Le glaucome est devenu la première cause de cécité chez les « vieux » depuis que l’on peut opérer efficacement les personnes ayant perdu la vue à la suite d’une cataracte et son origine est communément liée à une tension oculaire trop élevée. Cette tension entrainerait une détérioration progressive des connexions nerveuses au niveau de la rétine, c’est du moins ce qu’on apprend dans les livres de médecine et ce que les ophtalmologistes ont retenu de leurs études. Ce qui intriguait les médecins et les biologistes était le fait que l’hypertension oculaire pouvait préexister bien avant l’apparition des premiers symptomes de perte de vision latérale puis centrale. De plus près de 50 % des personnes souffrant de glaucome avec perte progressive de la vision latérale ne présentent pas de tension oculaire anormale. Le glaucome est en effet une maladie qui évolue lentement et quand les troubles de vision apparaissent il est toujours trop tard car il n’existe aucun traitement efficace. L’hypertension oculaire peut être traitée à l’aide de médicaments ou par une intervention chirurgicale au niveau de l’iris pour faciliter le drainage de l’humeur aqueuse.
Devant ce tableau clinique contrasté conduisant irrémédiablement à une détérioration des ganglions nerveux rétiniens des biologistes ont utilisé un modèle animal, en l’occurence une lignée de souris, pour étudier plus en détail cette maladie. Même s’il s’agit d’un modèle animal il est tout de suite apparu qu’en réalité la tension oculaire est un épiphénomène qui accélère l’évolution de la maladie mais ne semble pas en être la cause primaire. Pour bien comprendre ce qui se passe il faut se souvenir que les capteurs de la rétine, cônes et batonnets, se trouvent « au fond » de l’oeil et les ganglions nerveux plus près de l’humeur aqueuse et séparés de celle-ci par une membrane qui ne figure pas dans le schéma ci-dessous. Cette membrane se situerait sur la gauche du schéma et l’humeur aqueuse est l’espace blanc d’où arrivent les photons symbolisés par des petites flèches jaunes. Les petits traits rouges orientés vers le bas sont les axones qui se regroupent tous vers le disque optique, une zone aveugle de la rétine pour former le nerf optique. On comprend assez aisément qu’une tension oculaire élevée puisse endommager l’architecture extrêmement délicate du système de collecte des informations visuelles pour être transmises au cortex visuel dans le cerveau :
Sur la droite les récepteurs, cônes et bâtonnets, transmettent le signal électrique à un complexe de cellules nerveuses bipolaires (matérialisé en une couche jaune) qui collectent des paquets de signaux – en informatique on parlerait d’octets – et transmettent ces signaux à d’autres cellules nerveuses bipolaires dites cellules amacrines (en rouge dans le schéma) qui ne sont en réalité que des connecteurs – en informatique on parlerait d’un cable USB – envoyant les paquets de signaux électriques aux terminaisons axonales du nerf optique. C’est compliqué mais ça marche très bien jusqu’au jour où le transport axonal en provenance du cerveau devient défectueux. En effet, le nerf optique est en définitive un gros cable électrique isolé par de la myéline et tout matériel métabolique et protéique arrive du cerveau jusqu’à la rétine et non pas l’inverse. Le centre stratégique d’alimentation des axones terminaux du nerf optique au niveau de la rétine est une région du mésencéphale appellée colliculus antérieur. Comme le glaucome présente des analogies avec d’autres maladies neurodégénératives comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson et qu’au cours du développement de ces maladies il apparaît des pertubations du transport axonal de métabolites variés et le modèle animal étudié à l’Université Vanderbilt à Nashville dans le Tennessee a permis de lever ce doute.
Le glaucome, pas nécessairement lié à une tension oculaire élevée, est bien provoqué par un défaut de transport axonal et la pression oculaire aggrave ce défaut finissant par tuer les terminaisons axonales du nerf optique pour conduire au stade ultime à une cécité totale. La question importante qui reste en suspens est la cause de ce dérèglement du transport axonal et la manière d’y rémédier. De plus amples travaux doivent s’orienter pour comprendre par exemple pourquoi certaines protéines ne sont plus transportées le long des axones ou seulement à une vitesse très réduite. L’étude du transport axonal lent est une discipline relativement récente et c’est dans cette direction que l’on trouvera peut-être la cause des maladies neurodégénératives en général et du glaucome en particulier.
Source en accès libre : www.pnas.org/content/107/11/5196.full.pdf?with-ds=yes , illustration Wikipedia inspirée d’un dessin de Ramon y Cajal, prix Nobel de médecine 1911, qui fut le premier à visualiser les connections nerveuses de la rétine.
Avec l’âge, la synthèse d’acides gras à longue chaîne se fait plus difficilement. Y aurait-il un lien avec une altération de la gaine de myéline des axones, ou de la membrane lipidique des axones? Auquel cas, le glaucome et la démence seraient de cause commune.
Il y a toutes sortes d’hypothèses possibles. La plus plausible est un ralentissement du transport axonal lent de macromolécules structurales comme les microfibrilles. Ce transport axonal lent est encore très mal connu et les causes de son ralentissement sont inconnues. Les diverses équipes de médecins de la Vanderbilt que j’ai contacté n’ont pas pu faire progresser leur connaissance. Ils soupçonnent un défaut progressif de l’apport énergétique des mitochondries, c’est-à-dire une sénescence de ces organites sub-cellulaires. Ils semblent donc pencher sur un défaut en glycine des mitochondries des neurones et rejoignent les travaux de l’Institut Riken de Tsukuba (voir mon billet du 8 juin 2015).
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