Tout le monde ou presque a entendu parler du « maïs Bt » de Monsanto, une plante génétiquement modifiée pour produire la toxine « crystal » du Bacillus thuringiensis. Inutile d’y revenir car cette toxine n’affecte que les insectes en perforant leur intestin mais n’a strictement aucun effet sur les autres créatures vivantes sauf qu’elle est également toxique pour les nématodes, ces vers non segmentés qui parasitent les intestins. On estime qu’il y a plus d’un milliard de personnes dans le monde parasitées par ces vers, trichiures, ascaris, filaires et autres necators et cela dans tous les pays. On estime qu’il y aurait plus de 25000 espèces de nématodes différentes dont la moitié sont des parasites. Pour l’homme et les animaux d’élevage il existe quelques traitements médicamenteux mais le problème de l’apparition de résistances devient très préoccupant car il n’existe que 4 produits autorisés pour traiter ces parasitoses.
C’est la raison pour laquelle des équipes de recherche se sont orientées vers la toxine Bt car son utilisation dans l’agriculture sous forme de pulvérisation de bacille vivant n’a jamais révélé de toxicité pour l’homme ou les animaux depuis plus d’un demi-siècle. Et a fortiori les plantes génétiquement modifiées pour exprimer cette toxine sont anodines pour l’homme. Quant à l’apparition de résistances chez les insectes, elle pourra toujours être contournée en raison de la multiplicité des formes de Bt disponibles.
Quand un individu est parasité par un nématode le problème consistera à administrer la toxine par voie orale afin qu’elle atteigne l’intestin sans être dégradée par le processus de digestion. De plus il faudra qu’elle soit libérée lentement afin de tuer tous les nématodes présents dans le tube digestif. C’est pour ces raisons qu’une équipe de biologistes de l’Université de Caroline du Nord à Raleigh a imaginé d’utiliser le Lactococcus lactis pour démontrer qu’il était possible d’administrer cette toxine de manière douce et efficace. Pourquoi ce choix, tout simplement parce que d’une part cette bactérie est inoffensive pour l’homme et elle est largement utilisé dans l’industrie laitière et d’autre part elle est facilement modifiable génétiquement et est largement utilisée dans l’industrie pharmaceutique pour produire notamment des vaccins et d’autres protéines recombinantes à usage thérapeutique.
La bactérie a été modifiée de telle façon qu’elle sur-exprime la toxine Cry ou son homologue tronqué tCry et qu’elle emmagasine la toxine ou au contraire qu’elle l’exporte dans le milieu externe. La bactérie peut être administrée vivante par encapsulation ou associée à un aliment d’origine lactée. Dans ces conditions elle survit relativement bien aux enzymes de la digestion et à la bile pour pouvoir atteindre le duodénum. Dans la théorie cet outil peut être couronné de succès pour combattre les parasitoses et son efficacité a déjà été démontrée chez des rats.
Reste à savoir si un tel organisme génétiquement modifié sera autorisé pour des traitements thérapeutiques par voie orale compte tenu de la scandaleuse campagne de dénigrement des plantes génétiquement modifiées exprimant la toxine Bt. Quand les travaux seront pleinement couronnés de succès chez l’homme, ce que les auteurs de cette étude considèrent comme tout à fait probable, on assistera alors à une bataille judiciaire et idéologique qui risque de devenir tout à fait épique malgré le fait que des centaines de millions de personnes souffrent de parasitoses qui pourraient être élégamment traitées par cette approche innovante et totalement inoffensive pour les vertébrés dont l’homme.
Source Applied and Environmental Microbiology doi : 10.1128/AEM.02365-15