La langue de Voltaire dans l’audiovisuel ? Un doux rêve

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À l’occasion de la sortie du livre « Mémoires Vives » d’Edward Snowden aux éditions du Seuil André Bercoff de SudRadio a réuni dans son studio Hugues Jalon, directeur des publications du Seuil, Juan Branco, avocat qui a travaillé pour Julian Assange et Jean-Eric Bramat, universitaire. Le débat a été animé et j’ai analysé l’élocution des divers acteurs de ce débat qui m’intéressait au plus haut point car j’admire le courage de Snowden ainsi que celui de Assange qui ont tous les deux osé dénonçer les pratiques outrancières des USA pour tenter de dominer le monde. Bref, je n’en dirai pas plus mais je me suis focalisé sur la réthorique orale des intervenants que vous pouvez retrouver à loisir sur youtube et vérifier ainsi mes statistiques ( https://www.youtube.com/watch?v=bvb8Jx03pCM ).

Parmi les mots abusivement utilisés par les acteurs des médias audiovisuels il y a les adverbes « effectivement », « évidemment » et un sorte d’interjection qui apparaît sans qu’on s’y attende : « voilà ». Je me demande si tous ces beaux parleurs connaissent tant les sens de ces adverbes que de cette interjection. Je réserve pour la fin de ce billet les statistiques que j’ai dressé et elles valent leur pesant de rire. Quand on dit effectivement dans une phrase il faut se plier à l’évidence que puisqu’un fait est « effectif » il n’est donc pas contestable, fin de la conversation en quelque sorte. Pour le mot évidemment, si on n’a pas compris le sens du propos cela signifie qu’il faut retourner à l’école (dans les classes de l’école républicaine française on n’apprend plus rien et certainement pas l’élocution claire et convaincante qui ne nécessite aucunement l’emploi d’adverbes superfétatoires si l’énoncé est bien annoncé). Et puis il y a l’interjection « voilà ». Ce petit mot de 5 lettres signifie que si vous n’êtes pas d’accord allez voir un autre programme de youtube (je n’ai pas de télévision chez moi) parce que si vous n’êtes par d’accord vous n’avez rien compris. Voilà : c’est ainsi, c’est évident, c’est « effectif », point barre.

En réalité tous ces mots totalement inutiles et utilisés abusivement par les protagonistes de cette émission  » Bercoff dans tous ses états » que j’apprécie par ailleurs ne sont qu’un vernis qui souligne la vacuité des propos tenus par les intervenants, y compris Bercoff malheureusement ! Voilà maintenant pour les statistiques. Pour le mot « effectivement » Bercoff et Hugues Jalon sont à égalité, dix fois chacun, suivis de Jean-Eric Bramat 4 fois dont deux justifiés dans le contexte de ses propos et Juan Branco zéro fois. En ce qui concerne le mot « évidemment » Bercoff est champion et l’a utilisé 5 fois, Jalon trois fois et Branco 3 fois mais justifiés dans le contexte de la phrase dans laquelle ce mot apparaissait. Pour « voilà », Bercoff l’a utilisé une seule fois et Hugues Jalon, pourtant supposé être un littéraire, a agrémenté ses propos 13 fois avec des « voilà » incongrus et sans signification dans le contexte. Branco : zéro fois ainsi que Bramat.

Que peut-on conclure d’une telle observation ? Tout simplement que beaucoup d’acteurs de l’audiovisuel parlent pour ne rien dire, en d’autres termes ils agrémentent leur discours avec des mots totalement inutiles dans le contexte de leur discours. Mais pire encore j’ai visionné des conférences de scientifiques qui se livrent aux mêmes exercices de style lénifiants et lassants. Où va la langue de Voltaire, de Camus et de Giono ? C’est très inquiétant. Quand on n’a rien à dire d’intéressant on se tait, surtout avec un microphone devant sa bouche qui ne fait que proférer une diarrhée verbale inaudible. Pour conclure ce billet caustique je ferai remarquer que Juan Branco ne parle pas pour ne rien dire : il n’a pas besoin d’adverbes superfétatoires. Il sait ce qu’il dit et de manière intelligible, c’est son métier. Pour en revenir à Bercoff, que j’apprécie pourtant, le lui préfère maintenant Frédéric Taddeï qui sévissait sur Antenne 2 mais a été prié de trouver un autre employeur en raison de son incompatibilité d’humeur avec la direction de la rédaction. Mes lecteurs peuvent le retrouver sur RT France dans son émission « Interdit d’Interdire » d’excellente tenue.

15 réflexions au sujet de « La langue de Voltaire dans l’audiovisuel ? Un doux rêve »

  1. Sur ce même sujet, une suggestion de lecture :
    Ingrid Riocreux. — La langue des médias. Destruction du langage et fabrication du consentement, L’Artilleur, 332 pages, 2018.

