Depuis que j’habite (maintenant définitivement) au Japon j’ai oublié mes chroniques japonaises et c’est presque paradoxal. La première raison est que dans le tout petit village blotti au pied de collines escarpées où je me trouve il ne se passe rien en dehors du bateau qui dessert l’île tous les six jours depuis Tokyo en déversant quelques touristes aventureux ou des nostalgiques des années durant lesquelles les Américains étaient maîtres des lieux. Chichi Jima et les îles et rochers environnants ont été rétrocédés au Japon en 1968. Du temps de l’occupation consécutive à la victoire des Américains sur le Japon l’archipel s’appelait Bonin Islands. Depuis cette époque cet endroit perdu au milieu de l’océan fait partie de la municipalité de Tokyo et on y trouve tout le confort japonais : rien n’est laissé au hasard à quelques tout petits détails près. Par exemple la circulation automobile est telle qu’on se demande bien pourquoi il y a deux feux rouges à l’embranchement de deux rues où circulent aux heures de pointe, s’il y en a, tout au plus dix voitures à l’heure sauf quand le bateau vient d’arriver ou est sur le point de repartir. Les habitants ne se gênent pas pour garer leur voiture dans la rue, ce qui est strictement interdit à Tokyo et ailleurs dans les grandes villes du pays. J’ai aussi noté que les habitants du lieu n’étaient pas aussi stricts sur le tri des papiers et autres plastiques comme dans la grande ville. Mais ce ne sont que des détails insignifiants …
Le bateau, l’Ogasawara maru (voir le lien), apporte depuis Tokyo l’essentiel de la subsistance des quelques deux mille cinq cent habitants du village dont je fais maintenant partie. Au mois de janvier, ce vieux rafiot de 135 mètres de long, passablement rouillé, a été immobilisé pendant trois semaines pour des opérations de maintenance sur les moteurs de propulsion. Après dix jours il n’y avait plus rien à manger dans l’île et la situation était devenue tellement critique que la Municipalité de Tokyo a dépêché un petit cargo pour ravitailler la population mais aussi les écoles primaires et Junior High, l’hôpital, l’hospice de vieillards, la crèche et tout simplement la population.
En dehors de quelques toutes petites plaines proches de la mer, on ne peut en effet rien cultiver car le relief est escarpé et rocailleux. La seule ressource est l’océan mais c’est une source de nourriture limitée dans la mesure où l’archipel se trouve au milieu de la plus grande réserve maritime, patrimoine mondial de surcroit, de la région Pacifique Nord-Ouest et les marins-pêcheurs n’ont pas le droit de capturer n’importe quoi. L’archipel est un lieu de naissance des veaux des baleines à bosse mais aussi pour les frayères des tortues luths et de nombreuses autres espèces marines, dauphins, orques, raies manta et j’en passe. Les îles inhabitées sont un refuge pour les oiseaux marins et interdites d’accès. Devant le village, une plage de sable blanc s’ouvre sur des récifs coralliens peuplés de milliers de poissons de toutes les couleurs et il y a des dizaines d’autres petites criques accessibles seulement à pied ou en bateau. J’en ai déjà exploré quelques unes au prix d’un dénivelé de 200 mètres au milieu d’une forêt semi-aride d’arbres de fer et de pandanus … Une certaine image du paradis …
Il y a quelques jours, lors du nouvel an chinois, près d’un demi million de Chinois sont venus au Japon, mais pas à Chichi Jima, faire leurs emplettes en dépensant près d’un milliard de dollars sur place et le produit japonais le plus prisé après le cuiseur à riz entièrement automatique s’est trouvé être les sièges de toilette bourrés d’électronique assurant une cuvette parfaitement propre après usage et y compris une propreté irréprochable des orifices naturels de l’utilisateur dûment douchés et séchés avec de l’air tiède, des sièges équipés de détecteurs appropriés pour remplir leur fonction hygiénique de manière optimale. Le nec plus ultra du confort domestique moderne made in Japan par la firme géante Toto (voir le lien).
Pour se rendre à Chichi Jima il faut consulter le site internet qui commence par Ogasawara (très bien conçu) en langue anglaise et se rendre à l’évidence qu’il faut perdre vingt cinq heures et demi pour chaque traversée depuis Tokyo. Le plus simple est de prendre la Yamanote en direction de Shinagawa (vers le sud) et descendre à la sortie nord de la station Hamamatsucho et suivre les indications pour aller jusqu’à l’embarcadère. Il y a un combeni au coin de la rue pour faire le plein de sandwichs et autres denrées mais il y a tout ce qu’il faut à bord. Je conseille à mes lecteurs cette destination touristique hors normes, ils ne seront pas déçus …
C’est tout pour cette première chronique depuis que le Japon m’a adopté …
Lien :http://www.ogasawarakaiun.co.jp/english/
http://www.toto.co.jp/products/toilet/neorest/index.htm?_ga=1.207162835.170709295.1425600289