Un monde sans antibiotiques pour bientôt ?

L’humanité toute entière est au bord d’un gouffre sanitaire incontrôlable en raison des résistances à tous les antibiotiques connus d’un nombre de plus en plus important de bactéries pathogènes. En Europe seulement plus de 25000 décès annuels sont provoqués par des infections intraitables, en particulier dans les hôpitaux, qui il y a quinze ans à peine étaient banalement éradiquées à l’aide de produits encore efficaces. Avant la deuxième guerre mondiale la tuberculose était la deuxième cause de décès et la pneumonie la quatrième. Durant les années 1950-1960 grâce à l’apparition de la pénicilline puis de la streptomycine et des sulfamides ces deux maladies souvent mortelles furent pratiquement éradiquées des pays de l’OCDE. La seule introduction de la pénicilline a permis de sauver des dizaines de millions de vies et d’allonger l’espérance de vie de plus de 10 ans.

Hélas des résistances ont vu le jour très rapidement car les bactéries se multiplient très rapidement aussi et elles mettent au point des stratégies de survie en dépit de la sophistication des molécules chimiques. De plus, entre la découverte d’une nouvelle molécule prometteuse au laboratoire et sa mise sur le marché il peut se passer plus de dix ans de recherche intensive et les laboratoires pharmaceutiques hésitent à investir des sommes importantes pour des résultats hautement aléatoires. La « mode » des antibiotiques pour soigner tout et n’importe quoi – y compris les maladies d’origine virale – a aggravé la situation et le corps médical fait partie des acteurs, il faut malheureusement le dire, favorisant l’apparition de résistances aux antibiotiques.

Enfin un autre facteur souvent ignoré du grand public est l’usage intensif d’antibiotiques pour les animaux d’élevage car ils favorisent la croissance de ces derniers. Les élevages constituent dès lors un terrain unique pour les apparitions de résistances quand on sait que 80 % des antibiotiques utilisés en médecine humaine sont aussi utilisés en usage vétérinaire. En Belgique par exemple il se vend 70 tonnes d’antibiotiques (seulement les matières actives) chaque année exclusivement pour l’élevage et en Suisse « seulement » 40 tonnes par an alors que ce pays n’est pas particulièrement inondé de fermes d’élevage intensif que ce soient des porcs, des poulets ou des bovins. J’ai recherché en vain des statistiques pour les USA et la France, elles sont introuvables et il semble que ce soit l’omerta totale pour ne pas effrayer les consommateurs de hamburgers, de cuisses de poulet, de jambon … et de saumon.

Il existe des alternatives aux antibiotiques, en particulier au niveau vétérinaire, comme les vaccins. Mais les campagnes d’opposition aux vaccins à usage humain ont rendu les éleveurs méfiants et la mise au point de vaccins est également longue et coûteuse. Le problème reste donc entier et il n’existe pas de solution miracle en vue.

Sur le plan strictement biologique la résistance aux antibiotiques provient soit d’une adaptation de la bactérie ciblée à cette substance étrangère, soit à l’acquisition d’un gène de résistance existant au préalable chez une bactérie d’une autre espèce. Il s’agit alors de transmission horizontale de cette résistance. Dans la première éventualité, si la cible est connue il est alors possible de modifier la molécule originelle pour que la bactérie ne puisse plus s’en accommoder mais toute modification d’une molécule déjà homologuée nécessite une nouvelle homologation, ce qui prend beucoup de temps (et d’argent). Quant aux transmissions horizontales, entre l’élevage, formidable usine à fabriquer des résistances et les rivières – et donc les sols – inondés d’antibiotiques présents dans les eaux usées que les stations d’épuration ne sont pas capables d’éliminer, la transmission horizontale des résistances a encore de beaux jours devant elle.

Cette peinture terrifiante d’un futur, très proche quoiqu’en pensent les décideurs, où les taux de mortalité en particulier infantile explosereront sans que l’on puisse exercer le moindre contrôle, nous ramènera dans les années 1930 quand on mourrait de tuberculose, les sanatoriums étaient de gigantesques mouroirs, et quand la moindre pneumonie emportait un enfant sur trois eh Europe, au Japon ou en Amérique du Nord.