    4ème de couverture :
    « Les journalistes se présentent volontiers comme des adeptes du « décryptage ». Mais est-il autorisé de « décrypter » leur discours ? En analysant de très nombreux exemples récents, ce livre montre que les journalistes ne cessent de reproduire des tournures de phrases et des termes qui impliquent en fait un jugement éthique sur les événements. Prenant pour des données objectives des opinions qui sont en réalité identifiables à des courants de pensée, ils contribuent à répandre nombre de préjugés qui sont au fondement des croyances de notre société. Si le langage du Journaliste fonctionne comme une vitre déformante à travers laquelle on nous montre le présent, il est aussi une fenêtre trompeuse ouverte sur le passé et sur l’avenir. Analyser le discours du Journaliste, c’est donc d’une certaine manière mettre au jour l’inconscient de notre société dans tout ce qu’il comporte d’irrationnel. Ce livre est conçu comme un manuel de réception intelligente à l’usage des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs quotidiennement exposés aux médias d’information. Son ambition est de lutter à la fois contre la naïveté et la paranoïa complotiste afin de n’être plus « orientés par un discours orientant ». »

  2. La langue de bois est passée de mode chez les élites car elle est trop difficile à maîtriser…alors on se rabat sur ce qu’on peut comme les néologismes et certains d’entre eux inventés par les politiques ou les journaleux valent leur pesant de cacahuètes : la flexisécurité, la bravitude, la branchitude, la lepénisation des esprits, la jupette, la balladurette, la papinade, la Ripoublique, la Chiraquie, la Mitterandie, la Sarkozie, la Hollandie, le chiraquisme et le sarkozisme, « c’est abracadabrantesque ! », « ça fait pschiiittt ! », BFM-WC, etc…
    Je crois me souvenir que Bercoff avait sorti un petit bouquin pour se moquer des expressions de Raffarin, les « raffarinades »…c’est le gaga de l’arroseur arrosé, mais c’est normal, Bercoff souffre régulièrement de bercovite.
    En politique, les champions toutes catégories de la maîtrise de la langue sont curieusement deux Jean : Jean-Marie Lepen et Jean-Luc Mélenchon…je décernerais mes encouragements à François Boulo qui fait du bon boulot comme représentant des Gilets Jaunes de la région Haute Normandie et dont l’expression orale est de grande qualité, largement supérieure à celle de Macron bien entendu (à ce niveau de médiocrité, il est vrai qu’il n’est pas bien difficile d’être meilleur)… 🙂

  3. Tout et rien ont été dits à propos du discours journalistique, du langage journalistique, du préjugé journalistique, de l’opinion journalistique, du décryptage journalistique, du consentement journalistique et j’en passe…
    Quelques observations :
    1. Les journalistes parlent mal et écrivent mal. Ils sont le reflet de leur société.
    2. Le journalisme de qualité repose sur des médias de qualité. Mais la qualité a un prix que ni les propriétaires de médias ni les consommateurs de médias ne sont prêts payer.
    3. Le journalisme se porterait mieux s’il y avait une pluralité de médias associée à une pluralité d’opinions.
    4. Entreprise commerciale par définition, un média cherche à créer un auditoire ou un lectorat destiné aux annonceurs. Un média, c’est comme un mur : les publicités sont les briques et le rédactionnel est le ciment pour les faire tenir.
    5. Est-ce le rôle de l’État de financer et d’opérer des médias audiovisuels ?

    • @Didier Fessou :
      Il est difficile de parler des journalistes comme si c’était un ensemble homogène.
      C’est une véritable auberge espagnole, on y trouve de tout, des gens de grand talent travailleurs et des incompétents pistonnés qui n’en foutent pas une.
      Il est vrai qu’à une époque, les médias pouvaient investir dans un journalisme d’investigation et d’information véritable. L’information pertinente est devenue une denrée rare quand quelques groupes essentiellement financiers ont la mainmise sur l’ensemble de la presse mondiale. L’information s’est industrialisée et mondialisée et on lit peu ou prou les mêmes choses quand on ouvre la page de Google News de n’importe quel pays d’Europe ou n’importe quel état américain.
      D’où le succès des blogs et des médias de « ré-information » où il y a des analyses -souvent pertinentes- par des auteurs qui ne sont pas du sérail. On a mentionné ci-dessous Philippe Béchade qui est un bon exemple de cette tendance. On peut aussi citer Jacques Henry qui passe son temps à démystifier les âneries qui tombent en permanence sur les téléscripteurs de l’HTTP. Je mettrais uen mention spéciale à RT America et à son présentateur vedette Rick Sanchez qui a une façon magnifique d’aller droit au but et de poser les bonnes questions.
      Un exemple de la décrépitude du journalisme d’investigation français est le quotidien « Le Monde » dont je ne voudrais même pas pour m’essuyer l’entre-fesses même en cas de gastro-entérite sévère…cela depuis que le journal est la propriété de deux milliardaires et ce n’est pas un hasard. Les médias rendent des services aux gouvernants et sont devenus des agences de communication de la parole officielle. En échange, l’état français ferme les yeux sur des opérations de fraude fiscale qui impliquent les îles anglo-normandes et le Luxembourg (cas du groupe BFM par exemple). La presse française est subventionnée par l’état à hauteur d’un milliard d’euros par an. C’est un scandale à double titre : il tient dans une main de fer les médias et joue ainsi le rôle de ministère de l’information caché (c’est indigne et juste du niveau d’une vulgaire république bananière) et se présente comme garant d’une information plurielle et objective, ce qui est encore un énorme mensonge.

