Quand j’habitais à Port-Vila je regardais la télévision (mais oui !) parce que j’avais acquis à Nouméa une parabole et un décodeur « Canal » pour regarder les jeux olympiques de Sydney en direct puisqu’il n’y avait qu’une heure de décalage horaire et quand je regardais les épreuves sportives en nocturne, assis devant la télévision, j’avais toujours à portée de la main une machette. Tout simplement parce que le séjour était un espace régulièrement emprunté par des scolopendres noirs de 15 à 18 centimètres de long se déplaçant toujours en couples, d’abord le mâle et ensuite la femelle légèrement plus grosse. Je m’empressais avec un plaisir non dissimulé de les couper en deux et les moitiés continuaient à progresser sans ordre pendant quelques secondes. J’ai toujours été terrorisé par ces insectes répugnants. Quelques années plus tard, j’habitais à Marie-Galante et à nouveau je fus confronté à la présence de ces sales bêtes. Un soir je reçus un coup de téléphone désespéré d’une amie bretonne qui me demandait de venir d’urgence la prendre en charge pour la conduire à l’hôpital, elle venait de se faire mordre par un scolopendre. Je n’invente rien j’ai vraiment cru qu’elle allait mourir dans ma voiture.
Il ne me fallut heureusement que quelques minutes pour arriver à l’hôpital et me garer en vitesse devant l’entrée des urgences. C’était une question de minutes. Elle avait perdu connaissance et le personnel, informé d’une morsure de scolopendre, fit immédiatement le nécessaire : un piqûre de tonique cardiaque, de l’oxygène et la procédure d’urgence habituelle. On ne plaisante pas avec ces arthropodes répugnants, repoussants dont la longueur atteint parfois 20 centimètres, c’est tout simplement épouvantable, terrifiant, surtout quand ils grimpent en haut des moustiquaires au dessus du lit et qu’ils se rassemblent attendant peut-être le moment propice pour vous piquer car ils sont agressifs, nerveux et vicieux.
Mais comment ces insectes, de gros mille-pattes en réalité, ont-ils fait pour être aussi nuisibles et dangereux ? C’est ce qu’a voulu savoir l’équipe de biologistes dirigée par le Docteur Changlin Tian de l’Université de Science et Technologie de Hefei en Chine, faisant appel à une collaboration internationale, pour résoudre ce problème qui préoccupe peut-être quelques milliards de personnes dans le monde car ces sales bêtes se trouvent partout dans les pays où le climat est propice. Ici dans l’archipel des Canaries il y en a et le seul moyen de s’en protéger, comme d’ailleurs à Marie-Galante, si on habite dans une maison dans la campagne est d’avoir quelques poules hautes sur pattes (des pattes quasiment recouvertes d’écailles) qui ne craignent pas les morsures de ces bêtes immondes dont elles raffolent !
Juste une petite parenthèse, je rédige de billet un peu compliqué en écoutant Sayaka Shoji, une artiste japonaise, interpréter le concerto pour violon No. 1 in D major Op. 6 de Paganini, rien de tel pour stimuler les neurones et oublier les mauvais souvenirs des « scolos ».
Le venin du scolopendre contient une toxine unique dans le monde animal. Il s’agit d’un petit peptide de structure compacte constitué de 53 acides aminés. Cette structure compacte est assurée par deux ponts disulfure un peu comme l’insuline, hormone de même taille mais comportant deux chaines peptidiques maintenues ensemble par deux ponts disulfure. Cette toxine de scolopendre d’un poids moléculaire de 6000 Daltons inhibe tous les types de canaux potassium provoquant une paralysie presque instantanée chez un petit animal (voir la vidéo) d’un poids pourtant 8 fois supérieur à celui du scolopendre provoquant rapidement une très forte hypertension suivie d’une perturbation du rythme cardiaque au niveau de l’onde T et d’un arrêt du coeur. Au niveau cérébral cette toxine induit une forte augmentation de l’acétylcholine et une crise de type épileptique durable. Enfin au niveau pulmonaire la ventilation est progressivement réduite de plus de 60 % entrainant une asphyxie fatale.
L’atout du scolopendre est que la synthèse de ce petit peptide est beaucoup plus rapide que celle d’un métabolite compliqué requérant une machinerie enzymatique devant elle-même être synthétisée à cet effet. Quand vous serez attaqué par un scolopendre, car ces sales bêtes sont terriblement agressives, souvenez-vous de l’ingéniosité diabolique de cet animal, résultat d’une improbable évolution …
Sources : http://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1714760115
movie-usa.glencoesoftware.com/video/10.1073/pnas.1714760115/video-1
Illustration : scolopendre à tête dorée (Scolopendra subspinipes)
J’ai regardé la vidéo, quelle horreur. J’ai vu des tas de ces sales bêtes au Zaîre / R.D. Congo actuellement, mais je ne savais pas qu’elles étaient si dangereuses et je frémis rétrospectivement car j’aurais pu me faire piquer en pleine brousse et y rester. Merci pour l’info, que je vais partager.
L’une des choses que je trouve magnifique chez les scientifiques c’est cet esprit de recherche, pouvant se faire même sur ce qui est détesté.
Cela me fait penser à ces jeunes qui ont étudié les raisons pour lesquelles les spaghettis se cassent en trois à quatre parties plutôt que deux lors d’une torsion.
Ils en ont trouvé les causes, une histoire de vibration interne des pâtes au moment où elles se rompent.
Je m’imagine ces deux, trois, quatre types et nanas qui, un soir, se retrouvaient pour une bouffe entre pote et devant la gamelle pleine d’eau bouillante, remarquèrent que les spaghettis ne se cassaient pas en deux mais en plusieurs morceaux, qui en avaient avancé des hypothèses puis, peut-être, firent des paris.
Puis commencèrent des recherches puis en viennent à en publier les résultats.
Mais le plus marrant dans tout cela, c’est que la poutre en acier réagit aux torsions de la même façon que le spaghetti et grâce à cette histoire somme toute rigolote, aide, de ces analyses, les architectes et les ingénieurs.