Il reste un dernier point au sujet non plus de la résistance aux antibiotiques au sens strict du terme mais de la prescription abusive des antibiotiques trop considérés par le corps médical comme des médicaments de confort : l’affaiblissement des défenses immunitaires de l’organisme puisque ces médicaments ne lui permettent pas de construire la moindre réaction immunitaire le plus souvent durable et qui protégerait alors un individu contre une nouvelle agression bactérienne. Il s’agit là de l’autre aspect négatif de la prescription à outrance des antibiotiques. Bienvenue dans un monde sans antibiotiques où la sélection naturelle rejouera son rôle entier ? Peut-être, mais des centaines de millions sinon des milliards de personnes y perdront leur vie …

Inspiré d’un article paru sur RTSinfo. Illustration CDC

10 réflexions au sujet de « Un monde sans antibiotiques pour bientôt ? »

    • C’est une des possibilités en effet. Il y a cependant un goulot d’étranglement : certains antibiotiques ont (avaient) un spectre large. Or à ma connaissance les bactériophages sont spécifiques d’une seule bactérie. Il y a donc beaucoup de travail de recherche à effectuer pour trouver un phage multispectral et ce serait effectivement idéal …

  1. L’agence européenne du médicament vient tout juste d’autoriser la phagothérapie qui n’en est qu’à ses balbutiements en UE.
    De mémoire, les Russes et autres ex-pays satellites ont une plus grande pratique de cet outil.

  2. Ping : Un futur sans antibiotiques efficaces ? | Contrepoints

  3. Ping : Un futur sans antibiotiques efficaces ? – Courtier en Bourse

  4. Pas d’accord avec vous :
    1. sur les donnés de consommation accessibles ici:
    http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Evolution-des-consommations-d-antibiotiques-en-France-entre-2000-et-2015-Point-d-Information
    Les vétos ont fait d’énormes efforts pour réduire la consommation des ATB (cf lien),
    2. La situation n’est pas catastrophique concernant la prise en charge des infections à cocci à gram positif (staphylocoque, entérocoque..). Les labos ont mis sur le marché de nombreuses molécules qui nous aident,
    3. La situation est moins évidente pour le infections à bacilles à gram négatif pour lesquelles le panel d’ATB efficaces est plus limité,
    4. Les médecins sont de plus en plus sensibilisés aux bonnes pratiques de l’antibiothérapie,
    5. les patients voyagent avec leur microbiote et leur bactéries multi-résistantes en particulier dans le tube digestif. Ce qui pose d’énormes pb en cas d’admission dans nos établissements de soins lors des transferts sanitaires (patient placé d’emblée en isolement),
    6. L’accès aux soins se généralise au niveau mondial, la demande en médicament devient de plus en plus forte. Il n’est pas rare que des chaînes production de certaines molécules soient stoppées (rupture de stock et plus d’approvisionnement pour certaines d’entre-elles). Situation de plus en plus fréquente, système D pour trouver des équivalence,
    7. Pour les phages, une équipe lyonnaise a traité avec succès quelques infections osto-articulaires complexes sur prothèse à bactérie multirésistante

  5. Peut-on imputer à ce trop-plein d’antibiotiques la progression des DICV (affection dont je suis atteinte et pour laquelle je suis traitée) ? La qualification de cette ALD de « maladie rare » me paraît usurpée ; dans le service d’infectiologie où je suis suivie, les infirmières me disent en soigner environ six par jour, notamment des nourrissons…

    • Je ne suis pas médecin et je ne peux pas vous répondre précisément car j’usurperais mes qualités d’ancien biologiste fondamentaliste. Cependant je ferai une remarque : l’abus d’antibiotiques ne laisse pas à l’organisme le temps d’organiser sa propre défense contre un agresseur externe qu’il soit bactérien ou viral (dans une moindre mesure puisqu’il existe peu d’anti-viraux). Le système immunitaire se trouve par conséquent affaibli et incapable de « faire son travail » normalement. Quand j’étais enfant la grippe, le mal de gorge et les maladies infantiles communes se soignaient naturellement. Il fallait laisser la fièvre monter, signe que l’organisme se défendait. Aujourd’hui pour le moindre mal de gorge le médecin prescrit des antibiotiques, des fébrifuges et à la limite des anti-inflammatoires : c’est aberrant et je dirai même criminel !

  6. De 14 à 20ans, j’étais affligé chaque hiver à plusieurs fois, d’un mal de gorge qui n’avait rien de viral. Le passage chez le médecin était sans effet puisqu’il était effectué 2jours après les premières douleurs, le cas échéant.
    Mes maux de gorges se sont considérablement espacés avec 2 pratiques : une plus grande déglutition par des bonbons ou du thé, et le port d’un châle de façon quasi permanente !
    Attention, le mal de gorge d’origine bactérienne n’a pas été bon pour mon cœur (valvules légèrement grignotées…)

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