Notre organisme possède deux types de réserves d’énergie, le glycogène qu’on trouve dans le foie et les muscles, c’est un polymère de glucose qui se forme quand le taux de glucose dans le sang dépasse un certain seuil et ce processus est commandé par l’insuline, quand tout se passe bien, et le même processus a lieu dans les muscles. Il y a un autre système de stockage de l’énergie qui est constitué par la graisse dite brune ou encore « bonne » graisse. D’abord cette graisse est particulière parce qu’elle se trouve dans des cellules adipeuses le plus souvent associées au système musculaire et elle est brune parce que ces cellules censées fournir de l’énergie à la demande sont très riches en mitochondries dont la couleur est effectivement brune car elles contiennent des pigments contenant du fer. Les mitochondries sont les centrales énergétiques de toutes les cellules et quand il y a une demande soudaine en énergie, par exemple un effort musculaire, elles brûlent littéralement les graisses avec un équipement enzymatique particulièrement efficace pour quasiment inonder le tissu annexe avec de l’ATP (adénosine triphosphate), l’unité d’énergie de l’organisme. Pour que tout fonctionne bien la graisse se trouve sous forme de très fines gouttelettes dans ces cellules pour qu’elle soit justement rapidement disponible. C’est tout le contraire avec la graisse blanche qui a envahi la cellule et bloqué la vascularisation des tissus adipeux, les « mauvais » tissus adipeux, alors que la graisse brune est richement irriguée de fins vaisseaux pour transporter l’énergie le plus rapidement possible et recevoir également l’oxygène tout aussi rapidement. De surcroit la graisse « blanche » se présente sous forme de gros amas inaccessibles contrairement à la graisse brune.
La graisse brune joue un autre rôle essentiel qui est le maintien de la température du corps en brûlant encore une fois des graisses, cette fois sans produire d’énergie mais au contraire de la chaleur. Pour terminer cette petite entrée en matière déjà passablement compliquée, il faut rappeler que les graisses qui sont stockées dans les tissus adipeux bruns (ou blancs) sont fabriquées à partir des sucres, du glucose et du fructose, et non pas comme on a tendance à le croire à tort à partir des graisses que l’on ingère car ces dernières sont dégradées dans le foie pour également fournir de l’énergie par un autre système.
Donc, la température du corps est régulée par les tissus adipeux bruns et on peut facilement visualiser ces derniers en imagerie par émission de positrons en injectant dans le sang un analogue du glucose, le désoxyglucose marqué avec du fluor radioactif ( F18). J’en ai déjà parlé dans un billet mais ce marqueur est un outil de choix pour visualiser les tissus adipeux bruns ou plus généralement la graisse brune. Ce fluor radioactif a une demi-vie d’un peu plus de 100 minutes, de quoi réaliser un examen radiologique mais il faut également qu’on puisse le produire sur place en bombardant dans un cyclotron de l’eau enrichie en isotope 18 de l’oxygène qui capte un proton, plus prosaïquement un noyau d’hydrogène, pour former ce fluor 18. Il faut ensuite vite synthétiser le désoxyglucose marqué, c’est maintenant réalisé avec un robot, et aller tout aussi vite dans le service de radiologie de l’hôpital le plus proche. Le fluor 18, quand il revient à sa destination initiale, émet deux positrons simultanément qui partent dans deux directions opposés et il reforme alors de l’oxygène 18, l’autre isotope stable de l’oxygène. Le tomographe détecte donc seulement les positrons deux par deux émis en coïncidence et un traitement informatique adéquat permet de réaliser une image de l’endroit où le désoxyglucose marqué est allé préférentiellement s’accumuler puisque les tissus croient qu’il s’agit de glucose. Et les tissus adipeux bruns font partie de ceux-la car leur métabolisme est très actif comme d’ailleurs celui des tumeurs, cette technique d’imagerie est pour ces raisons largement utilisée pour localiser ces dernières.
Comme on peut le constater sur cette image le désoxyglucose-F18 se retrouve naturellement dans le foie, on s’y attendait, mais aussi dans les tissus adipeux bruns qui se trouvent à l’intérieur du corps et non pas à l’extérieur comme les tissus adipeux blancs devenus inutiles pour l’organisme et n’ayant plus d’autre fonction que de dégrader la silhouette des personnes obèses ou en surpoids. Dans ce cliché la réponse rénale est élevée car d’une part le rein est « colonisé » par de la graisse brune.
