La bonne conscience helvétique …

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Voici un article paru sur le site Swissinfo.ch sous la plume du Professeur de droit Mark Pieth. Comme je ne sais pas créer un hyper-lien j’ai laissé ceux existant dans cet article. À l’heure où on parle d’achats massifs d’or par certaines banques centrales, Turquie, Chine, Russie, … , pour s’affranchir de la dépendance vis-à-vis du dollar US il m’a paru intéressant de mettre cet article en ligne sur mon blog. Illustrations Keystone.

Ce n’est pas un secret : en finance comme en commerce des matières premières, la Suisse est une grande puissance. Mais peu de gens savent qu’elle importe près de 70% de l’or du monde et en raffine la moitié. Cette position implique une haute responsabilité car – et cela aussi, trop peu de gens le savent – l’exploitation des mines d’or comporte son lot de risques et de problèmes.

Les dommages sévères à l’environnement ne sont qu’un aspect. Le travail forcé, le travail des enfants, l’exploitation sexuelle, le crime organisé, la corruption et le blanchiment d’argent comptent aussi au nombre des dommages collatéraux des mines d’or, avec les expropriations des indigènes, chassés de leurs terres. Et l’or de la guerre est probablement le plus horrible de tous. Pensez au Darfour ou à l’Est du Congo, où tous les groupes armés utilisent les recettes des ventes d’or pour acheter des armes, prolongeant ainsi des guerres civiles meurtrières.

Sous la pression des ONG et de certains parlementaires, le Conseil fédéral (gouvernement suisse) vient de publier (le 14 novembre 2018) un sur le commerce de l’or et les droits de l’homme. À première vue, et à l’instar du «Rapport de base matières premières de mars 2013, le document présente une analyse du problème qui ressemble à un rapport d’Organisation non-gouvernementale (ONG). Mais en proposant que les raffineries achètent leur or principalement auprès des compagnies minières multinationales, ses auteurs rejettent l’entière responsabilité des problèmes d’environnement et des violations des droits de l’homme directement sur le secteur des petites mines artisanales.

Question de moyens d’existence

Quelques faits. Les petites mines ne produisent que 20% de l’or mondial, mais font travailler de 15 à 20 millions de personnes et en font vivre directement ou indirectement 100 millions. Les ignorer parce qu’elles sont exposées à davantage de risques ne peut pas être l’objectif du Conseil fédéral. Et ce n’est pas comme si les multinationales minières étaient sans risque, au contraire, elles sont souvent responsables de l’accumulation d’énormes quantités de déchets toxiques, qui contaminent les eaux au cyanure, et de l’appropriation des terres des communautés locales.

Comme à l’époque du Rapport sur les matières premières, le Conseil fédéral manque de la volonté politique de mettre réellement en œuvre sur le plan légal les meilleures pratiques universellement reconnues et les mesures telles que les lignes directrices détaillées de l’OCDE sur les droits de l’homme dans la chaîne de l’approvisionnement en or. Certaines ont pourtant été adoptées par des organisations industrielles telles que le «London Bullion Market Association and Responsible Jewellery Council» dans ses normes internes.

Les limites de l’autorégulation

Pourtant, l’OCDE elle-même, dans un rapport extrêmement critique, souligne des faiblesses flagrantes dans la pratique des raffineurs eux-mêmes. Par exemple, ils ne tracent l’origine de l’or que jusqu’à leurs fournisseurs immédiats et ferment les yeux sur tout ce qui s’est passé avant. Les audits censés préserver le système de diligence ne sont pas adaptés, car, selon l’OCDE, les firmes chargées de ces audits n’ont ni l’expertise ni la distance critique requises.

L’Union européenne en a tiré les conclusions qui s’imposent et a rendu les normes de l’OCDE contraignantes dans son nouveau Règlement sur les minerais provenant des zones de conflit de 2017, qui doit entrer en vigueur en 2021. En Suisse, par contre, le Conseil fédéral se tient à la position qu’il a déjà opposée à l’initiative pour des multinationales responsables : l’autorégulation vaut mieux que la régulation par les Etats.

Bien que la législation actuelle offre des moyens d’action faciles à mettre en œuvre (améliorer la réglementation sur le blanchiment d’argent ou activer la loi et l’ordonnance sur le contrôle du commerce des métaux précieux) et malgré les risques et les faiblesses flagrantes de l’autorégulation par l’industrie, le Conseil fédéral s’abstient de prendre une position claire. L’étude d’experts accompagnant le rapport qui vient de paraître compare la situation légale en Suisse avec celle de l’Afrique du Sud, des Emirats Arabes Unis et de l’Inde. Ces pays pourraient être les concurrents les plus durs des raffineries suisses, mais ils ne sont pas précisément connus pour leur respect des droits de l’homme.

Une fois de plus, le Conseil fédéral a montré qu’il se soucie davantage du business que des droits de l’homme. Mais il pourrait bien ainsi se tirer une balle dans le pied ou tout au moins se rendre à lui-même un mauvais service, en fournissant des munitions supplémentaires à ceux qui soutiennent l’initiative pour des multinationales responsables.

Mark Pieth est professeur de droit pénal à l’Université de Bâle. Il est connu pour avoir été le fer de lance d’initiatives contre la corruption et le blanchiment d’argent sous toutes ses formes par la régulation, la surveillance des pays, la mise en conformité, la défense des intérêts et l’arbitrage.

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Commentaire. La Suisse n’importe pas vraiment 70 % de l’or du monde mais c’est 70 % de l’or extrait ou recyclé dans le monde qui transite par la Suisse dont une partie seulement y est raffinée afin d’atteindre la qualité « bancaire » 4 neuf ou « or fin ». Cette activité est très lucrative mais il n’existe que peu d’informations quant à sa contribution au produit intérieur de la Confédération, c’est top secret. L’or se négocie à la City et non pas à la bourse de Zürich. En quelques chiffres. La Suisse importe environ 2600 tonnes d’or brut et recyclé par an provenant de 92 pays différents pour un montant d’environ 80 milliards de francs suisses. Il existe 4 raffineries importantes en Suisse représentant 40 % de la capacité mondiale de raffinage. Pour les curieux le raffinage de l’or consiste à convertir l’or en acide chloroaurique (HAuCl4) par dissolution de l’or dans un mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique concentrés (appelé aussi « eau régale »). L’acide chloroaurique est ensuite purifié par extraction liquide-liquide avec des solvants organiques. Enfin l’or est récupéré sous forme métal par électrolyse de la solution d’acide chloroaurique purifiée. L’extraction liquide-liquide est la technique de choix pour purifier les « terres rares ». Cette technique est basée sur les différences de solubilité d’un composé minéral (dans le cas de l’or l’acide libre lui-même) entre sa solution aqueuse et un solvant organique de polarité plus ou moins prononcée. Autre anecdote, l’essentiel du stock d’or de la Banque Nationale Suisse ne se trouve pas dans ses caves à Berne mais à Londres et aux USA.​​​​​​​

2 réflexions au sujet de « La bonne conscience helvétique … »

  1. Et c’est pas mieux voire pire avec certains métaux ou terres dits « rares », dont les mines sont souvent également en RDC, les raffineries, pour les terres rares, étant elles majoritairement en Chine.
    Conditions d’exploitation effroyables, tout comme la pollution, mais bon, c’est loin de chez nous, et c’est pour fabriquer, entre autres des énergies « propres », éolien et PV.

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