    • PS : en France, on vient de toucher le fond du journalisme de caniveau avec la société Reworld Media, qui, contrairement à son nom est bien une société française. Elle vient de racheter des journaux du groupe italien Mondadori et vient de voir 3/4 des journalistes (un peu moins de 200) démissionner en bloc.
      La raison : « Le groupe est critiqué par plusieurs journalistes, notamment sur ses méthodes de travail et son désintérêt pour le journalisme.
      Selon Justine Brabant de l’émission « Arrêt sur images », le groupe demande des quotas d’articles à écrire par jour et par mois ainsi que des contenus « junk news » (facile, piège à clic), privilégiant la quantités à la qualité. J. Brabant décrit le groupe comme « le cauchemar de l’avenir du journalisme ». Lorsqu’il rachète un média, Reworld Media inciterait les journalistes avec une carte de presse à utiliser la clause de cession (démission avec indemnités de licenciement). D’après un ancien rédacteur en chef du groupe, ce dernier essayerait de s’en débarrasser car ils auraient trop de droits par rapport aux pigistes et aux stagiaires1. Ceux-ci seraient payés sous le statut d’autoentrepreneurs et non de journalistes. Un modèle économique axé principalement sur des articles promotionnels financés par des marques (« brand content ») avec des articles commandés à la rédaction directement par la régie publicitaire.
      Un ancien journaliste critique la rémunération sous ce statut dans Libération : « on me rémunérait 800 euros pour faire vingt contenus dans le mois. »
      Le groupe demanderait à ses journalistes de mettre de la publicité cachée dans leurs articles.
      Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Reworld_Media

  4. Merci Jacques-Henri d’avoir mis l’accent sur ces « petits mots » qui tendent vers les gros !
    Le « voilà » est « effectivement » (sic) très significatif car il s’utilise dans toutes les catégories sociales. Il se colore de quelques nuances qui restent toutefois proches du STOP inconscient qu’on impose à l’autre surtout parce que je n’ai plus rien à dire et, de fait (re sic), son utilisateur est à court d’arguments. Ceci annonce la défaite de la raison qui voudrait que l’argument soit adapté, sinon au contradicteur, à l’interlocuteur pour donner poids aux idées débattues.
    De la concierge qui insiste sur le « voilà » pour dire que vous m’avez compris sans que j’ai besoin de l’expliquer au ton professoral d’un maître d’école qui prend la pose condescendante de l’autorité, nous voilà donc (re re sic) dans les mots sans sens, dans la parole sans sémantique, le discours vide. Comme qui dirait Coluche (qu’avait tout compris), « il parle mais il dit rien ».
    Où sont nos Barthes ?

    • Il semblerait que Roland Barthe a cédé sa place à Yann Barthès.
      Pas sûr qu’on ait gagné au change des « mythologies » et des « doxas ». 🙂

      • Une petite citation, pour méditer sur la république « en marche », tirée de Roland Barthes bien sûr 😉 :

        « La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer ».
        EFFECTIVEMENT tout ça m’étouffe, VOILA !

  5. Un célèbre japonais a écrit sur l’ombre et la lumière. Peut-être que le silence est semblable à l’ombre dans la conversation. Mais dans le monde du trop plein de sons les mots inutiles bouchent les trous. Dommage car ce sont les silences qui donnent du relief aux échanges… Les amoureux en savent quelque chose !

    • Exemple de journaliste qui coupe tout le temps la parole à ses invités de marque, qui ne sait pas s’exprimer oralement, dont la diction trépidante est épouvantable (on le croirait sous coke) et qui plus est se croit très expert…donc beaucoup d’égo et aucune écoute active, …bref une vraie tête à claques :

  6. J’hésite à m’énerver et à exécrer plus les journalistes qui « coupent la parole », et encore plus ceux qui ne seront satisfaits que quand leur interlocuteur aura finir par dire ce que eux (les journalistes) veulent absolument l’entendre dire, ou les interviewés, politiques ou autres pratiquant éhontément la langue de bois…

  7. Noter que l’on trouve es plus belles « perles » venant de journalistes dans les sujets économiques et… »climatiques » (et l’aéronautique, mais là c’est un ancien du domaine qui parle)

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