Qui dit neutrons dit aussi « bombe à neutrons », un truc dévastateur dont on a tous entendu parler un jour. Bombe, neutrons, neutrons rapides, des sujets qui font peur mais dont les applications civiles doivent être considérées comme parmi les plus grandes avancées technologiques de ces soixante-dix dernières années car la soif d’énergie de l’humanité ne connait pas de limite sinon celle de son propre développement. Une énergie fiable et peu coûteuse est en effet le moteur essentiel et irremplaçable de ce développement. Et le neutron, cette particule sub-atomique neutre comme son nom l’indique, a joué un rôle fondamental dans la mise au point des armes nucléaires, ce qui n’est pas et de loin la meilleure invention de l’homme, mais aussi et surtout l’exploitation civile de la fission nucléaire qui se poursuivra avec le thorium et la surrégénération pendant de nombreuses générations à venir. Or qui dit fission dit neutrons et la détection de ces derniers a toujours été problématique alors qu’il s’agit d’un élément clé dans le pilotage et la sécurité des installations nucléaires mais aussi dans la détection de matériel radioactif genre plutonium hors d’installations dédiées à ce type de matières, en d’autres termes l’identification du trafic illicite de matières fissiles.
Puisque le neutron n’est pas chargé électriquement comme le proton (positif) et l’électron (négatif) il ne peut être la source directe d’un signal électrique détectable. On utilise alors une approche indirecte pour cette détection. Pour ce faire il faut que le neutron interagisse avec le noyau d’un élément chimique capable de l’absorber ou de le « capturer » le mieux possible en émettant ensuite des particules ionisées ou des photons alors détectés facilement. Les candidats sont l’hélium-3, le lithium-6, le bore-10 et enfin l’uranium-235. Le bore est un modérateur à neutrons communément utilisé dans les centrales nucléaires mais pour un détecteur de neutrons il faut utiliser du trifluorure de bore gazeux mais extrêmement toxique et corrosif et de plus on ne peut utiliser que du bore-10 qu’il faut enrichir à partir du bore naturel qui ne contient que 20 % de cet isotope. L’idéal est l’hélium-3 qui capte les neutrons encore mieux que le bore mais malheureusement la production de cet isotope provient de la fission nucléaire dont l’un des produits incontournables est le tritium. Il y a tellement peu d’hélium-3 dans l’atmosphère qu’il est impossible de le purifier. La production industrielle de l’hélium-3 se fait dans un réacteur à haut flux par bombardement de deutérium, de lithium ou de bore qui génèrent du tritium dont la demi-vie est d’une douzaine d’années conduisant à l’hélium-3 par désintégration beta, un électron et un antineutrino :
Le problème réside dans le fait que l’hélium-3, s’il n’est pas extrait en permanence du réacteur (pour simplifier) a tendance à recapturer un neutron pour redonner du tritium de qui explique son prix. En effet le prix de l’hélium-3 est donc proportionnel à la difficulté de sa production dont une partie provient du démantèlement de l’arsenal thermonucléaire des trois principaux pays nucléarisés militairement que sont les USA, la Russie et … la France ! Les spéculateurs qui s’intéressent à l’or sont vraiment à l’ouest puisque l’hélium-3 que vous pouvez garder dans une bouteille dans votre salon car il n’est pas radioactif coûte environ 15000 dollars le gramme (7,5 litres), ça laisse rêveur en comparaison du cours de l’or qui tourne autour des 45 dollars le gramme.
C’est la raison pour laquelle une intense recherche dans le domaine de la détection des neutrons a fini par aboutir, enfin, à un espoir réel de mise au point d’un détecteur facile à mettre en œuvre à un prix abordable en s’affranchissant des contraintes économiques de l’approvisionnement aléatoire en hélium-3 et de la toxicité du trifluorure de bore. Il s’agit d’une mousse de carbone recouverte de carbure de bore, le tout baignant dans du xénon. Le bore capte les neutrons et émet un rayonnement alpha qui ionise le xénon. Ce dernier gaz émet alors un rayonnement UV de haute énergie pour revenir à son état initial et ce rayonnement est détecté par un photomultiplicateur sensible à ces UV. Il s’agit pour l’instant d’une démonstration en laboratoire mais à n’en pas douter des améliorations comme l’incorporation d’un détecteur « solid-state » directement dans la chambre d’ionisation optimisant le « comptage » des photons ou encore l’utilisation de bore-10 plutôt que de bore naturel rendront très prochainement ce détecteur à neutrons facile d’utilisation dans de nombreux domaines de l’industrie et de la recherche concernés par des flux de neutrons mais aussi pour tracer le commerce illégal de matières fissiles.
Source et illustration : Applied Physics Letters en accès libre, (http://dx.doi.org/10.1063/1.4914001)