Avec la montée en puissance des séquenceurs automatiques d’ADN, il ne se passe pas un jour sans que des dizaines de nouvelles séquences soient publiées et beaucoup d’entre elles protégées par des brevets d’application car après tout, on ne sait jamais si un gène ou un promoteur (pas immobilier mais de la transcription de la séquence d’ADN d’intérêt) ne trouverait pas une utilisation juteuse dans l’industrie. Et les domaines concernés par cette véritable révolution de la science du vivant sont tellement vastes que déjà 120 millions de séquences d’ADN et plus de 10 millions de séquences de protéines font l’objet de brevets d’application. Vous avez bien lu : cent vingt millions ! Pour ce qui est des séquences « naturelles », c’est-à-dire celles qui le sont de par leur disponibilité dans la nature, la Cour Suprême des Etats-Unis a statué en juin dernier en confirmant que tout matériel génétique d’origine naturelle ne pouvait en aucun cas faire l’objet de brevets. C’est dit mais qu’en est-il en réalité ? Qui dépose les brevets ? Qu’en font les auteurs ? Quels droits et revendications y sont attachés ? Et quels en sont les bénéfices pour la société ? Personne n’en sait vraiment rien parce que tout le système est complètement opaque. Les cabinets spécialisés en protection industrielle, la plupart privés, n’ont aucun outil à leur disposition pour y voir clair dans cette jungle et déclarer si oui ou non une séquence d’ADN est brevetable. Ce sont les auteurs des brevets qui doivent le plus souvent apporter la preuve que leur demande est recevable mais eux-mêmes manquent parfois d’informations dans cet immense fourmillement de données plus ou moins disponibles. Même une grosse multinationale de la pharmacie doit faire appel à des spécialistes pour évaluer le bien fondé de la demande de brevet en ce qui concerne les données structurales, en d’autres termes la ou les séquences qui méritent d’être protégées. Les applications (ou revendications dans un brevet) ne pourront être protégées que si le matériel génétique peut l’être au préalable. Or une analyse réalisée sur plus de 2000 brevets américains a par exemple montré que dans la plupart des cas, la séquence d’ADN ne faisait pas l’objet à proprement parler d’une protection industrielle et que seules les applications particulières pouvaient être considérées comme étant une propriété intellectuelle.
Pour illustrer l’opacité de la protection intellectuelle et industrielle des brevets relatifs aux séquences d’ADN, prenons le cas du riz doré qui a catalysé une levée de boucliers de toutes sortes d’ ONG opposées par principe à la commercialisation de plantes génétiquement modifiées. J’en ai parlé dans un billet au mois d’août dernier ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/08/28/les-anti-ogm-sont-des-criminels/ ). Le riz doré a été mis au point par des universitaires financés par des ONG dont la fondation Bill et Melinda Gates et les constructions génétiques aboutissant à la production du lycopène, précurseur de la vitamine A, proviennent du narcisse et d’une bactérie du sol du genre Erwinia, l’expression des deux gènes étrangers est sous le contrôle d’un promoteur du riz de telle manière que le lycopène transformé en beta-carotène par le riz lui-même soit exprimé majoritairement dans les graines. Si cette transformation génétique complexe avait fait l’objet de brevets, les gènes introduits et provenant du narcisse et d’Erwinia n’auraient pas pu être protégés, seules les constructions et les applications finales auraient pu être considérées comme des propriétés intellectuelles. J’ai pris cet exemple à dessein puisque l’ensemble des constructions réalisées pour mettre au point le riz doré sont disponibles au public puisque justement ce riz n’est pas breveté et n’importe qui peut le cultiver sans payer une quelconque redevance à qui que ce soit. Ce n’est pas le cas pour le maïs, le coton ou le soja exprimant la toxine Bt car les constructions font l’objet d’applications elles-mêmes brevetées. Depuis juin dernier le gène codant pour la toxine Bt n’est plus brevetable mais ses application le sont par le biais des constructions génétiques permettant à la plante d’exprimer cette toxine. Il en est de même pour n’importe quel vaccin produit à l’aide de bactéries ou de levures, voire de cellules animales ou humaines génétiquement modifiées. Et dans ce dernier cas aussi, le gène codant pour la protéine qui conférera l’immunité attendue lors de la vaccination, l’application principale du brevet, ne peut être breveté puisqu’il est dans le domaine public. Seule, encore une fois, la construction génétique permettant la production du vaccin est protégée intellectuellement et industriellement.
Quand un quidam, je veux dire un universitaire ou un industriel, rédige une demande de brevet, si l’officine de protection industrielle, publique ou privée, à laquelle il s’adresse ne dispose pas des outils appropriés pour faire une recherche d’antériorité, la situation peut être critique car bien souvent les demandes de brevets sont déposés dans l’urgence des applications attendues qui doivent répondre à une demande pressante du marché, c’est en particulier le cas des vaccins ou dans une moindre mesure des tests biologiques utilisés pour les diagnostics médicaux.
L’Université de Technologie du Queensland à Brisbane s’est penché sur ce problème d’évaluation auquel sont confrontés les administrations et les cabinets spécialisés et a mis au point, disponible à tout public dont les inventeurs en herbe ou confirmés, une banque de données remarquablement documentée et d’utilisation particulièrement simple disponible d’un simple clic sur internet. Il s’agit d’une base de données rassemblant plusieurs millions de brevets impliquant comme je l’ai mentionné plus haut plus de 120 millions de séquences d’ADN et plus de 10 millions de séquences de protéines. Je conseille à mes lecteurs curieux d’aller se promener sur ce site dont voici le lien : http://www.lens.org/lens/ . Par exemple, rien que pour le génome humain, 98549 brevets sont répertoriés, dont 51529 américains et 13995 japonais, 2778 coréens (sud) et 8024 pour l’Europe, essentiellement Allemagne, Suisse et Grande-Bretagne, suivez mon regard … Autre exemple, pour les brevets relatifs au génome de la banane, entièrement élucidé en 2012, c’est un peu le même cas de figure puisque sur 235 brevets (USA : 142, Japon : 9, Europe : 33 et reste du monde : 58) il n’y a aucun brevet français alors que la France est un des leaders mondiaux de la production de vitroplants de bananiers (Vitropic SA, près de Montpellier, émanation du CIRAD), suivez encore mon regard …
Source : QUT News
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Encore un article très intéressant de Jacques Henry