Mais revenons à la régulation de la température du corps. Il existe une température extérieure, vingt quatre degrés précisément, qui correspond au minimum de dépense énergétique de l’organisme pour spécialement maintenir sa propre température à 37 degrés, pour nous humains. En deçà l’organisme dépense de l’énergie pour se chauffer, au delà il dépense de l’énergie pour se refroidir car plus il fait chaud plus l’échange de température entre le corps et l’air ambiant est difficile, c’est un principe thermodynamique fondamental qui veut que la chaleur va toujours du corps chaud vers le corps froid. Pour étudier dans le détail ce qui se passe au niveau des tissus adipeux bruns au cours de la régulation thermique du corps il n’y a pas d’autre solution que de soumettre des volontaires à diverses températures ambiantes et d’observer par tous les moyens dont dispose un biologiste quelles sont les modifications du métabolisme, d’une part, et donc des tissus adipeux bruns, d’autre part, justement par tomographie d’émission de positrons. C’est ce qui a été entrepris au National Institute of Health à Bethesda près de Washington dans le cadre d’un programme d’étude des effets de l’exposition chronique de l’organisme au froid et ses conséquences sur le développement éventuel du diabète puisque tout est en définitive une histoire de glucose.
Les résultats obtenus sont contre-intuitifs comme on va le voir plus loin en ce qui concerne le tissu adipeux brun. Cinq volontaires en bonne santé ont accepté de se soumettre pendant plusieurs mois à un test, contre une substantielle rémunération puisqu’ils étaient isolés dans ce qu’on appelle une chambre métabolique qui permet d’effectuer toutes sortes de mesures durant les dix heures au cours desquelles ils n’exerçaient pas leur activité professionnelle, c’est-à-dire la nuit. Une chambre métabolique permet de mesurer la chaleur dégagée par le corps, l’oxygène consommé et le gaz carbonique et l’eau rejetés par la respiration, etc. Le premier mois ils se reposaient et dormaient dans une pièce à la température de 24 degrés, celle dont j’ai parlé plus haut, le mois suivant ils dormaient à une température ambiante de 19 degrés, retour à 24 degrés le mois suivant pour revenir à une sorte de condition de contrôle et enfin le dernier mois à 27 degrés. Chaque fin de mois une série de paramètres impressionnante était scrupuleusement analysée et les volontaires étaient soumis à une tomographie par émission de positrons pour se faire une idée de l’évolution de leur tissu adipeux brun. Le protocole à chaque fin de mois était donc le suivant :
Lors du mois passé, la nuit, à 19 degrés, on aurait pu s’attendre intuitivement à une diminution significative du tissu adipeux brun puisque l’organisme dépense de l’énergie pour maintenir sa température à 37 degrés. Pas du tout ! Comme le montrent clairement les imageries par émission de positrons, c’est tout le contraire qui se passe.
L’organisme dépense moins d’énergie pour se réchauffer et plus d’énergie pour se refroidir et le tissu adipeux régresse après trente nuits passées à dormir à 27 degrés suivant le mois de référence à 24 degrés où il était revenu à la normale. Ce résultat est totalement contre-intuitif et il a été vérifié avec une série de paramètres sanguins dont une plus grande sensibilité à l’insuline et aux hormones thyroïdiennes. Ce résultat suggère que les personnes qui se trouvent dans des conditions de vie leur permettant d’accumuler plus de graisses brunes ont besoin de moins d’insuline que leurs contreparties ayant moins de graisses brunes pour réguler le taux de glucose sanguin. L’une des conclusions suggérées par cette étude est que l’utilisation forcenée de l’air conditionné aurait des effets dévastateurs sur le métabolisme des graisses car lorsque les tissus adipeux bruns sont saturés l’organisme choisirait alors de stocker ses surplus de graisses dans les tissus adipeux blancs, ceux qui causent le surpoids et l’obésité et par voie de conséquence l’apparition de diabète. Et il s’agit pourtant d’une différence discrète de seulement 3 degrés ! En conclusion, à côté d’une mauvaise alimentation, trop riche en sucres, et d’un manque d’exercices physiques réguliers, s’abstenir de mettre l’air conditionné la nuit quand il fait chaud ne peut avoir que des effets bénéfiques sur la santé. On peut tout de même encore dormir confortablement quand la température atteint 27 degrés dans sa chambre surtout si c’est pour éviter de devenir obèse et diabétique, un bon ventilateur est beaucoup plus sain … Reste une question en suspens, se chauffer à 27 degrés, au moins la nuit, en plein hiver est-il vraiment écolo-compatible ? Peut-être que la santé est plus importante que le climat !
Source : American Diabetes Association
Pour les curieux : DOI: 10.2337/db14-0513 et« supplementary data », l’accès à l’article lui-même est payant. Illustrations tirés de Wikipedia et de cet article.