Katherine Rowland est journaliste et essayiste et elle s’est intéressé au plaisir sexuel féminin pendant de nombreuses années. Elle vient de publier un essai qui a eu un très gros succès outre-Atlantique intitulé « The Pleasure Gap » sous-titré les femmes américaines et la révolution sexuelle inachevée, résultat de 5 années d’investigations. Elle a eu des entretiens avec 120 femmes âgées de 22 à 72 ans et des dizaines de professionnels de la santé sexuelle. Elle a rencontré des veuves, des jeunes-mariées, des vraies et des fausses monogames, des femmes avides d’aventures passagères ou au contraire soumises, des femmes ne pouvant pas vivre pleinement sans relations amoureuses multiples. Enfin, Katherine Rowland a enquêté sur les travaux concernant la recherche du « viagra pour femmes » et les pratiques hétérodoxes d’éducation sexuelle à Los Angeles consistant à présenter en spectacle un couple hétérosexuel faisant l’amour devant une assistance féminine en cours de thérapie sexuelle.
Les conclusion de cette journaliste sont lapidaires : le manque ou le peu de désir sexuel des femmes n’est pas d’ordre physiologique mais relève d’un mélange de conditions sociales concourant à affaiblir ce désir, qu’il s’agisse d’obligations professionnelles ou de vie familiale. Les femmes se comportent alors sexuellement par obligation, par générosité ou tout simplement pour être tranquilles. La question que beaucoup de femmes formulent en présence d’un conseiller médical est la suivante : »Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? ». La réponse des spécialistes est le plus souvent trop simpliste car ils sont persuadés que la libido féminine est moins exacerbée que celle de l’homme et que c’est un fait qu’il faut admettre, le « gap », le fossé.
Une étude réalisée en 2018 concernant plus de 50000 femmes américaines (lien) a choisi non pas de partir de l’a priori que la libido féminine est de faible intensité mais de rechercher les causes physiologiques et psychologiques de cette faiblesse de libido partant du principe que la réponse sexuelle de la femme est triphasique : désir, excitation et orgasme. Le désir étant donc la première étape de ce processus il convient d’en étudier le mécanisme et c’est ce que Freud résumait en une courte phrase : « Que veut une femme ? » mais qui peut être reformulée de la manière suivante : « comment une femme en vient à éprouver un désir sexuel ? ». Le sujet est complexe car il fait intervenir une multitude de paramètres comme les fantasmes, les affects, le contexte socioculturel, le statut hormonal du moment au cours du cycle menstruel et enfin l’intervention subconsciente comme Platon l’a si bien formulé par cette célèbre phrase : « L’amour est désir et le désir est manque ». Il s’agit de la définition de l’ « eros » des Grecs et pour la femme comme pour l’homme de la sensation de manque qui ne sera satisfaite que par l’orgasme consécutif à l’excitation physique.
Il est donc aisé de comprendre que le désir sexuel féminin peut paraître mystérieux ou complexe pour l’homme qui est soumis à ses instincts comme le disait le Marquis de Sade : « Tout homme est un tyran quand il bande », en d’autres termes l’homme ne recherche que l’accomplissement de son instinct de procréateur matérialisé par son orgasme éjaculatoire. Et c’est dans le contexte de cette différence entre les femmes et les hommes que l’influence socioculturelle prend plus d’importance chez les femmes. Ces dernières confondent alors pour plus de 40 % d’entre elles le dysfonctionnement de leur libido et l’influence socioculturelle mais seulement 30 % avouent avoir régulièrement un orgasme avec leur partenaire masculin alors que ce pourcentage atteint plus de 80 % chez les lesbiennes. Cependant les lesbiennes font souvent l’expérience d’une chute brutale de leur désir sexuel qui les conduit à chercher une autre partenaire paradoxalement plus fréquemment que pour les couples hétérosexuels. En moyenne cette chute brutale du désir apparaît après au moins 2 années de relations sexuelles. L’usure du couple existe donc aussi chez les lesbiennes. Et ce phénomène d’usure demande un effort constant pour être évité afin de ne pas mettre en péril la pérennité du couple.
La femme est prête à tout pour être aimée au sens grec de « agape » y compris à se donner physiquement alors que l’homme est au contraire prêt à tout pour faire l’amour au sens du grec « eros » pour satisfaire son instinct. De par mon expérience personnelle je conteste en partie les conclusion de cette étude largement reprise par Katherine Rowland dans son article paru sur le site du Guardian. En effet, la femme devient amoureuse puis aime profondément l’homme qui est capable de la satisfaire sexuellement, régulièrement et durablement, tout en lui faisant comprendre également qu’elle est désirable. En d’autres termes, chez la femme, l’amour procède de la satisfaction sexuelle et la femme voudra garder pour elle, et elle seule, son partenaire sexuel si celui-ci la satisfait. C’est peut-être ce point que Katherine Rowland n’a peut-être pas osé aborder car cette vision masculine de la situation peut être confondue avec l’instinct dominateur de l’homme.
Un dernier aspect de la relation sexuelle entre femme et homme abordé par cette journaliste est la simulation de l’orgasme par les femmes. Selon une étude parue en 2010 dans la revue Archives of Sexual Behavior 80 % des femmes hétérosexuelles font semblant d’avoir un orgasme une fois sur deux quand elles font l’amour avec leur partenaire et parmi elles un quart simulent presque systématiquement un orgasme bien vécu. Je n’arrive pas à concevoir comment un homme peut ne pas s’apercevoir qu’il a été leurré. La raison en est simple. Comme pour l’homme, après avoir fait l’expérience d’un orgasme suffisamment intense la femme a tendance à vouloir s’assoupir. Faut-il que simuler un orgasme soit aussi coûteux en énergie qu’un orgasme réel ? Cette attitude de la femme signifie également qu’elle veut « garder » son partenaire pour elle malgré le fait qu’elle n’est pas satisfaite, attitude qui s’explique alors pour d’autres raisons que la stricte relation amoureuse.
Billet inspiré d’un article paru sur le Guardian et d’une conférence du philosophe André Comte-Sponville dont j’ai égaré le lien.
https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10508-018-1212-9