réitéra en se penchant cette fois sur un éventail de données socio-économiques et politiques au sujet des USA dont il prédit la chute dans son essai « Après l’Empire ». En cette année-là les Etats-Unis étaient considérés comme le pays disposant du meilleur système de santé dans le monde. La mortalité infantile était négligeable et l’espérance de vie avait atteint un sommet. En 20 ans seulement la situation s’est considérablement dégradée sur le plan sanitaire et si Todd reprenait les données démographiques disponibles aujourd’hui il pourrait écrire un nouvel essai au sujet des USA reprenant l’argumentation qu’il utilisa dans « La Chute Finale ». En effet, une longue étude publiée par le National Bureau of Economic Research situé à Cambridge, Massachusetts, présente en détail la situation démographique actuelle des Etats-Unis ( http://www.nber.org/papers/w29203 ) qui fait l’objet de brefs commentaires dans le présent billet sur ce blog.
Cette étude s’est limitée à la période 1990-2018. Tous les aspects démographiques y sont abordés dont en particulier les différences ethniques entre « blancs » et « afro-américains » et l’étude mentionne toujours une comparaison avec un panier de pays européens comprenant le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et l’Espagne. Les résultats de cette étude réalisée en collaboration avec les pays européens cités ici fait ressortir un aspect démographique des Etats-Unis qui doit certainement interpeller Emmanuel Todd. L’étude a été réalisée avant la pandémie de SARS-CoV-2 il ne serait pas fortuit d’en déduire que le système de santé américain soit responsable des 705000 décès enregistrés dans ce pays depuis le début de la pandémie coronavirale ( source : https://www.worldometers.info/coronavirus/ ).
Le premier fait est une très importante diminution de la mortalité de la population afro-américaine au cours de cette période : l’écart de l’espérance de vie entre « noirs » et blancs est passée de 7,6 à 3,6 années tandis que l’espérance de vie globale des « blancs » a diminué. Cette dernière, sensiblement égale à celle des Européens en 1990, a diminué de manière constante. En premier lieu l’évolution de la mortalité infantile (0-4 ans) est un excellent indicateur de la qualité du système de santé. Le graphique ci-dessous montre la mortalité infantile pour la population afro-américaine et ce taux de mortalité est lié à l’indice de pauvreté (poverty ranking). Cet indice est calculé à partir d’un ensemble de données statistiques comprenant les salaires, l’état des possessions immobilières, le nombre de véhicules automobiles possédés, le nombre zéro étant attribué aux couches de la population les plus aisées. Cet indice complexe est adossé sur les données des recensements réalisées périodiquement dans chaque pays en particulier par les organismes d’études statistiques et démographiques. On peut constater que la mortalité infantile a très nettement diminué dans la population afro-américaine mais également que cette même mortalité a progressé dans la population blanche y compris chez les populations les plus aisées. Ceci est un indicateur de la dégradation constante du système sanitaire américain dont sont également victimes les populations aisées.

Pour la population adulte (20-64 ans) la situation est encore plus marquée. D’abord on meurt toujours plus quand on est « plus pauvre statistiquement parlant ». L’écart entre noirs et blancs aux USA s’est réduit au cours de la période d’étude et à l’évidence la population blanche américaine a significativement décroché par rapport à l’Europe, en quelque sorte encore une confirmation de la dégradation sanitaire américaine.

L’étude s’est enfin intéressée aux causes de la réduction de l’espérance de vie aux Etats-Unis et l’examen de celles-ci est tout à fait révélateur non seulement de la dégradation du système de santé américain mais aussi et surtout de la dégradation sociétale de ce pays. L’évaluation en pourcentage des contributions à la diminution de l’espérance de vie entre « noirs » et « blancs » américains montre sans ambiguïté la contribution des suicides (death of despair), des homicides et du HIV alors que les maladies cardiovasculaires ont sensiblement le même « poids » dans cette évaluation. On peut enfin remarquer que l’incidence des maladies respiratoires, qui représentent 5 % dans cette contribution ont été confirmées lors de l’épidémie du SARS-CoV-2 avec un beaucoup plus grand nombre de morts dans la population afro-américaine.

Cette étude mérite d’être lue en détail car elle montre sans appel que les Etats-Unis sont depuis maintenant 20 ans entrés dans un déclin inexorable et les statistiques démographiques en sont le premier indicateur avec la diminution de l’espérance de vie et l’augmentation de la mortalité infantile : l’objet d’une nouvelle « Chute Finale » pour Emmanuel Todd et concernant cette fois les USA ?
Ping : USA : la nouvelle « Chute Finale » ? – Qui m'aime me suive…
Le dernier graphique m’interroge (l’histogramme indiquant la répartition des décès par causes médicales) : on sait que 40 % de la population américaine est en surpoids excessif du fait d’un régime alimentaire irrationnel, avec comme facteurs de comorbidité le diabète (qui peut entraîner des artérites des membres inférieurs et une cécité partielle voire totale) et l’hypertension artérielle (qui peut entraîner des accidents cardiovasculaires et neurologiques). Ce point n’apparaît pas clairement dans l’histogramme. Je suis également surpris par la part des « deaths of dispair » (barre orange de plus de 15 %) que je traduis par « morts de chagrin » ou « morts par désespoir » : s’agit-il de suicides ? Enfin, il est surprenant qu’on ne retrouve pas les morts par abus de produits de santé (notamment les opiacés et les sédatifs/antidépresseurs puissants), puis le tabac et l’alcool qui constituent en France la première cause de mortalité (hors cancers et maladies cardiovasculaires bien entendu : en gros 130,000 morts/an en moyenne)…cela doit je suppose être comptabilisé dans « undefined disease » et « other ». La proportion de cancers est surprenante mais en France, on a le même phénomène (https://fr.statista.com/infographie/24577/principales-causes-de-mortalite-en-france-cancers-maladies-covid-19/). Au vu de ces chiffres partiels, on peut supposer qu’environ la moitié des Américains a une hygiène de vie peu recommandable (notamment à cause de la nature et de la fréquence des repas), un équilibre psychologique faible à mauvais probablement à cause de la violence et du stress de leur société (comparée à celle du Canada ou de la France par exemple) et enfin un système de santé dont l’accès est beaucoup trop restrictif (sélection par l’argent). Malgré la casse gravissime des services de santé français depuis qu’on est entré dans l’UE et la zone Euro (suppression de 100,000 lits par exemple), il me paraît plus agréable de vivre en France qu’aux USA quand on a une santé fragile, et je pense notamment aux seniors (qui pourtant ne sont pas gâtés dans nos EHPAD). 🙂